Bosser avec Macron, possible?
Le job de Premier ministre français est impossible

Elisabeth Borne a donné sa démission. L'actuel ministre de l'Éducation Gabriel Attal est donné comme favori pour la remplacer au poste de Premier ministre. Mais diriger le gouvernement en France est un job impossible. Voici pourquoi.
Publié: 08.01.2024 à 20:43 heures
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Dernière mise à jour: 09.01.2024 à 10:15 heures
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Elisabeth Borne dirigeait le gouvernement français depuis mai 2022. Elle faisait face à une Assemblée nationale sans majorité absolue pour le camp présidentiel.
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Richard WerlyJournaliste Blick

C’est un job impossible. Diriger le gouvernement français, dans un système présidentiel où toutes les décisions remontent au chef de l’État, est un casse-tête infernal. Officiellement, le Premier ministre est le chef de la majorité parlementaire. Sauf que depuis les élections législatives de juin 2022, celle-ci est relative. Il manque une quarantaine de députés à Emmanuel Macron pour faire voter ses lois. D’où les 23 recours à l’article 49.3 de la constitution par Elisabeth Borne pour faire adopter des textes législatifs sans vote.

Alors, mission impossible? Oui, mais certains s’en sont mieux tirés que d’autres. Explications.

Premier ministre, le collaborateur

La constitution française de la Ve République est claire. Le pays est dirigé par le président, élu au suffrage universel. Le chef de l’État français a d’ailleurs plus de pouvoirs, en comparaison, que le président des États-Unis puisque celui-ci ne peut pas dissoudre le Congrès. Emmanuel Macron lui peut, comme ses prédécesseurs, renvoyer les députés devant leurs électeurs. Nicolas Sarkozy avait traité son Premier ministre François Fillon de «collaborateur». Macron en a tiré les conséquences: après le choix politique d’Edouard Philippe (2017-2020) il a nommé successivement deux hauts fonctionnaires pour diriger le gouvernement: Jean Castex (2020-2022) puis Élisabeth Borne, qui vient de démissionner.

Premier ministre, l’éternel second

Là aussi, la constitution est intraitable. Le Premier ministre peut, à tout moment, être remercié par le président. Il faut donc, pour accepter ce poste, être capable de jouer le rôle de second, tout en étant responsable devant l’Assemblée nationale (qui peut voter une motion de censure) et diriger de facto l’administration. Sauf qu’en politique française, rares sont les seconds qui aiment ça. Raymond Barre (1976-1981), Edouard Balladur (1993-1995), François Fillon (2017-2022), Manuel Valls (2014-2017) se sont ensuite présentés à la présidentielle, et ils ont échoué. Un seul Premier ministre a réussi à accéder à l’Élysée depuis 1969 et Georges Pompidou: Jacques Chirac. Il avait auparavant, le 24 août 1976, claqué la porte de Matignon où l’avait nommé Valéry Giscard d’Estaing.

Premier ministre, la cible

Le chef du gouvernement prend tous les coups politiques. La preuve a été apportée par Élisabeth Borne qui a fait le boulot au risque d’aggraver son impopularité. La Première ministre sortante a fait adopter sans vote la réforme des retraites, puis la loi sur l’immigration fin 2023. Elle a affronté la colère des oppositions. Toute une partie de la haute administration lui a reproché d’oublier ses convictions socialistes. Si elle revient à l’Assemblée nationale, Élisabeth Borne sera une cible. Dur.

Premier ministre, le fardeau

Savez-vous quelles sont, en France, les réunions les plus importantes pour la bonne marche de l’État? Il s’agit des réunions interministérielles, sous l’autorité du directeur de cabinet du Premier ministre. Ce dernier réunit tous les directeurs de cabinet des ministres. Être chef du gouvernement en France, c’est être un chef de gare. C’est vous qui faites rouler les trains, dont les conducteurs regardent toujours du côté de l’Élysée. Fardeau avant tout domestique, car le président est le chef des armées et le patron de la diplomatie, son «domaine réservé».

Premier ministre, la loi masculine

Seules deux femmes ont jusque-là occupé le poste de Premier ministre en France. La première fut la socialiste Édith Cresson (mai 1991-avril 1992). La seconde est Élisabeth Borne, qui occupait ce poste depuis mai 2022. Quelle leçon en tirer au moment où tous les noms cités pour lui succéder sont des noms masculins: le ministre de l’Éducation Gabriel Attal, celui de la Défense Sébastien le cornu, l’ex ministre de l’Agriculture Julien Denormandie. La réalité est que la politique française, malgré la parité, reste dominée par des logiques masculines de pouvoir. C’est aussi pour ça que la cheffe du gouvernement sortante a suscité la sympathie, malgré son manque de charisme. Diriger le gouvernement en France, une mission taillée sur mesure pour un mec?

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