Les 66 députés français socialistes et apparentés ont entamé, lundi 3 février, une semaine en forme d’épreuve de vérité politique. S’ils décident, comme leur parti l’a annoncé, de ne pas voter les deux motions de censure présentées par La France Insoumise (LFI, gauche radicale), le gouvernement de François Bayrou survivra.
Le pays aura in extremis un budget pour 2025. Et l’union électorale de la gauche lancée lors des élections législatives des 30 juin et 7 juillet 2024 (qu’elle a remportées de justesse, sans atteindre toutefois la majorité) aura fait son temps.
Ces 66 députés (sur 577 élus) résument à eux seuls la situation politique de la France, à deux ans de l’échéance du second mandat présidentiel d’Emmanuel Macron, qui s’achèvera en mai 2027. Si l’on en croit leurs professions de foi électorales lors des législatives de l’an dernier, tous ont promis de se battre pour plus de dépenses publiques, et de faire barrage à la très controversée réforme des retraites adoptée en 2023.
Le barrage au RN
Mieux: tous, ou presque, ont été élus dans leurs circonscriptions (le système français est majoritaire à deux tours, avec au moins deux députés par département) avec le soutien des autres formations de gauche, mais aussi avec parfois l’appui de la droite traditionnelle pour faire barrage au Rassemblement national (droite nationale populiste). Cela a été le cas, par exemple, pour l’ancien président de la République François Hollande, redevenu député PS de la Corrèze.
Or voilà que cette soixantaine de députés doit, cette semaine, prendre trois décisions qui décideront de l’avenir du pays. Et peut-être de la survie politique de leur parti. La première décision à prendre est de savoir s’ils mêlent leurs voix à celles de la gauche radicale, des écologistes, des communistes, et peut-être du Rassemblement national, pour rejeter le budget de l’Etat et celui de la sécurité sociale. S’ils s’abstiennent à deux reprises cette semaine, la censure ne sera pas votée.
Ils pourront mettre en avant quelques concessions, comme le renoncement à des milliers de suppressions de poste dans l’enseignement. Mais ils auront permis la survie du centriste François Bayrou à la tête d’un gouvernement composé de ministres centristes, de droite, et de quelques anciens du PS. Un compromis louable pour le pays, mais qui ne leur rapportera rien.
Assumer la rupture
La seconde décision, plus compliquée, est d’assumer ou non la rupture avec le Nouveau Front Populaire (NFP), cette alliance de gauche sans laquelle beaucoup n’auraient jamais été élus. Or l’arithmétique est impitoyable: en France, la gauche divisée perd toujours. C’est vrai sur le plan local, et encore plus à la présidentielle. Si les socialistes ne parviennent pas, d’ici aux municipales de mars 2026, à conclure d’autres alliances, ils se retrouveront donc marginalisés et dos au mur.
Troisième décision plus douloureuse encore: les socialistes français doivent répondre aux défis économiques et sociaux du moment. Le pays accusera en 2025 5,4% de déficit budgétaire. Sa dette publique dépasse les 3300 milliards d’euros. L’immigration est un thème explosif, que François Bayrou aborde désormais avec un discours musclé, évoquant le sentiment de «submersion migratoire».
Un «conclave» social de trois mois a par ailleurs été mis sur pied pour décider, ou non, des nouveaux contours de la réforme des retraites, à condition de ne pas remettre en cause son impact financier: + 17 milliards d’euros pour les comptes publics. Qu’est-ce que le PS social-démocrate peut proposer sur ces sujets? Est-il simplement un supplétif du centre et de la droite?
Dissolution de tous les dangers
Le paradoxe est total. Les 66 députés français socialistes et apparentés (huit avaient voté la précédente motion de censure qui n’avait pas recueilli la majorité, le 16 janvier) sont pris dans une contradiction potentiellement fatale: faire des compromis au nom de la stabilité politique.
Au risque de se saborder aux yeux de leur électorat et d’apparaître comme des «traîtres» aux yeux des électeurs de gauche furieux du refus d’Emmanuel Macron de tenir compte de la courte victoire du NFP aux législatives provoquées par sa dissolution de tous les dangers.