Un ministre français nous avait avertis. Quelques semaines avant l’élection présidentielle d’avril dernier, Bruno Le Maire l’avait admis devant plusieurs correspondants étrangers: la relation personnelle entre Emmanuel Macron et Olaf Scholz risquait de réserver de mauvaises surprises. «Ils sont aux antipodes côté tempérament. Ce ne sera pas simple de se comprendre», avait pronostiqué le ministre des Finances.
Bien vu. Depuis la réélection du président français, et alors que le Chancelier allemand a fêté, le 26 septembre, le premier anniversaire de la victoire de son actuelle coalition aux élections législatives, les deux hommes manquent singulièrement d’atomes crochus. Le tempérament de joueur de Poker de Macron, toujours porté vers le coup d’après, n’est guère prisé du très prudent Scholz, ancien maire de Hambourg, ce port commercial où il verrait bien s’installer des investisseurs chinois. Le Chancelier se rendra d’ailleurs dans une semaine à Pékin. Après avoir pris soin, ce mercredi 26 octobre, de clarifier l’agenda commun avec la France lors d’un déjeuner de travail à l’Elysée.
Le 22 janvier 1963, le traité de l’Elysée était signé
L’Elysée. En Allemagne, le nom du palais présidentiel, à Paris, est d’abord celui du traité d’amitié signé avec la France le 22 janvier 1963. Soit il y aura bientôt soixante ans. Or, dans la capitale française, beaucoup se demandent si Olaf Scholz l’a lu. La preuve: le locataire de la Chancellerie préfère, depuis le début de la guerre en Ukraine, miser sur les Etats-Unis et sur l’OTAN, l’Alliance Atlantique, pour tout ce qui concerne la défense européenne.
Le 12 octobre, sa première initiative diplomatique importante depuis le début de la guerre en Ukraine a ainsi concerné le lancement d’un bouclier anti-missiles basé sur le système de défense antiaérien israélien Arrow III.
Une douzaine de pays de l’OTAN lui ont aussitôt emboîté le pas… sans que l’Allemagne y ait associé la France. Une initiative synonyme de défiance. D’autant que dans son grand discours consacré à l'avenir de l’Europe, prononcé le 29 août à Prague, l’énigmatique Chancelier de 64 ans n’a presque pas cité le «couple franco-allemand». Ce que ses adversaires de la CDU, le parti chrétien-démocrate, lui ont vertement reproché.
Mais que veut Olaf Scholz?
Que veut Olaf Scholz? Comment fonctionner avec un Chancelier social-démocrate qui, contrairement à la conservatrice Angela Merkel, ne semble pas très désireux de travailler les projets communs en amont, entre Paris et Berlin? L’ex-Chancelière avait, il est vrai, l’avantage de la séniorité et de l’expérience. Elle avait vu passer trois présidents de la République: Nicolas Sarkozy, son complice forcé de la crise financière de 2008-2010; François Hollande, partenaire qui la laissait souvent indifférente, et Emmanuel Macron, dont elle a très vite salué la vélocité intellectuelle.
Macron-Merkel: 44 ans pour le premier, 69 ans pour l’ex-Chancelière. Entre le jeune haut fonctionnaire français et la fille de pasteur protestant de RDA, une connivence s’était installée. Or, avec Olaf Scholz, cette bienveillance s’est évaporée. Trop peu d’échanges d’idées. Trop peu d’appétit pour des solutions communes, toujours perçues comme des complications par un Chancelier pressé d’aller à l’essentiel: la sauvegarde coûte que coûte de l’industrie germanique menacée par le grand séisme économique mondial. «Il manquait au discours de Prague de Scholz une ambition pour faire progresser la démocratie européenne» regretteraient, dans une récente tribune publiée par «Le Monde», le patron du parti socialiste français Olivier Faure et l’eurodéputée Sylvie Guillaume.
Scholz, moins enclin à céder qu’Angela Merkel
Avant de nuancer: «Les critiques faites récemment à l’Allemagne sont soit inquiétantes, soit étonnantes. Certains rejettent les thèses de Scholz au nom de la défense de la souveraineté française, triste rengaine frileuse et défensive. D’autres stigmatisent le plan allemand de soutien à l’économie de 200 milliards d’euros. Dans tous les cas, rien ne sert de condamner avant d’avoir discuté. Nos intérêts peuvent être différents et les discussions difficiles, mais nous devons dialoguer avec acharnement.»
La vérité est qu’Olaf Scholz a aujourd’hui moins de raisons qu’Angela Merkel de répondre oui aux sollicitations françaises. Par exemple pour un nouveau plan de relance européen à base d’emprunts communautaires. Sous Merkel, l’industrie allemande profitait à plein de la mondialisation et notamment des marchés asiatiques. Les dépenses consacrées à la défense restaient minimes, au point que l’actuel Chancelier a décidé, peu après le début de la guerre en Ukraine, d’un plan d’investissement de 100 milliards pour la Bundeswehr. Le gaz russe coulait à flots dans les tuyaux.
Olaf Scholz, lui, est le patron d’un pays déstabilisé, comptable des années Merkel. L’énergie manque. Les clients asiatiques courtisent moins le puissant secteur automobile. Les Etats-Unis, avec leurs bases en Allemagne, font pression pour vendre leur matériel militaire. Pas étonnant, dès lors, que le Chancelier tarde à investir dans le projet franco-allemand d’avion du futur (SCAF) ou dans le char MGCA (système de combat terrestre). Les industriels des deux pays restent concurrents à l’international. Arbitrer entre les uns et les autres prend du temps. Paris est une escale obligée, mais toujours compliquée. Et en plus inévitablement coûteuse sur le plan budgétaire.
Le refus du nucléaire
Olaf Scholz porte aussi un autre boulet aux yeux de la France: son refus de redémarrer un programme nucléaire. Sa décision de prolonger jusqu’en avril 2023 la vie des trois centrales encore en service n’est qu’un pansement. Rouvrir le débat sur le nucléaire civil, abandonné par Angela Merkel en 2011, imposerait une nouvelle procédure parlementaire, assurée de faire exploser sa coalition avec les écologistes. «On a l’impression qu’Olaf Scholz a du mal à trouver sa place sur la scène européenne et qu’il est incapable d’y porter quelque chose de fort», expliquait Eric Maurice, de la Fondation Schuman, dans «Libération». «Scholz a du mal à être à la hauteur de l’histoire» assène Thierry Chopin, un autre expert de l’UE, dans le même journal.
Emmanuel Macron a intérêt, ce mercredi, à soigner le menu de son déjeuner avec le Chancelier. Pour le moment, et avant même que le repas commence, l’heure est plutôt, en France, à l’indigestion.