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Comment Céline Dion est redevenue l’idole de toutes les générations

Alors que le manque d’inspiration, l’américanisation de ses performances, puis la maladie, l’ont tenue éloignée d’un public européen jeune pendant des années, Céline Dion est redevenue une star internationale en quelques mois. Récit d’un improbable come-back.
Publié: 02.11.2024 à 09:28 heures
Céline Dion a illuminé le ciel de Paris lors de l'ouverture des Jeux olympiques cet été.
Photo: IMAGO/Photo News
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Margaux BaralonJournaliste Blick

«Le ciel bleu, sur nous peut s’effondrer… Et la Terre peut bien s’écrouler…» Lorsque les paroles de «L’Hymne à l’amour» résonnent, ce 26 juillet 2024, dans l’air parisien, le ciel n’est pas bleu du tout, mais la Terre semble bien vaciller. Au bout de la soirée, au terme d’une cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques qui suscite des réactions polarisées, tout le monde se met (enfin) d’accord. Pas tant sur Edith Piaf, l’interprète originelle de cette chanson culte si française et si internationale à la fois – elle a été reprise cinq fois en anglais, notamment par Phil Collins, et pas moins de… treize fois en japonais — que sur celle qui se dresse sur la Tour Eiffel pour en livrer sa version.

Éclatante dans une robe Dior spécialement créée pour elle, Céline Dion apparaît comme une figure quasi christique découpée dans l’obscurité. Trois minutes et trente secondes de perfection plus tard, le doute n’est plus permis: Céline n’est pas seulement la reine du soir, elle est la superstar mondiale qu’elle a souvent surjouée.

Quatre ans sans chanter

Et pourtant, l’artiste québécoise revient de loin. Ce soir-là, cela fait quatre ans qu’elle n’a plus chanté sur scène. Son dernier concert remonte à mars 2020, à Newark dans l’État de New-York. Sa tournée a ensuite été interrompue par le Covid-19 et reprogrammée en Europe à l’automne 2022. En avril cette année-là, elle reporte encore d’un an, pour raisons de santé. La chanteuse dit alors souffrir de «spasmes musculaires» qui l’empêchent de soutenir le rythme infernal de ses concerts. «Je me dois d’être en pleine forme, en pleine santé, pour que je puisse donner 100% de moi-même sur la scène car c’est ce que vous méritez», explique-t-elle dans une vidéo.

Huit mois plus tard, c’est dans une mise en scène similaire, face caméra, tirée à quatre épingles, que Céline Dion annule purement et simplement toutes ses dates. Surtout, la star dit enfin la vérité. Elle est atteinte d’une maladie neurologique rare, le syndrôme de la personne raide (SPR), qui l’empêche de travailler sa voix et la paralyse parfois totalement lors de crises incontrôlables. Les moindres de ses mouvements sont entravés. «Je veux que vous sachiez que je n’abandonne pas», martèle-t-elle sur les réseaux sociaux. «Je travaille très fort pour retrouver mes forces.»

D’artiste sensible à business woman

À l’époque, la nouvelle fait bien sûr le tour du monde. Mais en laisse une partie indifférente. Car Céline Dion n’est plus tout à fait l’immense star du crépuscule du XXe siècle qu’elle a été. Impossible, évidemment, de lui dénier des capacités vocales incroyables: comme le dit à la presse québécoise le chef d’orchestre américain Kent Nagano, qui l’a auditionnée en privé dans les années 2000, «elle est vraiment une musicienne qui a l’oreille juste, un raffinement et un degré de perfection qui font l’envie». Mais la chanteuse sensible de l’album «D’eux» – sorti en 1995, et encore aujourd’hui album francophone le plus vendu dans le monde – n’a alors signé aucun véritable tube depuis longtemps. Pire: elle est devenue une femme d’affaires avant d’être une artiste.

