La police française est minée par le racisme. Alors que des émeutes nocturnes secouent depuis trois jours la banlieue de Paris et plusieurs métropoles françaises, cette affirmation brandie par les manifestants et par le collectif autour de la mère du jeune Nahel est un carburant parfait pour entretenir le climat actuel de défiance envers les forces de l’ordre.
Racisme: le mot fait d’autant plus mouche que, dans les quartiers, une grande partie des jeunes qui font depuis mardi le coup de poing contre les policiers sont des Français issus de l’immigration. Plus grave pour les forces de l’ordre, mobilisées sur tous les fronts, l’accusation raciale vient des Nations Unies, en l’occurrence du Haut-Commissariat aux droits de l’homme basé à Genève.
«C’est le moment pour la France de s’attaquer sérieusement aux profonds problèmes de racisme et de discrimination raciale parmi les forces de l’ordre», a déclaré vendredi 30 juin sa porte-parole. 667 arrestations ont eu lieu pendant la seule nuit de jeudi à vendredi. 249 policiers et gendarmes ont été blessés.
Racisme dénoncé par les jeunes
Ce racisme est dénoncé par les émeutiers de 2023, comme il l'a été avant eux par ceux de 2005, lors du soulèvement des banlieues, ou par les proches d'Adama Traoré, mort dans une gendarmerie le 19 juillet 2016. Pour ces jeunes de banlieue qui, depuis trois nuits, cassent et affrontent la police, pillant au passage des magasins, la tragédie qui a coûté la vie à Nahel, 17 ans, dans la ville de Nanterre, s’explique d’abord par le délit de faciès.
Leur référence est la colère provoquée, aux États-Unis, par la mort de Georges Floyd le 25 mai 2020. «Les situations dans les deux pays sont très différentes. Le point commun, c'est que si les forces de l’ordre ne sont pas racistes en elles-mêmes, il existe un vrai racisme dans leurs rangs. Que ce racisme n’est pas assez reconnu et combattu par les autorités», juge un podcast de France Culture.
Qu’importe, pour ces manifestants violents, armés de mortiers de feux d’artifice, de barres de fer et parfois de cocktails molotov, que la biographie de Nahel ne soit pas aussi innocente qu’on l’entend. Comme «Le Figaro» l’a raconté, le garçon décédé d'un tir à bout portant était connu des services de police. Cela n’excuse rien. Le policier auteur du tir fatal, aujourd’hui incarcéré et sous le coup d’une information judiciaire pour homicide volontaire, a d’ailleurs demandé pardon à la mère de la victime.
Restent les faits: selon quotidien conservateur, Nahel avait déjà fait l’objet de douze interpellations pour des délits divers et son nom était rattaché à quatre refus d’obtempérer. C’est en refusant de s’arrêter à un contrôle routier que l’intéressé a été tué.
Poursuivis «de manière disproportionnée»
Racisme? L’avis de l’ONU réaffirmé ce vendredi se base sur un antécédent. En décembre 2022, le Comité des Nations Unies pour l’élimination de la discrimination raciale avait exprimé «sa profonde préoccupation face au recours fréquent aux contrôles d’identité, aux interpellations discriminatoires, à l’application d’amendes forfaitaires imposées par la police ou les forces de l’ordre».
Le comité estimait que les personnes d’origine africaine, d’ascendance africaine ou arabe, les Roms, les gens du voyage et les non-ressortissants sont poursuivis «de manière disproportionnée». Idem du côté du Conseil de l’Europe, l’instance basée à Strasbourg (dont la Suisse est membre) où un magasin Apple vient d’être vandalisé.
Sa commission contre le racisme a, en septembre 2022, appelé la France «à progresser en matière de contrôles d’identité par les forces de l’ordre et de droits des minorités». L’organisation avait recommandé «un dispositif efficace de traçabilité des contrôles d’identité par les forces de l’ordre dans le cadre d’une politique visant à renforcer la confiance réciproque et la prévention et la lutte contre toute discrimination».
«Travailler sur les violences policières met aussi en lumière la question du racisme en France. Parce que par bien des aspects, le maintien de l’ordre est l’héritier d’une certaine vision de la sécurité et du rapport de force, directement ancrée dans une culture colonial», complète un éditorial de France Culture.
Des syndicats prêts au combat
La réponse de la police? Elle est venue des syndicats majoritaires qui, eux, réfutent toute accusation. Sous le titre «Maintenant, ça suffit», les syndicats Alliance Police Nationale et Unsa Police estiment dans un communiqué que «face à ces hordes sauvages, demander le calme ne suffit plus, il faut l’imposer».
«L’heure n’est plus à l’action syndicale mais au combat contre ces nuisibles», peut-on lire. Les représentants du syndicat exposent, depuis deux jours, le type d’armes utilisées contre leurs agents, y compris des mortiers de feux d’artifice souvent achetés à l’étranger, par exemple en Belgique ou en Pologne.
Il s’agit d’engins pyrotechniques considérés comme «armes par destination», disponibles à l’achat sur internet. Ils sont réservés aux professionnels ayant une habilitation. Ils sont composés d’un tube en carton, dans lequel est insérée «une bombe» avec de la poudre. Le tout, à faible charge explosive, est utilisé dans les chorégraphies pyrotechniques, notamment lors du 14 juillet.
Or la proximité de la fête nationale française est propice, ces jours-ci, à ce type d’achat que le ministre de l’Intérieur a demandé aux préfets de prohiber.
Racisme contre arsenal pour feux d’artifice: la bataille rangée des banlieues françaises a malheureusement, dans les deux camps, de solides arguments pour se poursuivre.