Comment plus mal démarrer sa journée qu'avec un satané beurre trop dur? J'en ai récemment fait plusieurs fois l'expérience. Alors que mon beurre habituel de chez Coop ou Mirgos est ultra-mou au sortir du frigo (et passe au stade pommade, voire flaque après quelques minutes seulement), plusieurs de ses homologues bretons ou normands ramenés lors de mes escapades françaises étaient significativement plus clairs, limite blanchâtres, mais surtout plus durs.
Même en les sortant du frigo un quart d'heure avant de les attaquer, même en les laissant vivre leur vie dans un beurrier sur le plan de travail, ces monolithes restaient toujours fermes. Qu'est-ce qui rend le beurre dur dans un cas et pas l'autre? Sans vouloir en faire des tartines, cela me semblait suffisamment étrange pour aller voir de quoi il retournait.
Heureusement, la science s'est déjà penchée sur la question. Une étude parue en 2020 dans la revue «International Dairy Journal» a ainsi examiné les conséquences de divers facteurs (races des vaches, alimentation des bêtes, saison, etc.) sur la composition du lait récolté. Menés par des scientifiques de l'Institut Agroscope à Berne, ces travaux mettent en lumière d'importants changements survenant dans le lait, et donc dans le beurre.
Oui, car le beurre, rappelons-le, c'est d'abord du lait. Il est fabriqué à partir de sa fraction grasse (la crème), dont il doit contenir 82% minimum. Le reste, c'est de l'eau (16% environ), des protéines (principalement de la caséine), des sucres (lactose) et quelques sels minéraux.
Dans le dur
Le beurre, donc, c'est surtout de la crème, et la crème, c'est du gras, et le gras, c'est la vie. Plutôt devrait-on parler des gras: la crème est un mélange de près de 400 acides gras, en proportions variables selon la race de la vache, son alimentation, selon qu'elle allaite ou encore selon les saisons, comme l'écrivent les scientifiques de l'Agroscope.
Parmi les enseignements de ces travaux, on apprend que plus les bêtes ont été nourries avec des herbes fraîches, plus leur lait contient des acides gras insaturés, des oméga-3, des acides linoléiques conjugués (ALC) et des acides gras à chaîne ramifiée. Particularité de tous ces lipides, en plus d'être bénéfiques pour la santé? Leur structure chimique leur confère un point de fusion plus bas.
Autrement résumé, une vache nourrie avec une grande proportion d'herbes fraîches aura un lait plus riche de ces acides gras, ce qui donnera un beurre fondant à plus basse température. Il sera également d'un jaune plus prononcé en raison d'une présence accrue de bêta-carotène, un pigment jaune contenu dans les herbes fraîches et les fleurs.
Pour donner un ordre de grandeur, passer de 40% à 90% d'herbes de prairie dans l'alimentation des vaches augmente la teneur en acides gras oméga-3 de 59%, en ALC de 89%, et en acides gras à chaîne ramifiée de 16%, par rapport à une nourriture à l'ensilage de maïs et au fourrage concentré, résume Agroscope.
«L’alimentation des vaches a une grande importance pour la qualité finale des produits, et même notre santé», observe l'un des signataires de l'étude bernoise, Walter Bisig, d'Agroscope. Ce serait, d'après cet ingénieur en technologies alimentaires, ce qui influence le plus la qualité finale du beurre.
Mais d'autres facteurs pèsent sur la balance, notamment la race des vaches ou encore la saison: les vaches consomment plus d'herbes fraîches en été tandis qu'en hiver, le foin et surtout le maïs ensilé et des concentrés donneront un beurre plus dur. «En modifiant certains paramètres durant la fabrication du beurre, telle la vitesse de réfrigération, il est également possible d'influencer la cristallisation de la matière grasse, et de jouer ainsi sur la dureté du beurre» ajoute enfin Walter Bisig. C'est ce que font certains fabricants avec des beurres «soft», «tendres» ou «faciles à tartiner».
«Buttergate»
Bon et mon beurre français alors? J'ai posé la question au fabricant tricolore en question, mais ma demande a été poliment déclinée. Je me suis ensuite tourné vers Twitter, où un internaute, pâtissier dans la vraie vie, m'a glissé que ce serait «du 'beurre sec': il a 82% ou plus de matière grasse, mais on lui a retiré de l’eau. Ça lui permet en effet d’être moins mou, ce qui induit une meilleure incorporation lors du tournage», par exemple quand on fait des viennoiseries. Possible, mais difficile à vérifier: la plupart des fabricants se contentent d'indiquer une teneur en eau de 16% maximum, la même que pour mon beurre suisse.
Toujours est-il que si votre beurre est jaune et mou, c'est probablement que les vaches ont été bien nourries. Et s'il est plus blanc et plus dur, c'est peut-être en raison d'une alimentation plus riche en foin ou en ensilage parce que c'est l'hiver, mais cela ne veut pas dire qu'il est moins bon! Travailler avec du beurre dur et froid est même précieux dans certaines recettes telles que celle de la pâte feuilletée.
Bref, je ne m'énerverai plus (en tout cas moins) en tombant sur un prochain beurre récalcitrant. C'est que parfois, cette question prend des allures de controverse nationale. En 2020, les Canadiens s'étaient émus de constater que leur beurre, habituellement tout mou, était subitement devenu blanc et dur.
Les médias s'étaient emparés de ce «buttergate», allant même jusqu'à trouver des coupables: les acides gras saturés, acide palmitique (celui de l'huile de palme) en tête, que des éleveurs donneraient à leurs bêtes par souci de rentabilité. Une hypothèse rapidement balayée par les scientifiques: un seul acide gras sur les centaines présents dans le beurre ne saurait renverser sa consistance.