Emmanuel Macron a un problème: il ne comprend plus les Français. Impossible, mercredi soir 26 octobre, de ne pas être gagné par ce sentiment de lassitude qui se dégageait de son intervention télévisée. Les arguments demeuraient impeccables, tous au service de son nouveau leitmotiv: une France du plein-emploi d’ici la fin de son second mandat présidentiel en avril 2027.
Sur Emmanuel Macron
La pédagogie de la complexité, son point fort qui décourage souvent ceux qui l’écoutent, était comme d’habitude au rendez-vous. Mais qu’importe les chiffres, les précisions, les contextualisations: le locataire de l’Elysée est aujourd’hui déphasé. Dans un pays étrangement fourbu, replié sur lui-même dans l’attente de l’hiver et plus fracturé que jamais, Emmanuel Macron, avec l’énergie de ses 44 ans et la conviction «qu’il n’y a pas de majorité alternative» tourne de plus en plus à vide.
Le télétravail est devenu l’horizon professionnel
La raison de ce déphasage est toute simple: une grande partie de la population, peut-être la majorité des Français, n’a pas envie d’explications. Le télétravail est devenu l’horizon professionnel privilégié. Dans un pays sous perfusion sociale habitué depuis si longtemps au chômage de masse, le plein emploi est un brouillard.
Malgré ses problèmes (et ils sont sérieux), le parc nucléaire qui fournit 70% de l’électricité consommée est perçu comme un rempart énergétique. La guerre en Ukraine reste perçue comme lointaine, et l’antiaméricanisme latent dans la société française ravive régulièrement la fibre russe, et l’envie de s’asseoir le plus tôt possible à la table de négociations avec Vladimir Poutine.
Les Français veulent la paix et qu’on leur fiche la paix, convaincu que les pouvoirs publics déverseront de toute façon ce qu’il faut de subventions pour calmer le jeu et alléger (un peu) leurs factures dopées par l’inflation. Emmanuel Macron se retrouve dans la position du cycliste en montagne, contraint de pédaler sans cesse plus fort mais inquiet de ne pas apercevoir le col libérateur. Tandis que, pendant ce temps, même ses proches collaborateurs commencent à compter les semaines jusqu’à 2027, ce scrutin qu’il ne pourra pas contester, après deux mandats présidentiels.
Le pire est, en plus, que ce surdoué de la politique, souvent lucide sur le diagnostic d’une République déprimée en mal de projet fédérateur, n’a toujours pas appris à déléguer et à se taire. Pas mal d’observateurs de la politique française estiment que sa première ministre Élisabeth Borne, technocrate rigide mais tenace de 61 ans issue de la gauche modérée, a le profil qu’il faut pour encaisser le choc social et dompter les colères. Tempérament pugnace. Austérité à revendre. Souffrances personnelles (son père Joseph Bornstein, rescapé des camps de concentration, se suicida à 49 ans) et parcours méritocratique incontestable.
Seulement voilà: même s’il n’est plus «Jupiter», le dieu des dieux en politique, Emmanuel Macron se voit toujours «Poseidon», le dieu des mers seul capable de dompter les flots et de marcher sur l’eau. Erreur. Un président peut aussi couler. Ou se fracasser sur des icebergs de contestation.
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Retrouver une capacité à mobiliser
Ce n’est pas un cap qui manque à ce Chef de l’État dont les fondamentaux – libéralisme économique mâtiné de social, attractivité industrielle, souveraineté européenne, conviction que l’autorité de l’État fait trop défaut – restent bien en place.
C’est une capacité à remobiliser. Le «disrupteur» Macron de 2017 s’est effacé devant le haut fonctionnaire convaincu qu’in fine, tout est affaire de chiffres, de statistiques et de fin de mois. Comme si combattre les illusions sociales assénées à gauche de la gauche par Jean-Luc Mélenchon et à droite de la droite par Marine Le Pen, pouvait se faire en infligeant aux téléspectateurs de (brillantes) leçons sur l’état réel du pays.
Le silence, comme gage d’autorité
S’il veut reprendre l’avantage et passer le col de ce second quinquennat, Emmanuel Macron doit impérativement retrouver des alliés, en politique et au sein de la société civile. Et il devrait pour cela davantage se taire, utilisant son silence domestique comme gage d’autorité. Négocier suppose d’être prêt à décider autrement.
Eprouvée par les «Gilets jaunes», assommée par la pandémie de Covid-19, écartelée par les extrêmes et déstabilisée par cette guerre en Ukraine qui bouleverse l’Union européenne et l’axe Paris-Berlin, la France a considérablement changé depuis 2017.
Revenir vers les Français en cours de mandat, via une dissolution de l’Assemblée ou un référendum, pourrait bien être une solution. D’ici là, pour sauver son mandat, ce président ferait mieux d’écouter que de parler sans cesse.