C’est fait. La réforme des retraites qui a mis le feu social en France depuis quatre mois est désormais gravée dans le marbre de la loi. Dès ce samedi matin, le texte législatif reportant l’âge légal de départ à 64 ans (contre 62 jusque-là, et contre 65 ou 67 ans dans la plupart des pays européens) a été promulgué par Emmanuel Macron et publié au Journal Officiel.
Dès la rentrée de septembre, les Français nés après 1961 verront donc leur durée de cotisation et leur âge de départ à la retraite rallongé de quelques mois. En 2030, ceux nés en 1968 seront les premiers à partir à 64 ans, qui s’imposera alors à tous. Sauf, bien sûr, si cette loi était remise en question par le nouveau président élu en avril 2027, date de la fin du second mandat non renouvelable d’Emmanuel Macron, réélu le 24 avril 2022 avec 58,5% des voix face à Marine Le Pen.
Et maintenant? Comment le chef de l’État âgé de 45 ans peut-il présider la France alors que deux-tiers de ses compatriotes, selon les sondages, rejettent cette réforme? Peut-il surtout présider le pays sans l’embraser davantage, et radicaliser ses oppositions? Une allocution présidentielle est prévue lundi 17 avril. Le sort politique de la France, et d’Emmanuel Macron, va dépendre de cinq chantiers.
Premier chantier pour Macron: la paix sociale
Réélu il y a pile un an de façon incontestable, mais avec la plus forte abstention jamais enregistrée au second tour d’une présidentielle depuis 1969 (28%), Emmanuel Macron a devant lui un pays en colère, et des syndicats unis comme ils l’ont rarement été, qui n’accepteront pas de cesser la lutte après avoir perdu cette manche sur la réforme des retraites.
Résultat: le plus jeune président de la Ve République doit faire un choix. Soit il entreprend d'autres réformes susceptibles de fracturer le pays (on pense aux réformes institutionnelles qu’il envisageait, comme le retour au septennat, on pense aussi au projet de loi sur l’immigration, prêt à être présenté au Parlement), soit il met ces chantiers en mode pause et donne la priorité à une reprise du dialogue direct avec les partenaires sociaux.
A condition que ceux-ci l’acceptent. Après la validation du projet de loi sur les retraites par le Conseil constitutionnel vendredi 14 avril, les syndicats ont décliné l’offre du président de les rencontrer dès ce mardi. Ils préfèrent attendre la mobilisation du 1er mai, qu’ils espèrent massive. Ajoutons un élément: le «donnant-donnant». Emmanuel Macron, devra «donner» et faire des concessions s’il veut retrouver la paix sociale, dans une période marquée par l’inflation et les problèmes de pouvoir d’achat. Mais donner quoi? C’est toute la question.
Second chantier pour Macron: trouver une majorité
Politiquement, c’est la clé. Si Emmanuel Macron avait disposé cette année d’une majorité absolue de députés, comme sous son précédent quinquennat 2017-2022, sa Première ministre Élisabeth Borne n’aurait pas eu besoin d’utiliser les procédures d’urgence constitutionnelles pour faire finalement adopter la réforme des retraites sans vote le 16 mars via l’article 49.3.
Problème: aujourd’hui, cette majorité n’existe toujours pas à l’Assemblée nationale (qui a le dernier mot en France) et les chances d’en trouver une sont encore plus minces après la crise des 64 ans. La droite traditionnelle est divisée. Le 20 mars, une motion de censure transpartisane contre le gouvernement a failli emporter celui-ci, à neuf voix près.
Qui veut voir son destin politique associé aujourd’hui à Emmanuel Macron, ce président affaibli qui ne pourra de toute façon pas se représenter? Le 22 mars à la télévision, celui-ci a demandé à sa Première ministre de trouver des majorités «ad hoc», en fonction des projets de loi. Mais pour l’heure, rien à l’horizon. Macron est seul. Encore plus seul. Pire: une partie de sa coalition centriste doute ouvertement de ses choix et des «frondeurs» pourraient bien commencer à apparaître. Comme sous le mandat de ce prédécesseur auquel il ne veut surtout pas ressembler: le socialiste François Hollande (2012-2017) finalement rejeté par son propre camp. C’est pour cela qu’une dissolution de l’Assemblée nationale semble peu probable à court terme, car le pays en sortirait encore plus éclaté.
