Comprendre Adolf Hitler. Depuis le suicide du maître du Troisième Reich dans son bunker de Berlin, le 30 avril 1945, des centaines d’historiens, de chercheurs et de psychiatres se sont penchés sur sa personnalité. Objectif: essayer de démonter la mécanique diabolique d’un dictateur capable de mobiliser d’abord ses partisans, puis des foules entières, puis tout un peuple derrière lui. Jusqu’à engloutir l’Allemagne dans le précipice sans fond du nazisme et de la solution finale qui entraîna l’extermination d’environ six millions de juifs européens.
Un portrait croisé passionnant
Comprendre? Impossible, compte tenu de l’horreur que véhicula derrière lui Adolf Hitler entre sa prise du pouvoir à Berlin en 1933 et sa disparition douze ans plus tard. Décrypter est en revanche envisageable. Et pour cela, l’historien britannique Andrew Roberts a tenté l’impossible: mettre face à face à face, dans un portrait croisé passionnant, le Führer et Winston Churchill.
Les deux hommes, il faut le dire d’emblée, ne se rencontrèrent jamais. Churchill s’y refusa toujours, alors qu’il aurait pu, à la fin des années trente, se retrouver, comme tant d’autres dirigeants européens, aux côtés du Chancelier allemand. Or voilà qu’Andrew Roberts nous met en scène, dans «Hitler et Churchill» (Ed. Perrin), cette rencontre virtuelle. Avec cette thèse en arrière-plan, étayée par une impeccable recherche historique: «Aucun rapprochement n’est possible entre ces deux dirigeants […], annonce l’auteur dès les premières pages. Se battre contre Hitler pour faire triompher les valeurs de la démocratie à l’occidentale, c’était aux yeux de Churchill se mettre au service de l’humanité toute entière».
Les défauts de Churchill sont détaillés
Il ne faut pas croire, pourtant, que ce livre est une hagiographie du Premier ministre britannique, et une détestation documentée de son homologue allemand.
La force du propos d’Andrew Roberts est qu’il ne cache rien des défauts de ce monstre d’égoïsme et de vanité qu’était Churchill. Le «Lion» de la Seconde Guerre mondiale, ce leader qui sut tenir tête aux nazis après la débâcle de la France qu’il croyait être bien plus solide face à eux, avait derrière lui, en 1940, une litanie d’erreurs dont certaines coûtèrent la vie à des milliers de soldats, comme la funeste campagne des Dardanelles en 1915-1916.
Voilà la force de ce livre. Il démontre que l’histoire et ses tragédies ne sont pas, fort heureusement, qu’une affaire de tempéraments et d’inclinaisons personnelles, aussi dévastatrices soient-elles. La guerre, la paix, l’engrenage de la violence, la folie raciale sont affaires de convictions.
Or Adolf Hitler était, dans sa tête, programmé pour le pire. Il ne croit qu’en lui. Il n’aime que les collaborateurs soumis. «Hitler s’occupait du fonctionnement du gouvernement de façon totalement différente de celle de Churchill, écrit Andrew Roberts. Il avait horreur d’organiser des réunions et de lire des rapports. Il n’aimait pas coucher quoi que ce soit sur le papier. Il pensait qu’une seule de ses idées de génie vaut plus que toute une vie de travail de bureau consciencieux».
Hitler et la machine infernale de la soumission
Hitler? Une machine infernale à soumettre tous ceux qui l’entourent. «L’une de ses techniques pour mener les hommes, qui s’avéra très efficace, consistait à encourager ce que l’on appelait «travailler pour le Führer», c’est-à-dire exécuter des tâches que l’on estimait devoir lui plaire» peut-on lire.
Churchill? Un inspirateur. «Ceux qui rencontraient Churchill avaient le sentiment que c’étaient eux qui pouvaient tout accomplir. L’inspiration authentique l’emportait sur le charisme créé artificiellement».
Bilan? Le premier ignore les faits. Le second, avec ses manières excentriques, en fait l’instrument de ses décisions. «Churchill fut l’un des premiers dirigeants politiques contemporains à discerner la valeur des statistiques et de l’analyse quantitative», juge Andrew Roberts. Il disait fréquemment: «Ne cherchez pas à trouver les arguments en faveur de tel ou tel point de vue. Contentons-nous des faits sans fioritures.»
Churchill ne s’interdit rien pour des raisons idéologiques
L’autre force de Churchill, tout au long de la Seconde Guerre mondiale, est de ne rien s’interdire. Y compris des décisions absolument contraires aux idées qu’il défendait quelques jours ou semaines plus tôt. Y compris le fait de parier sur des personnalités aux antipodes du moule militaire et administratif.
Hitler ne fait confiance qu’aux fanatiques nazis. Il ne croit qu’aux esprits formatés par la terreur qu’il inspire et qu’il instille. Le Premier ministre britannique est à l’opposé: «Il rappelait sans cesse que ce ne sont pas uniquement les gentils garçons bien élevés et fidèles qui gagnent les guerres: ce sont aussi les fripouilles et les canailles». Le terme «gentils garçons» doit être, ici, compris comme «conformes» ou surtout «obéissants».
Churchill le conservateur n’a pas peur, lui, d’être entouré d’esprits libres, quelquefois en délicatesse avec la loi. Churchill, l’apôtre de l’Empire britannique, a compris avant tout le monde que l’aide américaine sera vitale. Churchill passe des accords qu’il respecte, à l’inverse d’Hitler, qui trahit sans cesse ses engagements. «Pour ce dernier, l’idée de rester fidèle aux clauses d’un traité dès l’instant où cela n’était plus dans son intérêt était absolument étrangère à sa façon de penser […] Pour lui et les nazis, les traités constituaient du «papier hygiénique». Et, le plus souvent, Hitler se dispensait de consulter ses alliés sur ses actions à venir».
Churchill, exhibitionniste patenté
L’histoire a tranché. Hitler et la folie criminelle nazie ont sombré. L’aspect passionnant du livre d’Andrew Roberts et qu’il nous montre combien la manipulation, l’art de faire peur pour emporter ensuite la mise devant le peuple, et la capacité d’Adolf Hitler à tromper ses interlocuteurs expliquent très largement ses succès politiques puis son impitoyable œuvre de destruction. Churchill buvait. Churchill était un exhibitionniste patenté. Churchill était tout, sauf un dirigeant moraliste et moral. A bien des égards, le Chancelier du Reich correspondant davantage à l’idée que l’on peut se faire d’un leader.
Et pourtant. Pour conclure son livre, Andrew Roberts cite le texte que Winston Churchill, futur Prix Nobel de littérature (en 1953) écrivit sur Chamberlain, le Premier ministre pacifiste auquel il succéda le 10 mai 1940, alors que l’armée française était sur le point de s’effondrer. Chamberlain était, pour l’ancien officier Churchill, une «lampe vacillante» qui essaya, en vain, de «rallumer avec de faibles lueurs les passions de jadis».
«Le seul guide de l’homme est sa conscience»
Puis intervient le coup de grâce: «A quoi bon tout cela?, s'interrogeait alors Churchill. Le seul guide de l’homme est sa conscience; le seul bouclier de sa mémoire est la droiture et la sincérité de ses actes. Il est fort imprudent de traverser l’existence sans ce bouclier, surtout lorsque surviennent l’échec de nos espoirs et la faillite de nos calculs. Mais avec ce bouclier, quels que soient les jeux du destin, nous restons toujours dans le camp de l’honneur.»
A lire: «Hitler et Churchill» de Andrew Roberts (Ed. Perrin)
A compléter par «Churchill et la France» (Ed. Perrin)