Dimanche, à Genève, elles ne seront que 25%
Peu de femmes courent des marathons et ce n'est pas une question de performance

Ce dimanche 5 mai 2024, le marathon de Genève accueillera près de 22’000 coureurs et coureuses. Mais surtout des coureurs, qui représentent les trois quarts des effectifs. Une anomalie liée au poids de l'Histoire, aux idées reçues et aux représentations.
Publié: 03.05.2024 à 13:29 heures
«Pendant longtemps, globalement, les organisateurs de course n’ont pas fait attention à valoriser les femmes qui participaient aux épreuves de running, et notamment au marathon», regrette Benjamin Chandelier, directeur du marathon de Genève.
Photo: Shutterstock
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Margaux BaralonJournaliste Blick

Chaque année, la jauge grimpe d’un petit point. C’était 23% en 2022, 24% l’année dernière et, ce dimanche 5 mai 2024, le Generali Genève Marathon devrait passer la barre des 25% de femmes inscrites au départ. Un record, à peu près semblable à celui du marathon de Paris qui s’est tenu il y a deux mois: 28% de runneuses ont parcouru les 42,195 km dans les rues de la capitale française. 

Pourtant, il n’y a aucune raison qu’elles ne représentent qu’un quart des effectifs. Quand bien même les hommes courent plus vite en moyenne, rien n’empêche physiologiquement les femmes de se lancer dans un marathon. Et si on prend l’ensemble des courses proposées à Genève ce week-end (5 km, 10 km, semi-marathon et marathon), la proportion de participantes grimpe à plus de 45%.

Pour comprendre, il faut donc aller chercher les explications ailleurs. Et d’abord du côté du contexte historique. «Les femmes ont été autorisées à courir le marathon seulement à partir de 1967», rappelle Benjamin Chandelier, directeur du marathon genevois. Cette année-là, l’Américaine Kathrine Switzer profite d’un flou du règlement du marathon de Boston pour s’inscrire en utilisant ses initiales. Pendant la course, l’un des organisateurs, Jock Semple, fou de rage, tente de l’arrêter et de lui arracher son dossard. La photo de cette bousculade, restée dans les annales, illustre bien à quel point la participation des femmes à la course d’endurance reine a longtemps posé problème.

«Ton utérus va se décrocher»

À l’époque, on estime qu’il est impossible pour leur corps de supporter un tel effort. Dans son documentaire «Free to run», sorti en 2016 (disponible en VOD), le réalisateur suisse Pierre Morath rapporte grâce à des archives les propos aussi courants qu’absurdes tenus alors par le corps médical: «Si tu cours, tu deviendras un homme», «des poils vont te pousser sur la poitrine», «ton utérus va se décrocher»… les idées reçues sont légion. Aux Jeux olympiques, les femmes n’ont aucune épreuve d’athlétisme de plus de 200 mètres jusque dans les années 1960, puis seulement 800 mètres maximum. «Le premier marathon olympique féminin, c’est 1984», abonde Benjamin Chandelier. Plus de cinquante ans après l’exploit de Kathrine Switzer, les mentalités (et les connaissances scientifiques) ont heureusement évolué. Mais de fait, la pratique féminine du marathon est bien plus récente et les modèles moins nombreux. 

Une autre piste pour comprendre la faible proportion de marathoniennes est à chercher du côté de la charge mentale. Comme l’explique Benjamin Chandelier, «même si la moyenne d’âge [sur l’épreuve genevoise] est en train de baisser, le marathon est plutôt un sport de maturité et on reste au-dessus des 40 ans». 

Or, à 40 ans, beaucoup de femmes sont mères de famille. «Pour les couples qui ont des enfants, la charge mentale et physique est sur la femme. Ce sont elles qui ont un ventre qui grossit pendant neuf mois et c’est une différence majeure sur laquelle on ne peut pas jouer», poursuit le directeur du marathon de Genève, qui encourage à se saisir de la question de la reprise d’une activité sportive après la grossesse.

Charge mentale et confiance en soi

Ophélia Runneuse, passionnée et influenceuse course qui compte plus de 20’000 abonnés sur Instagram et un enfant dans la vraie vie, a ouvert une FAQ sur son compte. Et les questions qui reviennent témoignent des difficultés éprouvées par certaines femmes pour concilier leur vie de famille et leurs sorties sportives. «Comment gères-tu bébé et course?», «Comment as tu concilié grossesse et sport?», «Comment bien reprendre la course après l’accouchement?»... Alors qu’en Suisse, les femmes assument toujours 50% de tâches ménagères de plus que les hommes en moyenne chaque semaine, la préparation d’un marathon, qui nécessite des longues sorties, n’est pas chose aisée, même bien après un accouchement.

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Pour Benjamin Chandelier, «c’est aussi une question de confiance et de confiance en soi». Les femmes ont moins tendance à se lancer dans des défis sur des coups de tête et plus à soigner leur préparation, pour ne partir sur un marathon que lorsqu’elles sont absolument certaines de pouvoir le finir. «Les coureuses que je coache sur un semi-marathon ont souvent envie de se lancer dans le marathon par la suite. Je trouve qu'elles y vont par étape, ce qui est très encourageant puisqu'elles limitent les blessures et leur corps s'habitue gentiment à courir de plus en plus longtemps», explique Jenny Jacquier, personal trainer spécialisée dans la course à pied en Valais. Celle qui a développé sa propre formation rappelle au passage que les femmes n’ont «pas plus de peine à respecter un programme d'entraînement en vue d'un marathon» lorsque celui-ci est réalisé par un coach, donc «forcément personnalisé en fonction de leur niveau et de leur disponibilité». 

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Urinoirs et représentations

Jenny Jacquier assure n’entendre aucun discours d'autocensure de la part des femmes qu’elle coache. Si elles sont moins nombreuses au départ du marathon de Genève, c’est donc aussi, selon elle, «un effet de mode». «Nous sommes en Suisse et peut-être que les femmes préfèrent faire des trails ou des courses en montagne en dénivelé, au détriment du marathon à plat. Il y a une plus grande offre dans notre pays montagneux.»

Reste enfin ces petits détails qui n’en sont pas toujours. L’an dernier, le marathon de Genève a été le premier événement sportif en Suisse à s’équiper… d’urinoirs féminins. Benjamin Chandelier en a eu l’idée après avoir vu l’émission française «Qui veut être mon associé» et une entrepreneuse venue défendre son produit. «On doit permettre aux femmes de se sentir à l’aise sur nos courses», argumente-t-il aujourd’hui. 

Cela passe par un accès plus facile aux toilettes, donc, mais aussi par les représentations. Sur ses photos promotionnelles et ses vidéos, sur son site comme sur ses réseaux sociaux, le marathon de Genève veille à mettre des figures et des voix féminines. «Pendant longtemps, globalement, les organisateurs de course n’ont pas fait attention à valoriser les femmes qui participaient aux épreuves de running, et notamment au marathon», regrette Benjamin Chandelier. «Aujourd’hui, on veut mettre en place des dispositifs et que les femmes se disent qu’on a pensé à tout le monde.»

Le directeur de la course genevoise en est certain: l’arrivée des femmes il y a une quinzaine d’années a donné un second souffle à la course à pied et il n’y a aucune raison que cela s’arrête ici. «Sur la distance du 10 km, cela fait plusieurs années que les femmes dominent. Chaque année sur le semi, il y a un peu plus de femmes. Un jour, elles seront plus nombreuses aussi sur le marathon.»

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