Nous connaissons tous (ou presque) bien la France. Nous y avons nos habitudes. Nous vivons, pour ceux qui ont un pied dans le monde culturel et intellectuel, à l’unisson de Paris, de ses tendances, de ses musées et de ses spectacles. Nous aimons la France parce qu’elle sait toujours, lorsqu’elle est à son meilleur, nous surprendre, voire nous impressionner. Or cette France-là est, depuis une semaine, retombée dans la pire de ses ornières. En quelques minutes, d’un contrôle policier transformé en exécution ordinaire d’un jeune sans permis au volant d’une voiture sur une piste cyclable, tout a basculé. Nahel est, depuis, le prénom d’une France qui nous fait peur.
Un pays qui chancelle
Cette peur n’est pas physique. Le pays, je l’ai plusieurs fois écrit, n’a pas été depuis ce mardi 27 juin soulevé par une tempête révolutionnaire susceptible de tout renverser sur son passage. Aucun touriste n’a été pris à partie ou violenté, et aucun mort n’a heureusement été à déplorer durant les nuits d’émeutes, soldées par plus de trois mille interpellations par la police. Cette peur est celle d’un pays qui chancelle, à la merci de la moindre éruption. Cette peur est celle d’un pays dont les institutions ne parlent plus à une partie de la jeunesse. Cette France violentée, blessée, incendiée au sens propre comme au sens figuré, mais aussi humiliée sur le plan international par ces violences urbaines, est une République dangereusement fragilisée.
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Nahel n’est pas le prénom d’une France submergée, comme on a pu le lire beaucoup, par une immigration qui la rendrait ingérable et intenable. Nahel n’est pas non plus le prénom d’une France gangrenée par la délinquance au point de se déliter, quartiers par quartiers. Ces deux réalités existent, et elles posent de sérieux problèmes. Mais elles n’expliquent pas seule le basculement du 27 juin et des cinq jours qui ont suivi, avec leur lot de pillages, d’incivilités et de destructions.
Le carburant de cette descente aux enfers d’une semaine, et des dommages matériels et économiques proches du milliard d’euros, est en réalité le choc frontal de deux pays qui ne se comprennent plus, ne savent plus se parler, et ne vivent ensemble que par intermittence. D’un côté, la France telle qu’on la connaît, qui continue de croire à son modèle social, à son refrain républicain et à son fonctionnement centralisé, supposément protégé par une police toujours plus sollicitée et répressive. De l’autre, une France des métropoles et des banlieues où le système est devenu inopérant parce qu’il n’intègre plus, parce qu’il marginalise, parce qu’il ne rassemble plus et parce qu’il n’est plus capable d’offrir un cadre de discipline collective à une partie de sa jeunesse.
Une tragique illusion de l’à-peu-près
Nahel est le prénom d’une tragique illusion de l’a-peu-prés social et politique: celle qui laissait entendre, depuis les émeutes de banlieue 2005, que les rallonges budgétaires suffiraient, que le tissu social se raccommoderait par miracle et que la police mieux dotée ferait tenir le tout. Les faits ont, ces jours-ci, démontré le contraire. Car en vingt ans, tout a empiré: pression migratoire, trafics, déconnexion des jeunes désœuvrés, délitement des institutions et des services publics, haine de la police, perte de confiance dans la justice.
Le doigt sur la gâchette
La France de 2023 n’est pas malade de compter dans ses rangs de jeunes Nahel qui conduisent sans permis et se font régulièrement appréhender. Elle souffre de ne plus savoir leur parler, de ne pas savoir quoi leur proposer, et de ne pas savoir ensuite les encadrer. La France de 2023 est comme ce policier qui a tiré et tué, sans que l’on sache encore pourquoi. Elle a le doigt sur la gâchette parce qu’elle est comme nous. Parce qu’elle a peur d’elle-même.