Jupiter a encore frappé. Depuis son élection en mai 2017, Emmanuel Macron est surnommé ainsi, car il centralise tous les pouvoirs. Personne pour le contrôler. Personne pour l’obliger à tenir compte des réalités du terrain.
Jupiter est le Dieu romain qui gouverne la terre et le ciel. Alors, pourquoi ne pas se permettre la plus improbable des nominations, si l’on compare à ce qui se passe dans les autres démocraties? Confier la tête du gouvernement à un politicien de 34 ans qui n’a jamais rien fait d’autre que d’arpenter les couloirs d’un parti (le PS au tout début de sa carrière), de l’Assemblée nationale et des ministères. Gabriel Attal, ou la caricature d’une nomination bien éloignée de la réalité vécue par les élus locaux et par la plupart des électeurs qui, souvent, doivent patienter longtemps avant d’être promus.
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Cette pratique de la politique, centralisée à l’extrême, est typiquement française. Dans ce pays, tout ce qui compte se décide en un seul lieu: le palais présidentiel de l’Élysée, à Paris. Pas étonnant, dès lors, que Gabriel Attal ait remporté la palme mardi 9 janvier, à 34 ans seulement (il en aura 35 le 16 mars). Car l’Élysée, le nouveau chef du gouvernement connaît! Très tôt nommé ministre par Emmanuel Macron (à la jeunesse en 2017), puis porte-parole du gouvernement entre 2020 et 2022, l’intéressé briefait les médias après chaque conseil des ministres, en général le mercredi vers 13h heures.
Itinéraire personnel
La quintessence du pouvoir parisien, corroborée par son itinéraire personnel. Natif de la banlieue sud de Paris où il est élu (député des Hauts-de-Seine, le département le plus riche de France), ce fils de bonne famille a fréquenté l’une écoles privées les plus chic et les plus réputées de la capitale: l’école Alsacienne. Il a ensuite intégré l’Institut d’Études Politiques de Paris (Sciences-po). Mais contrairement à Emmanuel Macron (originaire d’Amiens, en Picardie, mais éduqué au prestigieux lycée parisien Henri IV), il n’a pas fait l’ex-École nationale d’administration. Dommage. Supprimée en 2021, celle-ci lui aurait au moins permis de découvrir la province puisqu’elle était à Strasbourg.
Une surprise, cet itinéraire? Oui et non. Oui, parce que les premiers ministres français ont souvent eu un fort ancrage local. Pompidou (élu président en 1969) était auvergnat. Jacques Chaban-Delmas était bordelais. Chirac était en partie corrézien. Le socialiste Pierre Mauroy était lillois. Jean Castex est pyrénéen. Non, parce que Paris a toujours été le creuset politique de la France, sous la monarchie, sous l’Empire et sous la République. On peut citer, comme premiers ministres très parisiens, Edouard Balladur, ou Laurent Fabius, souvent cité, car il fut, avant Attal, le plus jeune premier ministre à 37 ans en 1984, mais il émigra ensuite politiquement du côté de Rouen.
Marre de la politique parisienne
Problème: Les Français en ont marre de cette politique parisienne. En 2021, au sortir de la pandémie de Covid, 85% des personnes interrogées par l’institut Harris interactive estimaient que «trop de décisions sont prises à Paris par des personnes qui ne connaissent pas la réalité de l’ensemble du pays». Ce chiffre atteignait 90% chez ceux qui estiment que notre démocratie «fonctionne mal». Comment les réconcilier avec la politique en nommant Gabriel Attal?
Benjamin Morel est spécialiste des institutions. Il vient de publier «La France en miettes» (Ed. du Cerf), un livre dans lequel il s’inquiète des fractures régionales. Mais comment faire adhérer les Français à un projet national si tout se joue en petit comité, dans les hôtels particuliers parisiens. Surtout si, à la fin, tout se termine en négociations budgétaires de boutiquiers: «Emmanuel Macron n’a pas d’élus locaux explique Benjamin Morel dans l’Humanité. Il achète des concessions: un «pacte d’avenir» pour la Bretagne, ou encore tout céder aux nationalistes corses pendant la campagne de la présidentielle pour ne pas parasiter une séquence médiatique. C’est une gestion erratique, opportuniste, à la petite semaine, et profondément dangereuse».
Protestataires de province
Jupiter au sommet. Les «Gilets jaunes» et les protestataires dans les rues des villes de province. «La politique parisienne, c’est le meilleur moyen de décrédibiliser l’État, on l’éloigne des gens, de leurs besoins, des réalités» nous expliquait au dernier Congrès de l’Association des Maires de France son vice-président, le socialiste André Laignel.
Jupiter mise sur les médias. Gabriel Attal est une star dans le monde médiatique français. Et après? «Les médias reflètent mal la diversité de la société, car le recrutement des rédactions répond trop souvent aux règles de l’entre-soi. Un danger pour la démocratie, à l’ère du triomphe des réseaux sociaux» jugeait en mars 2022 le journaliste Marc Epstein dans la revue politique «L’Hémicycle».
Médias et politique
En bref: les jeunes chroniqueurs politiques, surtout ceux des chaînes d’information continue, ressemblent… au nouveau premier ministre. Même parcours. Mêmes racines. Même milieu. Pas étonnant que dans ces conditions, 86% des Français souhaitent un recours au référendum sur les questions de société. «La passion pour le Référendum d’initiative citoyenne durant la crise des «Gilets Jaunes» venait de là. Ras-le-bol de ces politiques qui nous ignorent, surtout depuis l’entrée en vigueur du non-cumul des mandats de parlementaire et d'élu local» confie Gaël Slimane, de l’Institut Odoxa.
Gabriel Attal, remède aux maux politiques Français? A constater l’ampleur du fossé, on peut en douter. A moins qu’il apprenne à bâtir des ponts. Pour éviter l’isolement, dans sa citadelle parisienne de Matignon, de celui qui l’a nommé: Jupiter-Macron, le locataire de l'Élysée.