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Elle a attiré cette clientèle aisée et légèrement senior qui dépense beaucoup
Scott Roeben, blogueur de Las Vegas
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Preuve en est, aucun de ses disques anglophones sortis dans les années 2000 ne rencontre de franche approbation. La critique américaine est assassine, pointe des paroles «sans vie», des musiques «banales» et «prévisibles», des arrangements «médiocres». Ses chansons sont jugées mielleuses. Le public achète toujours, mais moins qu’avant. À la surprise générale, la carrière scénique de Céline Dion suit la trajectoire inverse. Elle signe un contrat de trois ans avec le Caesars Palace, un hôtel-casino de luxe de Las Vegas, qui fait bâtir exprès un amphithéâtre de plus de 4000 sièges. Coût de l’opération: 95 millions de dollars. Et, sur le papier, une voie de garage pour artiste dépassée. Bilan des 723 représentations que donnera la chanteuse entre 2003 et 2007: 400 millions de recettes. Une seconde résidence viendra quelques années plus tard, enfonçant le clou de ce succès inattendu.

Des larmes et un kayak

Sur scène, le spectacle est total, les chorégraphies enflammées, les effets nombreux. En mini-robe à franges ou en tailleur, Céline Dion ne s’économise pas. Mais le centre de gravité de ses adorateurs se déplace quelque peu: le public européen est moins sensible à ces démonstrations de force ultra-sophistiquées que les fans américains. Rapprocher la pratique musicale d’une performance constante dégoûte certains. Et puis son public vieillit. «Elle a attiré cette clientèle aisée et légèrement senior qui dépense beaucoup», analyse le blogueur de Las Vegas Scott Roeben dans «Le Figaro». C’est bon pour les affaires, un peu moins pour rester tendance.

Plusieurs apparitions de la chanteuse renvoient aussi l’image d’une diva too much. Dès qu’on lui tend un micro, elle pousse la chansonnette a capella. Dès que l’occasion se présente, elle s’affiche avec son mari, René Angélil, dans des décors kitchs, avec un premier degré désarmant. En 2005, les médias se moquent de sa prise de parole larmoyante sur CNN, lorsque la Canadienne encourage à «prendre un kayak» pour sauver les victimes de l’ouragan Katrina à la Nouvelle-Orléans. À l’époque, Internet et les réseaux sociaux ne sont pas «cassés» tous les jours par une nouvelle sortie de route, et celle-ci est l’une des premières à être tournée en dérision de façon massive. Que pèse le million de dollars donné par la chanteuse pour aider les sinistrés face à une émotion qui la déborde et fait trembler sa voix?

Prise entre les feux sexistes… et féministes

En réalité, Céline Dion passe une bonne partie des années 2000 et 2010 prise entre deux feux. D’un côté, celui du prisme sexiste adopté par bien des médias et des internautes, qui ne peuvent s’empêcher de scruter son poids, critiquer sa maigreur et ses interventions esthétiques tout en n’ayant de cesse de juger les femmes plus grosses et plus âgées. Lorsque après la mort de son mari, René Angélil, décédé d’un cancer en 2016, la chanteuse multiplie les apparitions dans des tenues extravagantes, on lui demande, à la télévision française, si elle n’a pas «pété les plombs». «Non», répond d’ailleurs l’artiste dans l’émission de TF1 «50mn inside» en 2019. «Céline Dion a commencé à vivre, là.»

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Tout a été réécrit par l’industrie et les médias pour que ça ressemble à une sorte de conte de fées
Adrien Durand, critique musical
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De l’autre, sa relation avec René Angélil, justement, est perçue différemment après la vague #MeToo et la sortie en 2021 du film «Aline», librement inspiré de sa vie, curieux objet dans lequel l’actrice française Valérie Lemercier se grime en Céline Dion. L’occasion de se souvenir que la cadette d’une famille québécoise pauvre de 14 enfants a rencontré son impresario à 13 ans seulement, alors que celui-ci en a 39.

Il deviendra son mari, après des années de relation tenue secrète – et après l’avoir encouragée à refaire son nez et ses dents pour être plus jolie. «Tout a été réécrit par l’industrie et les médias pour que ça ressemble à une sorte de conte de fées, mais c’est toujours l’éternel récit d’un manager marié qui met le grappin sur une enfant pour en faire plus tard sa maîtresse», analyse le critique musical Adrien Durand auprès du média féministe «Cheek».

