Pourquoi le Maroc refuse encore, trois jours après le séisme survenu dans la nuit du 8 au 9 septembre au sud de Marrakech, de solliciter l’aide de certains pays, dont la France et la Suisse? La réponse tient en deux mots: souveraineté et raison d’État.
Démontrer l’efficacité de l’administration
Souveraineté, parce que le royaume veut, à l’évidence, d’abord démontrer à sa population que son administration et son armée fonctionnent, et qu’elles peuvent subvenir dans l’urgence aux besoins des sinistrés.
Raison d’État, parce que l’aide humanitaire n’est jamais neutre. Elle constitue, de façon naturelle, une forme d’ingérence dans les affaires du pays meurtri. Elle oblige celui-ci, peu ou prou, à mettre son administration au service des organisations humanitaires étrangères pressées d’intervenir.
Que les autorités marocaines cherchent à éviter cela n’a rien de surprenant. D’autant qu’au vu du bilan actuel d’environ 2900 victimes, ce tremblement de terre, aussi catastrophique soit-il dans les villages touchés de l’Atlas, semble «gérable» d’un point de vue alimentaire, logistique et médical.
Que de nombreuses organisations humanitaires européennes s’offusquent des réticences marocaines, et qu’elles s’indignent de la priorité donnée à des pays comme le Qatar ou l’Espagne dans l’acheminement des secours, ne doit en effet pas faire oublier une réalité: une catastrophe naturelle est toujours, partout dans le monde, un événement très politique.
Face à l’ampleur des destructions et à la détresse des populations touchées, les administrations des pays sinistrés apparaissent telles qu’elles sont: capables ou incapables, corrompues ou non, efficaces ou non. Autre évidence dans le cas du Maroc, ce royaume où tout remonte au monarque, qui dit acheminement de l’aide dit liberté de déplacement pour les secours, accélération des procédures… et, parfois, émergence de foyers de contestation lorsque la colère sociale post-catastrophe remplace le chagrin et l’effroi des premiers jours. Le roi Mohammed VI, revenu en urgence de Paris où il se trouvait pour raisons médicales, a dès lors logiquement choisi de temporiser.
Les images du séisme, trois jours après
Que le Maroc, enfin, accorde ses faveurs humanitaires aux pays ayant reconnu sa souveraineté sur le Sahara occidental (comme l’Espagne depuis 2022) est enfin très normal. Rabat mène inlassablement, depuis des décennies, le combat pour cette reconnaissance. C’est en raison du Sahara occidental que les relations du royaume avec l’Algérie voisine sont aussi détestables.
Cette région, dont le Maroc contrôle 80% du territoire, délimités par une zone tampon en forme de rempart, est tout simplement existentielle pour le pays, sa monarchie et sa diplomatie. Le fait que la terre a tremblé, et entrainé l’affaissement de villages entiers dans les montagnes de l’Atlas, ne change rien à cette donnée de base du Maroc moderne.
Il est arrivé dans le passé que des États mettent en péril des populations entières en refusant l’accès aux humanitaires. On l’a vu souvent dans le cas de pays en guerre, ou de régimes dictatoriaux luttant pour leur survie politique. Il est arrivé aussi que des pays où l’État n’existe plus ou presque, comme Haïti, soient livrés pieds et poings liés aux secours internationaux.
Le Maroc est-il dans ce cas? La réponse est non. Le silence du monarque peut interroger, vu de Berne ou de Paris. Le choix des autorités marocaines peut-être commenté, ou désapprouvé. Mais c’est sur le terrain, là où tout a basculé dans le néant de l’après-séisme, que ces décisions doivent être examinées et évaluées.
Le Maroc demeure, après le choc des plaques tectoniques africaine et eurasiatique dans les entrailles de la province d’Al Haouz, un pays de plus en plus moderne, émergent, doté d’une classe moyenne capable de faire face durant l’épreuve. Se tenir prêt à l’aider est indispensable. Mais accepter que d’autres puissent le faire, si les résultats sont là et que les populations sont secourues et relèvent la tête, est tout aussi impératif.