L'actualité ce dimanche à 8h30: 719 personnes ont été interpellées dans la nuit en France lors de la cinquième nuit de violences, plus calme que les précédentes. A ce stade, 45 policiers et gendarmes ont été blessés, 577 véhicules et 74 bâtiments ont été incendiés, tandis que 871 incendies ont été comptabilisés sur la voie publique. Les agressions contre les élus se poursuivent. Le domicile du maire de L’Haÿ-les-Roses, près de Paris, a été attaqué à la voiture bélier à l'aube.
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Vous n’en pouvez plus du spectacle des émeutes qui secouent depuis une semaine la plupart des grandes villes de France et leurs banlieues? Vous avez été stupéfaits par le tweet du Premier ministre polonais accompagné d’images des quartiers français incendiés, estimant que tout cela est dû à la «migration illégale» qui déferle sur l’Hexagone et sur l’Europe? Vous ne comprenez simplement pas ce qui se passe à Paris, Lyon, Marseille, Strasbourg ou Toulouse, une fois la nuit tombée?
Voilà cinq questions suisses après les obséques ce samedi du jeune Nahel tué d'un tir policier le 27 juin. A lire avant de franchir la frontière et de monter dans l’avion ou le TGV…
Peut-on dire que la France est en feu?
Non! Toute une partie du pays assiste depuis trois jours, angoissée, au spectacle des émeutes concentrées dans les banlieues des grandes métropoles, et des pillages qui commencent à gagner les centres-villes – à Strasbourg, Lyon ou Marseille par exemple. Mais la France n'est pas à l'arrêt. A Paris, le flot de touristes n’a pas ralenti et les journées sont normales dans la plupart des quartiers.
L’impact international de ce déferlement de colère et de violences urbaines a, en revanche, un effet dévastateur sur l’image de la France à l’étranger. Emmanuel Macron, très critiqué pour avoir assisté au concert d'Elton John à Paris au lendemain de la mort du jeune Nahel, a dû rentrer d'urgence vendredi du sommet européen de Bruxelles, avant d'annuler sa visite d’État en Allemagne qui devait démarrer ce dimanche.
Les gouvernements britanniques et américains ont mis en garde leurs ressortissants, soulignant que «des émeutes ont lieu depuis le 27 juin dans toute la France avec des risques de perturbation dans les transports et la possibilité que des couvre-feux soient mis en place localement». Le «New York Times» a titré vendredi: «Face à une nouvelle nuit d’agitation, Macron exhorte les parents à garder leurs adolescents à la maison.»
Tout est vraiment parti de la mort du jeune Nahel?
Oui! Et l’enterrement du jeune de 17 ans ce samedi 1er juillet au cimetière du Mont-Valérien, près de Nanterre (à ne pas confondre avec le mémorial de la résistance situé à proximité), ne refermera sûrement pas la parenthèse sur une tragédie qui a réveillé, une fois de plus, l’état profond de défiance entre la police et la jeunesse des quartiers.
Il faut bien comprendre qu’en France, dans ces quartiers que les touristes suisses visitent rarement et ne fréquentent guère, l’affrontement est permanent. Toute une partie de la jeunesse, souvent déscolarisée, souvent issue de l’immigration et sans cadre familial adéquat, vit dans une précarité sociale propice aux trafics en tous genres. Le sentiment d'abandon, d'exclusion et de discrimination mine ces catégories d'âge.
En face, les policiers, souvent assiégés dans leurs commissariats et démunis face à l'influence grandissante des trafics de stupéfiants et de l'économie parallèle, bénéficient depuis deux décennies de moyens importants. Mais tout est mis au service d'une approche répressive qui accroit les tensions. La police de proximité a disparu. L’ex-président Nicolas Sarkozy s’en était d'ailleurs moqué.
Le communiqué rageur des syndicats policiers
Tous ces ingrédients mis ensemble aboutissent à une dangereuse «américanisation» des banlieues, où la violence règne. Malgré les investissements, les structures publiques ne suivent plus. Les «petits boulots» souvent exercés par les jeunes garçons sans formation (les filles sont mieux loties, toutes les enquêtes sociales le prouvent) leur assurent des salaires d’environ 1000 à 1500 euros nets par mois, sans rapport avec le coût de la vie. L'impact des campagnes publicitaires, le culte des marques, l'impact des jeux vidéos et des réseaux sociaux accroît le sentiment de frustration. L'arrivée prochaine des JO 2024 entretient l'idée que tout sera de toute façon réparé d'ici là. L’immigration a aussi transformé les quartiers, chassant la classe moyenne et créant des divisions entre communautés. Les Asiatiques sont, par exemple, peu présents parmi les casseurs, si l’on s’en tient aux comparutions immédiates comme celles du tribunal de Nanterre.
