Andreï Sannikov connaît parfaitement le dirigeant biélorusse, Alexandre Loukachenko. Lorsque ce dernier est devenu président en 1994, l'ex-diplomate a travaillé sous ses ordres en tant que ministre adjoint des Affaires étrangères, mais il a rapidement quitté ses fonctions en signe de protestation. Un documentaire sur le dissident, intitulé «This Kind of Hope», sera présenté aux Journées cinématographiques de Soleure. Andreï Sannikov y déclare que «Loukachenko est venu avec l'objectif de ne plus jamais partir».
Blick s'est entretenu avec lui au sujet de son combat contre le dictateur de Minsk assujetti à Vladimir Poutine et sur l'implication de la Biélorussie dans la guerre en Ukraine voisine.
Le président russe, Vladimir Poutine, a annoncé qu'il impliquerait des soldats biélorusses dans la guerre. Pourquoi cela ne s'est-il pas encore produit?
Parce que Vladimir Poutine n'a pas encore donné cet ordre. Mais la Biélorussie est déjà en pleine guerre. L'invasion en direction de Kiev a commencé depuis la Biélorussie, et les récentes attaques de missiles proviennent également de mon pays. Vladimir Poutine gère ses troupes sur le sol biélorusse comme il l'entend.
Quand aura lieu une nouvelle invasion de l'Ukraine depuis la Biélorussie?
Quand, je ne peux pas le dire. Mais il y a des préparatifs. Vladimir Poutine doit faire quelque chose pour pouvoir donner un nouveau tournant à la guerre.
Quelle est l'importance de votre pays pour le chef du Kremlin?
Il n'y a que 80 kilomètres entre la Biélorussie et Kiev. Sans le soutien d'Alexandre Loukachenko, Vladimir Poutine ne pourra pas atteindre la capitale ukrainienne avec ses troupes et ne pourra jamais gagner la guerre. Il a besoin du chef d'État biélorusse pour montrer au monde qu'il n'est pas seul.
À quel point Alexandre Loukachenko et Vladimir Poutine sont-ils proches?
Ils se détestent!
Mais ils ont besoin l'un de l'autre...
Ils se soutiennent mutuellement pour survivre. C'est une relation entre criminels – entre mafieux. Sans Alexandre Loukachenko, il n'y aurait pas eu cette guerre.
Quelle est l'ampleur du soutien à cette guerre, en Biélorussie ?
Seuls les incultes et les criminels sont derrière Vladimir Poutine. Dans l'armée, il y a beaucoup de gens qui ont manifesté contre Alexandre Loukachenko il y a quelques années. Si ce dernier leur donne l'ordre d'intervenir, ils retourneront leurs armes contre lui et non contre les Ukrainiens.
Pourquoi entend-on si peu parler de l'opposition biélorusse?
L'opposition est en prison. Notre révolution a commencé en 2020, mais elle a été écrasée. Beaucoup de mes amis ont été tués ou emprisonnés. J'ai dû quitter mon pays.
Poutine fait une propagande de guerre massive pour convaincre le peuple russe que l'engagement militaire est une bonne chose. Une telle propagande existe-t-elle aussi en Biélorussie?
En Biélorussie, on essaie de copier la propagande russe. Elle agit surtout à la télévision, qui est contrôlée et ne fait que des reportages pro-russes. Sur Internet, certains sites sont bloqués.
Ces jours-ci, des représentants de l'envahisseur ont prononcé le mot «troisième guerre mondiale». Jusqu'où le président russe ira-t-il encore?
Jusqu'à sa fin. Il n'a pas d'autre possibilité, car il s'est lui-même mis dans une situation où il va tout perdre. Il a pratiquement le monde entier contre lui.
Pensez-vous qu'Alexandre Loukachenko regrette désormais d'avoir coopéré avec Vladimir Poutine?
Les mafieux ne regrettent pas leurs actes. Il a fait passer beaucoup d'argent dans sa propre poche et continuera à exploiter le peuple. Il regrette tout au plus de ne pas être devenu lui-même tsar au Kremlin. Il avait en effet de tels projets en 1996, lorsque la fin du président de l'époque, Boris Eltsine, approchait.
Vous vous êtes présenté contre le dirigeant biélorusse lors des élections de 2010. Où auriez-vous conduit le pays en tant que président?
Vers l'ouest, dans l'Union européenne et l'OTAN. Nos droits y seraient mieux protégés.
Alexandre Loukachenko prétend le contraire.
C'est précisément pour cela que je me bats contre lui.
Comment se présente votre combat aujourd'hui?
Je n'ai jamais quitté le service diplomatique pour mon pays. Je fais ce que j'ai toujours fait. À l'époque, je mettais en garde contre une attaque russe contre l'Ukraine, et aussi contre la Lituanie et la Pologne. Aujourd'hui, j'informe le monde de ce qui se passe dans mon pays.
Quand pourrez-vous retourner dans votre pays?
Dès qu'il sera libéré.
Quand cela sera-t-il le cas?
Bientôt, dans un avenir proche.
Vous présenterez-vous à nouveau comme candidat à la présidence?
Cette question n'est pas au premier plan pour le moment. Je serai certainement actif sur le plan politique. Mon équipe est toujours en place. Une fois le dictateur parti, le travail de reconstruction ne fait que commencer.
Comment la Suisse doit-elle agir envers Alexandre Loukachenko?
Ne pas conclure de deals avec le dictateur et exercer davantage de pression par des sanctions. Si la pression est suffisamment forte, les prisonniers politiques seront libérés. J'en suis sûr.
Bien que vous n'aimiez pas être sous les feux de la rampe, vous avez fait réaliser un film sur vous, dont la première a lieu au festival de Soleure. Quel est votre objectif?
Je veux montrer le danger que représente Alexandre Loukachenko et faire en sorte que les choses changent. Et je souhaite qu'il y ait bientôt une suite au film, dans laquelle on pourra aussi montrer les beaux côtés de mon pays.