Il est l’homme qu’Emmanuel Macron ne comprend pas et ne supporte pas. Son antithèse. Presque son exact contraire. Laurent Berger, 54 ans, est le syndicaliste que le président français croyait pouvoir écarter sans dommages politiques. Erreur grave. Ce jeudi 13 avril, à la veille de la décision très attendue du Conseil constitutionnel sur la réforme des retraites, le patron de la CFDT était de nouveau en tête du cortège de l’intersyndicale pour la douzième journée d’action et de grève contre ce projet de loi. Environ 50'000 manifestants à Paris selon le ministère de l'intérieur. Une mobilisation en baisse au niveau national, mais la volonté de continuer la lutte. Le match Macron-Berger s'est, au fil du conflit, imposé comme le duel central de cette bataille sociale et politique.
Fractures françaises
Douze fois en effet que ce syndicaliste réformiste, issu de la mouvance de la jeunesse étudiante chrétienne de l’ouest de la France, bat le pavé pour dire non au report de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans, contre 62 actuellement. Douze fois qu’il prouve, par l’unité des syndicats, que la volonté d’Emmanuel Macron de mettre en œuvre des réformes «à marche forcée» est en train de fracturer encore plus une France déjà si divisée et si polarisée. Douze fois que Laurent Berger bute sur la détermination présidentielle à maintenir ce projet de loi, au nom de la nécessité de redresser les finances de la France et de «produire plus» comme Emmanuel Macron l'a redit mardi 11 avril dans un discours à La Haye (Pays-Bas) sur la souveraineté européenne.
Incompréhension entre Macron et Berger
Incompréhension: c’est le mot qui revient le plus pour décrire, depuis 2017, les relations entre le président de la République et ce leader syndical à l’écharpe constamment nouée autour du cou, de presque dix ans son aîné. Logique, malheureusement. Emmanuel Macron, arrivé au pouvoir en s’appuyant sur le centre-gauche, ne supporte pas les états d’âme du leader de la CFDT, un syndicat qui a toujours voulu, au-delà des revendications salariales et corporatistes, «changer la société».
Pour Macron, qui se vit depuis le début comme le «patron» de l’entreprise France rebaptisée «start-up nation», l’avenir économique sera numérique, individualiste, mondialisé. Berger, lui, se voit comme un pont social entre la lutte des classes, la lutte pour le climat et la lutte pour un environnement de travail moins déshumanisé. Pas étonnant que la retraite soit devenue le champ de bataille de ces deux-là.
Pour Macron, qui achèvera son second mandat présidentiel à 49 ans et entamera alors une nouvelle vie, la retraite est un curseur, un facteur aléatoire, que chacun doit organiser comme il le souhaite. Pour Berger, la retraite est une seconde vie, le moment pour se réinventer. Impossible, entre ces deux conceptions, de trouver un point d’équilibre.
L’autre facteur de détestation, entre le syndicaliste et le chef de l’État, est leur histoire. Laurent Berger est un fidèle. Il n’a jamais quitté son camp social-chrétien-réformiste. Il incarne une gauche socialiste compatible avec le monde de l’entreprise. La CFDT, devenu le premier syndicat français en 2022 avec 27% des suffrages aux élections professionnelles, devance d’ailleurs la CGT dans le secteur privé, même si la représentativité syndicale en France est faible (moins de 10% des salariés sont syndiqués).
Berger est même jugé «trop droit, trop idéaliste» par certains de ses proches, qui redoutaient de le voir mis le dos au mur par le refus du gouvernement d’abandonner sa réforme. La CFDT est, selon les experts, moins portée sur les arrangements que la CGT, désormais dirigée par la charismatique Sophie Binet, 41 ans.
À l’inverse, Emmanuel Macron est un opportuniste rapide, pragmatique, qui a de bonnes intuitions, mais se soucie peu de l’intendance. Le premier fonctionne comme l’ancien Premier ministre Michel Rocard: avec le souci du compromis pragmatique. Le second est l’héritier conjoint du Bonapartisme et du Gaullisme: il avance en s’engouffrant dans les brèches, sans états d’âme. À ses risques et périls.
L’histoire d’une collision
Plus qu’un conflit, leur histoire est donc celle d’une collision. Au point que des voix s’élèvent en France, à gauche, pour rêver d’une candidature de Laurent Berger à la présidentielle 2027, pour laquelle Macron ne pourra pas se représenter. Le calcul est simple: la France en a assez de Bonaparte-Macron. Elle veut être gouvernée au centre. Elle tient à son modèle social. Elle reste un pays où l’État est au cœur de tout. Quoi de mieux qu’un ex-syndicaliste pour rallier la gauche et damer le pion au leader radical de la France insoumise, Jean-Luc Mélenchon?
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Le patron de la CFDT, lui, a toujours répondu «non» à ces appels du pied. Mais aujourd’hui, sa soif de revanche contre Macron est évidente. Laurent Berger a été le premier, le 5 avril, à se lever lorsque la Première ministre française a confirmé le maintien de la réforme sur les retraites lors de la réunion avec les syndicats. Il exige aujourd'hui un «délai de décence» et un «changement de métode» avant de reprendre d'éventuelles négociations directes avec le locataire de l'Élysée.
Laurent Berger est le dos au mur. Il bat le pavé. L'on saura, avec la décision du Conseil constitutionnel vendredi 13 avril, s'il a, ou non, perdu la partie politique sur les 64 ans. Il attend son heure: celle de la revanche. Alors, pourquoi ne pas rejouer le match, demain, du côté de l’Élysée?