L’État français a-t-il perdu le contrôle?
En partie! Dans le passé, l’administration disposait, dans toutes les grandes villes, d’antennes des renseignements généraux, les fameux RG, qui faisaient remonter des informations, quartiers par quartiers. Nicolas Sarkozy les a supprimés en 2008. Puis la montée du péril islamiste a constitué la cible presque unique du renseignement intérieur. La déliquescence sociale, l’installation du trafic de stupéfiants, la prolifération de la petite délinquance sont passés «sous le radar» et ont proliféré.
Simultanément, les syndicats de police les plus durs ont haussé le ton. Les incidents racistes sont monnaie courante. Le dernier communiqué du syndicat Alliance, qui dénonce une «guerre» et qualifie les émeutiers de «nuisibles», prouve l'ampleur du fossé.
La police française peut continuer d’aller partout. Il n’y a pas de zones de non-droit dans le pays. Mais toute une partie de la jeunesse échappe aux structures d’encadrement scolaire, sociale ou judiciaire.
Résultat: l’ordre est souvent assuré, au jour le jour, par des «grands frères» voire des «caïds», ou bien par les «frères musulmans» dans les banlieues à forte population islamique. Il faut dire aussi qu’en France, depuis 1996, le service militaire a été abrogé. Ce rendez-vous canalisait jadis les jeunes hommes. Aujourd'hui, les policiers se retrouvent face à des mineurs endurcis. Les jeunes se sentent rejetés et méprisés. Les flics se sentent abandonnés.
Qui sont les jeunes émeutiers?
Le bilan des interpellations est lourd: près de 2000 individus ont été interpellés par les forces de l’ordre depuis la mort de Nahel, le 27 juin au matin à Nanterre (Hauts-de-Seine). Leur profil, donné par les comparutions immédiates: des jeunes hommes de 14 à 25 ans, cagoulés, enrôlés dans des bandes, pour qui piller est une «aubaine» et une manière de «niquer la police» qui est sans cesse sur leur dos.
Sont-ils Français ? Oui, souvent. Sont-ils d’origine immigrée? Fréquemment, ce qui est logique dans ces quartiers multiculturels et multiethniques. Ont-ils des antécédents judiciaires? Très souvent non. Même les avocats s’avouent perdus. «Je suis Nanterrien. J’ai passé quelques heures les premières nuits à essayer de rencontrer des jeunes, il y en a que j’ai défendu, j’ai défendu les pères. J’ai grandi dans ces milieux-là. Il n’y a plus du tout d’accroche. En 2005, on arrivait à accrocher. Les parents arrivaient encore à accrocher les gamins», estimait l’un d’eux sur Franceinfo.
Ces adolescents agissent par groupes de 30 à 50, très organisés et mobiles. Ils sont informés par des guetteurs qui signalent les mouvements policiers. En 2005, 6056 émeutiers avaient été interpellés et 1328 écroués
Comment ils cassent et qui va payer?
La bonne nouvelle est que très peu d’armes à feu circulent. Les narcotrafiquants, qui se battent à coups de kalachnikovs à Marseille, préservent leur arsenal pour leurs règlements de compte.
Les émeutiers se battent à coups de pavés, de cocktails molotov et de mortiers de feu d’artifice achetés en ligne, souvent auprès de sociétés pyrotechniques de l'Europe de l'est. Ces arsenaux étaient déjà à l’œuvre lors des manifs contre la réforme des retraites. Les vitrines sont abattues à coups de barres de fer ou de panneaux de signalisation arrachés dans la rue. Côté dégâts, les magasins pillés n’étaient souvent pas gardés.
L’absence de vigiles ouvre une brèche, immédiatement transformée en opportunité de pillages. Conséquence: le ministre des Finances Bruno Le Maire vient d’annoncer l’allongement de la durée des déclarations de sinistres. Bref, les assurances vont payer. En 2005, 10'346 véhicules de toutes sortes avaient été brûlés, 233 bâtiments publics et 74 bâtiments privés détruits ou endommagés. Coût: entre 200 et 300 millions d’euros pour les assureurs. Le coût pour l’État n’a, lui, jamais été chiffré.