Kylian Mbappé, médiateur d’une France en feu? L’intervention du capitaine de l’équipe de France de football et d’une vingtaine de joueurs est en tout cas l’élément marquant de cette quatrième nuit d’émeutes et de violences qui ont secoué les banlieues de Paris et de plusieurs grandes villes.
Le texte, comme le geste, sont très symboliques. C’est ce samedi que doit être enterré Nahel, 17 ans, tué le 27 juin au matin par le tir d’un policier lors d’un contrôle routier. Le jeune homme, que les émeutiers jurent vouloir «venger», avait eu souvent maille à partir avec la police, en particulier pour des refus d’obtempérer. Sa mort, d’une balle tirée à bout portant dans le thorax, a toutefois déclenché les plus graves émeutes en France depuis celles de 2005, déjà causées par la mort de deux adolescents à la suite d’une course-poursuite avec la police.
Dans un tweet le soir-même, le capitaine des Bleus, originaire de Bondy (Seine Saint Denis) avait attisé la colère contre les forces de l'ordre en déclarant:«J'ai mal à ma France. Une situation inacceptable. Toutes mes pensées vont pour la famille et les proches de Nahel, ce petit ange parti beaucoup trop tôt.»
Des footballeurs issus des quartiers populaires
Les nouveaux mots d'apaisement de Kylian Mbappé sont tombés dans la soirée de vendredi. Après avoir rappelé qu’ils sont souvent, eux-mêmes, issus de quartiers populaires, une vingtaine de joueurs de l’équipe de France de football ont écrit un long message relayé sur Twitter par le capitaine des Bleus. Ils appellent à «l’apaisement» face à ce qu’ils appellent «un véritable processus d’autodestruction». «La violence ne résout rien, encore moins lorsqu’elle se retourne inéluctablement et inlassablement contre ceux qui l’expriment, leurs familles, leurs proches et leurs voisins», soulignent-ils, tout en se disant «choqués par la mort brutale de Nahel».
Il est possible que certains joueurs soient présents, ce samedi, aux funérailles de Nahel à Nanterre. Cette médiation a été saluée par le sélectionneur tricolore Didier Deschamps, mais elle n’a pas eu d’effets directs sur le terrain. Plus de 500 personnes ont été interpellées durant la nuit et les scènes de pillages de magasins, d’incendies de voitures, d’affrontements avec les forces de police ont à nouveau scandé ces dernières heures.
L’intervention des Bleus, au nom de leurs origines sociales, est un rappel d’autant plus significatif que la France doit accueillir, dans un an pile, les Jeux olympiques d’été 2024 dont les principales installations se trouveront à Saint-Denis, au nord de Paris, dans cette «petite ceinture» de la banlieue aujourd’hui en feu.
Leur texte, évidemment écrit au cordeau par les communicants de la Fédération française de football, est très politique. «Il existe d’autres manières pacifiques et constructives de s’exprimer. C’est en cela que nos énergies et nos réflexions doivent se concentrer, concluent les joueurs de l’équipe de France. Le temps de la violence doit cesser pour laisser place à celui du deuil, du dialogue et de la reconstruction.» Il faut redire en effet que l’embrasement des banlieues, vingt ans après 2005, sanctionne un nouvel échec des plans pour transformer ces quartiers. L’incendie social provoqué par la mort de Nahel, surtout attisé par des très jeunes garçons résolus à casser et à piller, pose à la fois la question de la responsabilité des parents et de l’autorité des maires et des élus, souvent pris pour cible. Vendredi, Emmanuel Macron, de retour du sommet européen à Bruxelles, avait fait appel «au sens de la responsabilité des pères et des mères de famille».
Coté enlisement social dans les banlieues, ce nouvel incendie des quartiers a renvoyé le gouvernement français devant deux échecs. Le premier est celui de la police, de nouveau accusée de violences endémiques et d’utilisation abusive des armes à feu, en particulier depuis une loi de 2017 qui a élargi le concept de «légitime défense». Près de 50'000 policiers ont été engagés chaque nuit depuis le 27 juin, y compris des unités d’élite comme le RAID ou le GIGN.
Le deuxième échec est celui de la politique urbaine. Le gouvernement est mis en cause pour avoir, entre autres, ignoré le plan présenté en 2018 par l’ancien ministre Jean-Louis Borloo. Ce dernier préconisait un «grand plan Marshall pour la banlieue». «Sans être parfait, le Plan Borloo était une avancée considérable, et avait plein de mesures concrètes qui allaient bien au-delà de la politique de la ville. On était 200 maires à avoir travaillé dessus et Macron a dit 'poubelle' […] Ce plan s’appelait 'Pour une réconciliation nationale', et ce mot de réconciliation résonne particulièrement aujourd’hui», se sont énervés des maires dans une tribune publiée par «Le Monde».
Une République incendiée
Mbappé, médiateur d’une République incendiée par des jeunes qui s’en prennent très souvent aux symboles de l’État et aux centres commerciaux, nouvelles proies de la violence? Il n’est pas sûr que cela fonctionne. Mais si le calme revient, la stature morale des Bleus se trouvera renforcée. Au détriment des politiques, inaudibles et écartelés entre ceux qui veulent ramener le calme, et ceux, du côté de la droite extrême, qui dénoncent le caractère racial de ces émeutes, et promettent d’y mettre fin par la force.