Troisième chantier: donner un cap à son mandat
Que veut Emmanuel Macron? Si l’on s’en tient à ses déclarations durant la crise des retraites, ce président libéral, mondialisé et partisan d’une souveraineté européenne accrue, veut une France plus productive, plus compétitive, capable enfin de réduire ses dépenses publiques et sa dette, qui atteint un record de 3000 milliards d’euros. Pour être clair: Macron veut une France réformée qu’une majorité de ses compatriotes refusent et contre laquelle beaucoup manifestent dans la rue.
Cela ressemble à un grand écart difficilement gérable entre un pouvoir exécutif toujours très puissant (c’est le système français qui veut ça) et un pays réel de plus en plus frustré et à cran. Est-ce possible de trouver une sortie de crise sans faire ce que tous les présidents ont fait jusque-là, y compris Macron lorsqu’il a voulu mettre un terme à la crise des Gilets jaunes et calmer le pays durant la pandémie, à savoir signer des chèques et dépenser plus?
Est-ce possible, surtout, de la part d’un président de plus en plus inaudible et isolé aussi sur la scène internationale? Celui-ci est contesté au sein de l’Union européenne par tous les pays membres qui préfèrent, sur le plan stratégique, garantir leur alliance avec les États-Unis – et dont les finances publiques sont bien plus saines que celles de Paris? Pour présider jusqu’en 2027, Macron doit retrouver d’urgence un cap et une boussole. Dire aux Français: «Tenez-vous bien car notre pays organise cet automne la Coupe du monde de rugby puis les Jeux Olympiques d’été à Paris en 2024» ne sera pas suffisant. Bien au contraire!
Quatrième chantier: changer de méthode présidentielle
Là, c’est a priori peine perdue. Emmanuel Macron ne veut pas laisser dans l’histoire l’image d’un président «fainéant». Son jeune âge, et la suite de sa carrière après son second mandat, sont sur ce point de forts accélérateurs. Il continue de penser que sa mission est de réformer le pays, y compris contre lui-même, ce qui est très risqué dans une France éruptive et toujours révolutionnaire.
Difficile aussi, voire impossible, d’imaginer un Emmanuel Macron qui s’en prendrait aux multinationales françaises et à leurs profits records, car il reste partisan de l’attractivité économique, et continue de croire au «ruissellement» de la prospérité des entreprises, alors qu’une grande partie de la population est obsédée par l’égalité, et rêve de confisquer le magot des «très riches».
Alors? Le plus simple, dans l’immédiat, serait de changer de Premier ministre au profit d’une personnalité plus consensuelle, que la très tenace, mais terriblement austère et peu empathique Élisabeth Borne. Une autre piste peut-être, sur une question comme la fin de vie récemment débattue dans une convention citoyenne, est d’envisager un référendum. Il y a aussi la question de la réforme des institutions. Mais là, on retombe dans le premier problème: le risque de division accrue du pays. En bref, Emmanuel Macron devrait jouer plus collectif. Mais ça, il n’a jamais su le faire. Et il n’y croit pas, lui l’adepte du coup d’éclat permanent.
Cinquième chantier: réveiller la France macroniste
Ah bon, elle existe? La réponse est oui. Il ne faut jamais oublier que 66% des électeurs français ont élu Emmanuel Macron en 2017 sur un programme ambitieux de réformes et de rupture. Bis répétita, dans des conditions plus complexes, en 2022. Les Français ne sont pas tous partisans de l’immobilisme, de taxes accrues, d’un État ankylosé, etc. Beaucoup savent que ce pays doit changer.
Mais comment les réveiller? Comment faire comprendre à ce grand bassin d’électeurs centristes que les extrêmes gagnent du terrain, et que Marine Le Pen, la dirigeante du Rassemblement national, se rapproche de plus en plus du pouvoir? Tout cela est très difficile, car la personnalité d’Emmanuel Macron et son style renforcent précisément la radicalité ambiante. Il polarise. Il est de plus en plus détesté par la France d’en bas, que la nationale populiste Le Pen cajole. Il est de plus en plus rejeté par la jeunesse aspirée par la vague écologiste et gauchiste.
Pourtant, la France ne peut pas se résumer à l’équation Mélenchon-Le Pen-Zemmour. Un autre pays existe. Il travaille. Il crée des emplois, puisque le taux de chômage n’a jamais été aussi faible. L’index boursier CAC 40 est au beau fixe. Ce pays-là est un peu otage. Le paradoxe est qu’Emmanuel Macron, qui voulait le libérer à force de réformes, a entraîné son recroquevillement. Le macronisme, «ni de gauche ni de droite» n’est pas encore mort. Mais son chef l’a mis en coma artificiel. Il doit maintenant le réveiller.