À quoi sert encore le Parti socialiste (PS) français? Sur le papier, la formation politique sociale-démocrate née en 1969 dans les décombres de la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO) est de nouveau une force parlementaire importante. Pas moins de 66 députés socialistes et apparentes ont été élus lors des législatives des 30 juin et 7 juillet, grâce à l’union de la gauche, sous l’étiquette du Nouveau Front Populaire (NFP).
L’ancien président de la République François Hollande (2012-2017) fait partie de ces élus, puisqu’il a retrouvé sa circonscription de Corrèze. Un grand retour donc, comme l’on pourrait le croire en scrutant les cogitations de ses membres ces jours-ci, à l’université d’été de Blois (Loir et Cher)? Rien de moins sûr. Car le PS qui gouverna la France sous la présidence de François Mitterrand (1981-1995), sous le gouvernement de Lionel Jospin (1997-2002) puis sous le quinquennat Hollande, est divisé sur l’essentiel: à savoir l’exercice du pouvoir.
Le plus frappant au sein de cette formation que François Mitterrand, venu de la droite, utilisa pour son ascension jusqu’au Palais de l’Élysée, est son absence de programme politique en 2024. En théorie, le PS est social-démocrate, pro-européen, et positionné au centre gauche, à l’image du SPD allemand ou du parti démocrate italien. Sauf que la théorie n’a rien à voir avec la pratique.
Car deux hommes l’ont fait exploser et continuent de vouloir sa mort. Le premier est l’actuel président Emmanuel Macron, qui a débauché depuis dix ans plusieurs de ses figures. Le second est le leader de la gauche radicale Jean-Luc Mélenchon, ancien du PS, qui n’a jamais pardonné à son parti le flirt avec le centre.
La tenaille implacable
Macron-Mélenchon: telle est la tenaille que le PS ne parvient pas à desserrer. Et pour cause: s’il accepte de gouverner avec Macron, voire de fournir un premier ministre au président, le parti socialiste devra rompre l’alliance du Nouveau Front Populaire (NFP). Ses députés devront alors voter les projets de lois qui seront sans doute pourfendus par la France Insoumise de Jean-Luc Mélenchon (gauche radicale).
Son premier secrétaire Olivier Faure, tenant de l’union et du refus de la main tendue de Macron, sera mis en minorité. Faure et les siens, critiqués par une partie de leurs collègues, défendent eux la solution du NFP; à savoir la nomination à la tête du gouvernement français de Lucie Castets, une technocrate parisienne non élue choisie par le NFP, connue pour sa volonté de défendre les services publics et de fiscaliser lourdement les classes les plus aisées.
Le PS français est supposé, comme dans de nombreux pays européens, incarner «la gauche de gouvernement». Une gauche réformiste et pas seulement contestataire. Une gauche qui ne rompt pas avec l’orthodoxie budgétaire. Une gauche qui ne met pas en péril les engagements européens de la France. Cette gauche, un homme l’a incarné avec succès durant les récentes élections européennes: Raphaël Glucksmann, personnalité non-membre du PS mais portée à la tête de sa liste. Sauf que le peuple de gauche, lui, attend autre chose.
Une bonne partie des électeurs de ce camp politique veulent l’abrogation du report à 64 ans de l’âge légal de départ à la retraite. Ils soutiennent l’idée de porter le salaire minimum à 1600 euros mensuel (ce qui oblige les entreprises à payer environ 2800 euros avec les charges). À quoi bon gouverner, donc, si ce n’est pas pour obtenir autre chose que la politique suivie jusque-là par les gouvernements successifs durant la présidence Macron?
Hanté par ses démons
Le PS Français est aussi hanté par ses démons. Et ils sont nombreux. Prenez son ancienne candidate à l’élection présidentielle de 2007, Ségolène Royal. Celle-ci a quitté le parti, n’a plus de mandat électif, et se dit «disponible» pour le poste de premier ministre. Bang. Prenez l’ancien chef de gouvernement Bernard Cazeneuve, qui assura la fin du quinquennat de François Hollande. Il est, dit-on, l’un des noms favoris testés par Emmanuel Macron pour former un gouvernement de coalition avec le centre droit et la droite. Ah bon? Alors, à quoi sert d’être de gauche dans un pays où les clivages politiques reviennent au galop, après avoir été bousculés par l’actuel chef de l’État?
Le parti socialiste a, pour patrimoine, de très grands noms de la politique française comme Jean Jaurès avant la Première Guerre mondiale, Léon Blum dans l’entre-deux-guerres ou Mitterrand ensuite. Il a façonné la France moderne, et son modèle à la fois étatiste et libéral. Il est un peu devenu le parti des fonctionnaires après avoir été longtemps celui de la classe moyenne.
Mais les temps ont changé. La gauche radicale a beau être insupportable pour beaucoup d’électeurs, elle a des idées. Les écologistes ont beau énerver, leurs propositions coïncident avec l’air du temps. L’Europe est le cheval de bataille privilégié d’Emmanuel Macron. Que restera-t-il pour ce parti socialiste, s’il renonce à des réformes sociales pour emboîter le pas au président qui ne peut pas se représenter en 2027?
Ancrage régional
Une force demeure pour le PS: son ancrage régional. Ses territoires. C’est pour cela que la présidente de la région Occitanie Carole Delga prend souvent la parole. Deux PS coexistent en fait: celui des élus territoriaux, ancrés dans les réalités, et celui des élus nationaux, en mal d’identité à défendre.
Emmanuel Macron, venu du PS avec lequel il flirta un temps, avait peut-être raison sur un point: le parti socialiste n’est, au niveau national, qu’une machine électorale. D’où son insistance à lui proposer des postes, sans engagement clair sur la politique à suivre.