Magali Berdah a fait un rêve: devenir un shérif numérique après avoir passé une bonne partie de sa vie active à s’exhiber sur tous les écrans pour les besoins de la téléréalité. Plus question, pour cette «célébrité» de 41 ans, basée en partie à Dubaï (Émirats arabes unis), de laisser les quolibets – et bien plus encore - déferler sur les réseaux sociaux dont elle a si abondamment profité pour se construire sa notoriété et son agence de communication Shauna Events. Devenue patronne et présentée partout comme la «papesse» des influenceurs, l’intéressée voit désormais d’un œil plus favorable la régulation. Au point de se trouver, pour promouvoir sa cause, la plus médiatique des cibles: le milliardaire Elon Musk lui-même.
Berdah-Booba-Twitter
La bataille engagée ce mardi 18 avril devant la justice française par Magali Berdah ne porte pas directement contre l’actuel propriétaire de Twitter. Elle concerne son réseau social acquis fin 2022 pour 44 milliards de dollars, contre lequel elle a décidé de porter plainte pour «complicité de cyberharcèlement», estimant que Twitter a laissé son ennemi intime, le rappeur Booba, utiliser son compte de plusieurs millions d’abonnés pour l’insulter et la discréditer.
Règlement de comptes entre personnalités toujours à la recherche de lumière? Pas faux. Mais cette fois, l’affaire n’est pas qu’un duel d’egos à la recherche effrénée de nouveaux followers. Elon Musk pourrait, un jour, se retrouver dans le collimateur de la justice française au titre des articles 222-33-2-2 (harcèlement) et 121-7 (complicité) du Code pénal. Un affrontement qui intervient pile quelques jours après le vote le 30 mars, par l’Assemblée nationale française, d’une loi destinée à encadrer l’activité des influenceurs qui utilisent leur «notoriété pour communiquer au public par voie électronique des contenus visant à faire la promotion, directement ou indirectement, de biens, de services ou d’une cause quelconque en contrepartie d’un bénéfice économique ou d’un avantage en nature».
L’idée de Magali Berdah est évidemment de faire jurisprudence et de maximiser une fois de plus son impact dans les médias, à l’heure où Twitter est sur la sellette en France, après la confirmation par la Cour de cassation de sa condamnation de 2021 pour modération défaillante. Bien joué. Depuis le dépôt de la plainte, l’influenceuse est invitée sur tous les plateaux et ne se prive jamais de pilonner Booba, le rappeur qui promeut une campagne «anti-influenceurs», accusant ces derniers d’avoir escroqué des milliers de fans, en particulier des jeunes.
Sauf qu’en réalité, l’affaire est plus complexe. Même s’il est pointé du doigt comme un bad boy depuis sa mémorable bagarre avec le rappeur Karis dans le hall de l’aéroport d’Orly en août 2018, le musicien natif de Boulogne-Billancourt, près de Paris, Booba, alias «Le Duc» pour ses fans, a soulevé un vrai problème repris par le législateur.
Peut-on considérer les «influenceurs», soutenus par des marques commerciales, comme des internautes ordinaires, voire comme des artistes? Leur impact sur la jeunesse doit-il être surveillé? Une guerre numérique s’est donc engagée. Instagram a banni Booba. Sur Twitter, un hashtag #SoutienBooba a été créé, alors que le compte du rappeur a été plusieurs fois suspendu. «Le réseau social ne peut ignorer, estiment les avocats de Magali Berdah cités par «Le Monde», que Booba ne respecte pas les règles de la plateforme ni la loi, d’autant que «plusieurs enquêtes ont été ouvertes et ont conduit à l’interpellation à ce jour de 23 personnes dont 18 sont convoquées devant le Tribunal correctionnel».
Twitter, champ de bataille
La vérité est que Twitter est aujourd’hui un champ de bataille. Et qu’Elon Musk voit d’un assez bon œil les polémiques du type Berdah-Booba y prospérer, lui qui a rétabli le compte de l’ancien président américain Donald Trump et qui vient de faire supprimer les pastilles bleues des comptes référencés, pour y substituer en France un label disponible sur abonnement, à 9,80 euros par mois.
La vérité est aussi que la prolifération désordonnée des «influenceurs», soutenus par des émissions de téléréalité financés par la publicité, transforme le paysage médiatique et culturel. Les chanteurs et chanteuses de rap, dont les refrains flirtent souvent avec la violence, sont-ils plus coupables que des célébrités prêtes à tout pour vendre leurs produits et les placer? Où commence et où finit le harcèlement lorsqu’il s’agit de personnalités publiques qui se mettent en permanence en scène?
Dans «Le Monde», l’avocate de la «papesse des influenceurs» a tranché. Sa cliente est victime. Point. «Depuis près d’un an, Elie Yaffa, plus connu sous le nom de Booba, utilise quotidiennement son compte Twitter, sur lequel il est suivi par 6 millions de personnes, pour publier des messages et montages dénigrants, haineux, mensongers, et inciter au cyberharcèlement de Mme Berdah […] Twitter a intentionnellement continué de fournir à Monsieur Yaffa ses services malgré les démarches engagées en ce sens et les multiples signalements adressés». «Si Twitter était condamné pour complicité de cyberharcèlement, ce serait une première […] Il n’y a pas de jurisprudence française qui condamne pour complicité par fourniture de moyen un fournisseur de service d’hébergement», a confirmé un autre juriste au quotidien français.
Confusion juridico-numérique
De cette confusion juridico-numérique, et en plein débat public sur le rôle politique des influenceurs, la proposition de loi sur l’encadrement des influenceurs mérite d’être suivie de près. Elle doit être maintenant débattue au Sénat, où Magali Berdah était d’ailleurs auditionnée le 13 avril.
Le résumé du texte législatif est éloquent: «Au quotidien, des millions de Françaises et de Français sont confrontés aux dérives de certaines personnalités appelées influenceurs, suivis par plusieurs millions de personnes – en particulier mineures – sur les réseaux sociaux, notamment dans la promotion trompeuse voire dangereuse, d’objets, de fournitures ou de services. Et à ce jour, aucune réglementation n’existe […] Face à ce constat, la proposition de loi entend encadrer l’influence sur les réseaux sociaux, le statut des personnalités qui l’exercent et des agences qui l’organisent. Le texte vise ainsi à lutter contre la propagation de pratiques commerciales trompeuses ou frauduleuses sur Internet pour que le monde de l’influence ne soit plus une zone de non-droit.»