Avancée des talibans en Afghanistan
«Kaboul va tomber cette année»

Après le retrait des troupes occidentales, l'Afghanistan s'effondre. Les talibans conquièrent ville après ville sans rencontrer beaucoup de résistance. Quand Kaboul tombera-t-elle? L'expert en sécurité Markus Kaim est formel: bientôt.
Publié: 13.08.2021 à 15:24 heures
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A Farah aussi, les Talibans ont pris le pouvoir.
Photo: keystone-sda.ch
Guido Felder, Alexandre Cudré (adaptation)

Le gouvernement afghan est dos au mur. Les talibans progressent à grande vitesse depuis que les États-Unis et leurs alliés ont retiré leurs troupes après 20 ans. En une semaine seulement, les islamistes ont conquis 15 des 34 capitales provinciales. Ils visent maintenant la capitale: Kaboul.

Selon l’ancien général allemand de l’OTAN Egon Ramms, les soldats afghans, qui sont bien équipés et entraînés par les Américains, manquent d’endurance et aussi de volonté de se battre. Le président américain Joe Biden a déclaré: «Les Afghans doivent maintenant se battre eux-mêmes pour leur État. Cette volonté de combattre est essentielle.»

Plusieurs pays, dont l’Allemagne et les Pays-Bas, ont suspendu le rapatriement des migrants vers l’Afghanistan jusqu’à nouvel ordre.

Blick s'est entretenu avec l'expert allemand en sécurité Markus Kaim. Ce dernier offre une vision globale et une prospection de la situation, et explique pourquoi le retrait des troupes occidentales n'était pas forcément une erreur stratégique.

Blick: Les talibans se dirigent vers Kaboul. Quand auront-ils conquis la capitale selon vous?
Markus Kaim
: L’élan militaire des talibans est d’une ampleur inattendue. Il n’est pas exclu qu'ils arrivent à faire tomber Kaboul cette année.

Parviendront-ils à conquérir l’ensemble du pays?
Je n’en suis pas sûr. En plus du gouvernement, ils ont face à eux d’autres forces d’opposition, comme des seigneurs de guerre régionaux qui leur résistent. Il pourrait y avoir une situation d’inversion: jusqu’à présent, de grandes parties étaient contrôlées par le gouvernement central et quelques-unes par les talibans insurgés. Bientôt, les talibans domineront la plus grande zone d’influence contre des forces qui leur étaient jusqu’alors supérieures.

Pourquoi les talibans avancent-ils si vite?
L’Occident s'est focalisé sur le mauvais point, à savoir sur la formation et l’équipement de l’armée afghane. On se rend compte qu’il y a un manque de loyauté de ces forces envers le gouvernement central, qu’ils considèrent comme corrompu et dépourvu de légitimité. De plus, les soldats sont mal payés.

Quelles sont les conséquences pour la population civile afghane si les talibans prennent le pouvoir?
Leur vision politique est celle d’un émirat islamique. Tous les développements et gains politiques de ces 20 dernières années sont en train d’être réduits à néant. Que ce soit en en matière d’éducation, d’égalité des droits, de liberté des médias, de construction de l’État de droit, etc. La seule question est de savoir quelle sera l’ampleur de la régression pour les civils.

Comment les femmes risquent-elles d'être touchées?
C’est difficile à dire. Il existe déjà des zones contrôlées par les talibans où les femmes peuvent participer à la vie quotidienne et où les filles peuvent aller à l’école. Dans d’autres domaines, cependant, leurs droits ont été beaucoup plus restreints.

L’Occident devrait-il accepter les talibans comme nouveaux partenaires de dialogue?
Des représentants des gouvernements allemand et américain viennent de les rencontrer à Doha pour des pourparlers de paix. L’Occident tente d’exercer une influence en menaçant de ne pas les reconnaître ou de couper l’aide au développement.

Devons-nous nous attendre à des flux importants de réfugiés?
Absolument. Près de 300’000 Afghans sont déjà en déplacement, même si la plupart reste dans leur propre pays. Des millions d’autres seront en route, car environ 80% des Afghans dépendent de l’aide occidentale et celle-ci va se tarir. En outre, les organisations d’aide humanitaire vont rapidement être surchargées.

Quand les réfugiés arriveront-ils en Europe?
On ne sait pas exactement quand et combien d’entre eux arriveront. Cela dépendra aussi du nombre de passeurs et des sommes d’argents demandées.

Faut-il arrêter les expulsions vers l’Afghanistan?
Je ne veux pas me prononcer politiquement. Mais l’argument selon lequel le pays est sûr pour les expulsions n'est plus vraiment valable.

Le retrait des Américains, des Allemands et des autres membres de l’OTAN était-il une erreur?
Y avait-il une alternative? Cela fait vingt ans qu’ils sont là-bas. Il est compréhensible que la patience ait été épuisée. Se débrouiller avec les moyens existants n’aurait probablement pas permis d’atteindre le but recherché, même dans plusieurs années. Aucun Etat occidental n’avait vraiment envie de continuer cette mission.

Maintenant que les Américains sont partis, qui va prendre la relève?
La Chine et la Russie vont rapidement combler le vide laissé par les États-Unis. L’Afghanistan est dans la ligne de mire de ces deux grandes puissances, dont le premier objectif est de veiller à ce que l’instabilité ne déborde pas à l’extérieur des frontières afghanes et ne soit pas exportée vers leurs pays.

Moscou et Pékin accepteront-ils les talibans comme nouveaux dirigeants?
Tant que les talibans maintiendront l’instabilité à l’intérieur de leur propre pays, ils seront acceptés par la Russie et la Chine comme la force politique dominante. La Chine a reçu des représentants talibans il y a quelques jours, car elle est également intéressée par les ressources minérales et les infrastructures, notamment pour la construction de ses nouvelles routes de la soie.

Que peut faire l’Occident, désormais?
Il n’y a rien de plus à faire. Il pourra toujours couper l’aide au développement et refuser de reconnaître les talibans comme une puissance dirigeante. Mais cela ne sera pas sans conséquence pour la population civile.

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