Désolé, mais il n'y aura pas de dessert. Au Restaurant de la Cézille, au-dessus de Nyon (VD), on sert depuis peu un monstre hamburger qui attire les gourmands, les curieux et les journalistes de toute la Suisse romande, et même de l’étranger.
Le «King Kong» (oui bon, ils n’allaient pas l’appeler Clochette) est une énorme enclume de plus de deux kilos. Un kilo de bœuf Angus suisse, 700 grammes de pâte à pizza maison en guise de bun, une douzaine de tranches de cheddar, autant de bacon, des cornichons, des oignons, et… deux louches de sauces! On a compté, ça représente environ 6000 calories à ingurgiter, frites maison comprises. Si vous finissez votre assiette en moins d’une heure, on vous offre les 59 francs qu’elle coûte. Le défi est de taille: depuis deux semaines, seules six personnes y sont parvenues, assure le patron, Sandro d’Agostino.
Celui-ci dit avoir eu l’idée du burger XXL en discutant avec ses clients, qui voulaient toujours plus de viande. «J’ai pensé à ce défi, j’ai vu que ça ne se faisait pas vraiment ailleurs, ça nous amène de nouveaux clients, plutôt des sportifs et des bons vivants», dit-il. Depuis, «ça n’arrête pas», nous affirme la cheffe de salle Concetta Cubisino. La preuve? Vendredi soir 26 janvier, seize (!) gloutons se porteront volontaires.
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Le défi est aussi absurde qu’insurmontable. Je l’ai évidemment relevé, avec mon collègue Antoine Hürlimann, ce jeudi 25 janvier à midi. Nous avions prévu de vous livrer la critique gastronomique du siècle. Mais terrassés que nous sommes après avoir englouti chacun une misérable moitié de ce burger défiant les lois de la physique, vous devrez vous contenter d’un verbatim (presque toujours authentique) de notre échange d’érudits.
Fabien: Ouf. C'est balèze quand même.
Antoine: On est sur une taille de gâteau d'anniversaire, là.
Fabien: T’as vu, c’est pas un pain hamburger habituel, mais un truc hyper aéré, genre pâte à pizza-focaccia. Je m’attendais à un hamburger d’autoroute, mais il est monstre bon ce pain. La mie est bien fluffy, la croûte croustille bien, je pense qu’ils ont foutu un peu d’huile d’olive dessus.
Antoine: Histoire de rajouter quelques calories… Ça manquait.
Fabien: Dans notre compte rendu, faut mettre de la science, de l’engagement, tout en mettant nos vies en danger, car soyons clairs: on ne finira jamais. Journalisme total, tu vois.
Antoine: On commence par quoi?
Fabien: Je dirais les frites, puis le monstre, car ils nous ont dit que personne n'arrive à finir les accompagnements. Mais d'abord, la petite salade. Simple et efficace: laitue, tomates cerises et vinaigrette balsamique.
Antoine: Tu vas voir que c’est ça qui va nous faire foirer le défi.
Fabien: C’est vrai que le balsamique est de trop. Passons aux frites maison! Elles sont belles et bonnes. Pas aussi bonnes qu’à Belga, mais bonnes quand même.
Antoine: Je ne suis pas trop frites, mais celles-ci me font un poil kiffer. J’imagine toujours l’intérieur comme un truc très farineux, sans intérêt. Façon barquette vendue au bord des terrains de foot. Et là, c’est ni pâteux ni sec. Ça passe bien. Même pas besoin de flotte et de sauce.
Fabien: La sauce, c’est une sauce USA: mayo-ketchup-cornichons. Deux louches chacun, parce que les cuillères, c'est trop petit. On se croirait devant le repas des Titans dans les Douze travaux d'Astérix.
Antoine: Verdict?
Fabien: Fuck, c’est bon cette affaire. Le bœuf Angus est bien gras, méga juteux, il y a une belle croûte brune de réaction de Maillard. Non, le mec, il a tout compris. Quand tu vois les semelles qu’on te sert dans certains restos…
Antoine: C’est subjectif, mais moi, j’aurais aimé moins cuit. Pis ce cheddar, c’est sans intérêt. Dommage…
Fabien: Arrête de faire ton inspecteur Michelin. Je vais te choquer, mais moi, je plaide pour ce genre de fromage dans les sandwichs. Ton gruyère bio douze ans d’âge, on s’en fout, il a rien à foutre dans un hamburger. Ces cheddars indus’, ça fond parfaitement et surtout, ils ont le goût de ton enfance, c’est des madeleines de Proust, mais en vachement plus calorique.
Antoine: C’est toi qui ne sais pas vivre. Enfin, c’est vrai: il passe bien ce burger. Le bacon fait plaisir, la sauce très cochonne et les cornichons en pickles me provoquent une montée de lait.
Fabien: Déjà 30 minutes, et on est même pas à la moitié. C’est marrant parce qu’après quelques bouchées, je me suis dit: «Ok, j’ai faim, c’est jouissif, je vais y arriver.» Et puis les lois de la physique te rattrapent. Tu bouffes, tu bouffes, mais t’as l’impression de tronçonner un iceberg qui ne fondra jamais. Ça va prendre une éternité, c’est genre le mythe de Sisyphe, mais avec un hamburger.
Antoine: J’ai les dents du fond qui baignent. On est dans quel état d’esprit? On dépasse nos limites ou on fait les petits sirops et on s’arrête avant d’arriver au crépuscule de nos vies?
Fabien: C’est quand même débile ce défi, dans le fond. Un truc idiot réservé aux mecs genre mascu-macho, non?
Antoine: Ouais, mais c’est marrant et c’est bon, alors pourquoi pas? Et ils nous ont dit qu’une première femme allait bientôt relever le challenge. Ça déculpabilise.
Fabien: Vas-y, moi, j’abandonne. Il doit rester un gros tiers. Ça me gêne un peu, mais le pire, c’est que j’ai perdu toute trace d’humanité. Je ne suis plus qu’un tube digestif. Mon existence se résume à ingurgiter ce parpaing et à le débiter en morceaux assez petits pour qu’un organisme plus évolué que moi en tire de l’énergie.
Antoine: Moi aussi. J’ai l’impression d’avoir bouffé ma télécommande et je fais une crise d’aérophagie. Désolé de roter comme un démon.
Fabien: D’un côté, ça me rassure. Si j’avais tout pu morfaler, je me serais posé de sérieuses questions. Mais on n’a pas à rougir: on vient de s’envoyer près de 3000 calories. Ça en fait de la bidoche… On devrait demander au vétérinaire cantonal si tout ça est bien légal. Y’a vraiment des gens qui l’ont mangé, cet haltère?
Antoine: Le patron m’a dit que parmi les six personnes qui avaient validé ce challenge des enfers, il y avait un gars de 17-18 ans tout mince. Il a défoncé le burger et les frites en un temps record. Et il a même pris un dessert.
Fabien: Les ados sont vraiment prêts à tout pour bouffer à l'œil. Tu te sens comment?
Antoine: Gabby (ndlr: notre collègue qui nous photographie et filme) m’a dit que je me transformais en Gérard Depardieu. Sans déconner, mes grognements m'inquiètent aussi. Il faut vite tirer la prise. Tant pis si on passe pour des nullos. On se casse!