Un coup d’Etat judiciaire contre la démocratie: c’est à coup sûr ce refrain que les élus, les cadres et les électeurs du Rassemblement national (RN, droite nationale populiste) vont entonner après la condamnation très sévère de Marine Le Pen par le tribunal correctionnel de Paris. La députée RN est condamnée à quatre ans de prison, dont deux ans ferme sous bracelet électronique, 100'000 euros d’amende et une peine d’inéligibilité de cinq ans avec «exécution immédiate». Elle ne pourra donc pas se présenter à l’élection présidentielle de mai 2027. Furieuse, elle est sortie de la salle d’audience du palais de Justice de Paris avant la fin de l’énoncé du jugement. Son avocat a aussitôt annoncé faire appel.
Un «coup d’Etat» et non une décision de justice, alors que le tribunal a appliqué la loi avec rigueur, après avoir établi l’existence d’un système de détournement de fonds publics aux dépens du Parlement européen entre 2004 et 2016? Il s’agit en tout cas d’un coup de tonnerre, voire d’une bombe atomique politique qui vient de vitrifier le premier parti de France, fort de 120 députés nationaux et de trente eurodéputés. Les 29 coaccusés – dont neuf anciens eurodéputés – sont reconnus coupables d’avoir contribué à un «détournement de fonds publics» de plus de quatre millions d’euros via l’utilisation frauduleuse d’assistants du Parlement européen. Le RN, en tant que personne morale, est condamné à une amende de 4 millions, dont un million avec sursis. Blick répond aux 5 questions qui fâchent.
Est-ce un coup d’Etat judiciaire?
Non. C’est une interprétation maximaliste de la loi. Les juges du tribunal correctionnel de Paris ont suivi les réquisitoires et reconnu, en première instance, l’existence d’un «système de détournement de fonds publics». Tous les accusés sont condamnés à des peines d’inéligibilité, ce qui est logique dans ce type d’affaires, dès lors qu’ils ont tous été reconnus coupables.
Point central d’où tout découle: Marine Le Pen était, pour les juges, «au cœur» de ce système. Elle était donc la donneuse d’ordres, ce qu’elle a toujours nié. L’accusation politique est encore plus lourde. Pour les magistrats, Marine Le Pen s’est rendue responsable de deux «tromperies»: tromperie du Parlement européen et tromperie des électeurs. Le seul élu à échapper à une exécution immédiate (justifiée par le risque de «récidive» et de «trouble majeur à l'ordre public») de la peine d’inéligibilité est Louis Aliot, maire de Perpignan. Il pourra donc se représenter aux municipales du printemps 2026.
Est-ce la mort politique de Marine Le Pen?
C’est plutôt une élimination en règle de Marine Le Pen assurée de provoquer une révolte du Rassemblement national et d’alimenter la colère des 13 millions d’électeurs qui ont voté pour elle lors de la présidentielle d’avril 2022, perdue une deuxième fois au second tour contre Emmanuel Macron (58,55% contre 41,45%).
Trois choses sont certaines à ce stade. 1) L’impossibilité, pour la cheffe du RN, de se présenter à la prochaine présidentielle de 2027, puisque les candidatures devront être déposées au plus tard au début mars de la même année. 2) L’assurance d’un nouveau procès, puisque tous les coaccusés vont sans doute faire appel du jugement prononcé ce lundi 31 mars. 3) Une révolution garantie du sein du RN, où la bataille va s’engager pour la succession de Marine Le Pen dans la course à l’Elysée. Attention toutefois, une option peu évoquée demeure possible: l’accélération du calendrier judiciaire pour permettre la tenue du procès en appel dès 2026, ce qui changerait la donne. Mais c’est très peu probable.
Est-ce un scandale financier majeur?
Non. Le montant des fonds siphonnés au Parlement européen par ce «système» de détournement de fonds public est d’environ quatre millions d’euros. C’est une grosse somme. Le Parlement de Strasbourg n’a toutefois pas été empêché de travailler. Les institutions ont fonctionné. L’on peut aussi s’interroger sur le bien-fondé politique des poursuites engagées contre le Rassemblement national car plusieurs assistants parlementaires européens menaient des missions de politique française, alors que le parti ne disposait pas de députés à l’Assemblée nationale (ce que la loi interdit, malgré l’interaction évidente entre les deux).
Sans surprise, ce jugement a aussitôt été dénoncé par la Hongrie de Viktor Orban (et la Russie de Poutine) comme une ingérence inacceptable des institutions communautaires dans la vie politique hexagonale. Il faut toutefois avoir bien en tête la rhétorique du RN qui s’est longtemps présenté comme le seul parti «aux mains propres» de la République, le seul à ne pas être «pourri». Les juges lui ont répondu par une application très stricte de la loi.
Est-ce le sacre annoncé de Jordan Bardella?
Pas sûr. Le député européen de 29 ans préside le Rassemblement national. Il est en première ligne pour succéder à Marine Le Pen comme candidat à la présidentielle de mai 2027. L’on devrait en savoir plus dès la prise de parole annoncée de Marine Le Pen ce lundi 31 mars, au journal télévisé de TF1. La riposte du parti national populiste sera en tout cas celle de la colère. Le tribunal a justifié les condamnations à des peines inéligibilité avec exécution provisoire par la nécessité d’éviter toute récidive car les responsables du RN avaient tout nié en bloc.
Jordan Bardella, premier de cordée? Attention toutefois à la bataille possible des prétendants. La nièce de Marine Le Pen, Marion Maréchal Le Pen, se tient en embuscade après s’être fait élire en tête de la liste de «Reconquête», le parti d’Eric Zemmour.
Est-ce une insulte aux électeurs du RN?
Les treize millions de Français qui ont voté pour Marine Le Pen à la présidentielle de 2022 vont sans doute être ulcérés par la sévérité de ce jugement. Il faut néanmoins garder la tête froide, car la sévérité des juges dans les procès politiques est, en France, habituelle. Pour preuve: la peine de sept années de prison requise le 28 mars contre l’ancien président Nicolas Sarkozy, dans l’affaire du présumé financement libyen de sa campagne victorieuse de 2007.
«C’est la démocratie française qui est exécutée», a réagi Jordan Bardella. A voir. Dès les municipales de 2026, les électeurs du RN vont pouvoir se venger s’ils le désirent. Le procès sur l’indépendance de la justice française est en revanche assuré d’être relancé. Beaucoup d’électeurs de droite n’ont ainsi pas digéré l’élimination de François Fillon de la présidentielle 2017 (remportée par Emmanuel Macron) par ses affaires politico-financières. Un fait demeure: Marine Le Pen avait elle-même voté, comme députée, la loi qui prévoit les peines d’inéligibilité avec exécution provisoire.