Un retour savamment préparé

Dès lors, Céline Dion semble ne plus pouvoir être l’idole de personne. D’autant moins si elle perd la dernière arme qui lui reste, cette voix impressionnante qu’elle travaille et muscle consciencieusement depuis des années. Comment expliquer, alors, l’impressionnant come-back qui est le sien? D’abord parce que ce qui est rare est précieux. En disparaissant de la scène, la chanteuse québécoise a rappelé qu’elle pouvait manquer. Lorsqu’elle apparaît à la cérémonie des Grammy Awards le 4 février 2024, c’est une surprise. Jusqu’au dernier moment, la star ne savait pas si elle serait en état de se mouvoir correctement. La salle se lève et l’applaudit à tout rompre.

Ensuite, parce qu’elle s’est débarrassée de son masque de star. Au mois de juin 2024, la diffusion du documentaire «I am: Céline Dion», disponible sur Prime Video, sidère. Comment cette diva intouchable, toujours si maquillée et entourée d’une armée de stylistes, peut-elle se montrer sans fard, toutes rides dehors, à moitié en pyjama? Comment cette chanteuse incroyable peut-elle approuver des séquences dans lesquelles on la voit batailler avec sa propre voix, constatant, les larmes aux yeux, qu’elle n’est plus aussi juste et cristalline qu’avant?

Dans une séquence insoutenable, on la voit victime d’une crise de SPR, incapable de bouger, le visage déformé par la douleur, les yeux exhorbités. Les spectateurs découvrent, horrifiés, la réalité d’une maladie rare qui abat leur idole. D’autant que, s’il reste hagiographique, ce documentaire ne s’achève sur aucune victoire. Nul ne sait si Céline Dion pourra remonter sur scène un jour.

Réimaginer une star courageuse et intergénérationnelle

Qu’importe donc qu’on doute désormais que cette performance ait réellement été réalisée en live, l’«Hymne à l’amour» de la Québécoise à la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques relève du miracle. La meilleure analyse revient sûrement à Elio Iannacci, journaliste au «Globe and Mail», quotidien canadien: «Les comebacks réussis ne se contentent pas de montrer une ascension vers une nouvelle carrière», écrit-il. «Ils renversent le scénario sur la perception, le pathos et la puissance du statut de diva. Ils mettent en évidence le risque. Et, s’ils sont bien faits, ils peuvent réimaginer un personnage – et convaincre ses détracteurs.»

Voilà Céline Dion réimaginée en femme courageuse, en artiste sincère et passionnée, qui ne rêve que de revoir son public et ne craint que de le décevoir. La voilà aussi réimaginée en star intergénérationnelle. Taylor Swift, coqueluche absolue des jeunes générations, l’a appris à ses dépens. C’est à elle que Céline Dion venait remettre le prix du meilleur album de l’année aux Grammy Awards, mais l’Américaine ne l’a pas vraiment remerciée sur scène. Quelques commentaires acerbes d’internautes sur son ingratitude plus tard, Taylor Swift s’est empressée de publier une photo d’elles enlacées en coulisses.

Lorsque Céline Dion se montre le 26 octobre à la résidence de la chanteuse Adele, qui lui a succédé au Caesar Palace de Las Vegas, l’interprète de «Hello» la salue en pleurant d’admiration. Les jeunes élèves de la nouvelle promotion de la Star Academy, sur TF1, sont eux aussi émus lorsque la Québécoise leur adresse un message d’encouragement. On parle désormais d’une potentielle présence à la prochaine cérémonie de l’Eurovision, en Suisse. «Dieu réunit ceux qui s’aiment», prédit la dernière strophe de «l’Hymne à l’amour». Pour les amants, on n’en a pas la confirmation. Mais pour «Céliiiine» et son public, c’est désormais une certitude.

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