Un quatre heures de folie
On s'est tapé un goûter de luxe dans un palace

Et franchement, on n'avait plus faim après.
Publié: 06.06.2022 à 13:27 heures
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Dernière mise à jour: 07.06.2022 à 11:32 heures
Finalement, on peut faire les andouilles sans se faire virer d'un palace.
Photo: Fabien Goubet

Il est bientôt quatre heures, et comme chaque après-midi à la rédaction de Blick, toute l’équipe charbonne pour publier à temps les cinq articles de notre newsletter quotidienne High Five. Enfin presque. Mon collègue Antoine et moi nous préparons à attaquer le gros dossier du jour: déguster un luxueux goûter au palace lausannois Royal Savoy.

Vous devez certainement vous demander ce que deux gros ours qui doivent bien friser les deux quintaux, et si mal habillés de surcroît, peuvent bien aller faire dans un établissement de grand standing. À plus forte raison pour aller se taper un goûter, activité qu’on imagine réservée à des mamies anglaises regardant le jubilé de la Reine ou à des influenceuses flanquées de leur chihuahua.

Eh bien c’est justement le but de ces petites sauteries, a-t-on appris grâce à Auryne Veloso, de l’équipe marketing: «On constate que les gens ont parfois peur de venir dans un hôtel comme le nôtre. Nous avons voulu proposer une offre qui s’adresse en bonne partie aux Lausannois et aux personnes de passage, pas uniquement aux clients qui dorment à l’hôtel.»

«Venez comme vous êtes», vraiment?

À 40 francs par tête la farandole de pâtisseries (une dizaine par personne), cela reste somme toute raisonnable compte tenu de la qualité et du cadre somptueux. Confirmation par le souriant chef pâtissier de l’hôtel, Laurent Schmitt, un expert passé par le Meurice à Paris, où sévit aujourd’hui le pâtissier super star Cédric Grolet: «Il ne faut pas se laisser impressionner par les cinq étoiles: venez comme vous êtes.» Comme vous êtes? Encore un peu, et on se croirait chez McDonald's!

En arrivant, on ne se sent pas forcément à l’aise, on a peur de faire des traces sur les sols lustrés ou de casser un vase. Mais rapidement, le personnel remédie à ce sentiment en nous installant sur des fauteuils aussi rembourrés qu'onéreux.

On nous propose une petite coupe de champagne — nous déclinons poliment et prenons un thé vert et un cocktail sans alcool — puis Laurent vient déposer sur la table une tour infernale de trois étages de pâtisseries et de petits sandwiches. «Ha mais nous ne sommes que deux, il doit y avoir un malentendu», objectons-nous. «Pas du tout, nous répond Laurent, le principe c’est la générosité.»

Le chef Laurent Schmitt.
Photo: Fabien Goubet

Un mot nous vient immédiatement en tête: c’est le tea time anglais, même si le Royal Savoy préfère le mot goûter, qui fait moins mémé/caniche/jubilé, et parle sans doute à davantage de monde. D’ailleurs, ça parle à qui jusqu’ici, un mois et demi après le lancement de cette offre? «Nous avons plutôt des demandes féminines, reconnaît Auryne Veloso, même si des messieurs viennent aussi». Ben voyons. Mesdames, si vous espériez faire chasse gardée de ces goûters, sachez qu’une équipe de démolisseurs certifiés va vous faire une petite démonstration.

Une tour infernale

Fabien: Je commence par le kouglof du chef, qui a voulu honorer son Alsace chérie. Il est tiède, la pâte briochée est aérienne, moelleuse et garnie de petits fruits secs rouge foncé — des canneberges, supposons-nous.

J'entends Antoine psalmodier des incantations mystiques: «Moi, ce thé il me fait devenir une meilleure personne», dit-il en reposant sa tasse de thé vert qui contient certainement de puissants psychotropes. J’acquiesce, quelque peu gêné.

Antoine: Gêné, mon œil! Chaque gorgée de cette infusion Grand Cru est soyeuse, merveilleusement équilibrée. Quand Fabien a finalement abandonné ses pudeurs de gazelle et trempé ses lèvres dans ma tasse, il m’a confié, les yeux écarquillés: «J’ai l’impression d’avoir roulé une pelle à la déesse du thé.» Psychotropes, c'est clair.

Premier étage classique: des kouglofs, des madeleines, des scones et des cookies.
Photo: Antoine Hürlimann

Comme j’aime les défis, j’attaque par la douceur qui me fait le moins envie: le fort banal scone, «gourmandise» classique de la cuisine britannique habituellement dégustée à l’heure du thé de l’après-midi.

Je mets des guillemets à gourmandise car la texture de ce petit cake «sécos» m’évoque habituellement le désert du Sahara. Je saisis délicatement l’objet de mes non-désirs. Je le hume, l’observe sous tous les angles puis le croque. BOUM! Première déflagration gustative qui vient kicker mes préjugés: ce petit coussin parfaitement sucré est bon. Très bon, même. Chaud, léger, doux et surtout beaucoup moins sec que mon âme. What a surprise. Et comme on sait vivre au Royal Savoy, on ne se contente des choses bien faites: un pot de double-crème discrètement posé sur le même plateau sert d’arrosoir à scone. J’adore le désert du Sahara.

Fabien: C'est la pâtisserie la moins excitante de la pyramide mais même sur un gâteau aussi simple, Laurent arrive à nous régaler. On enchaîne avec une madeleine élégante, nappée d'un fin glaçage au citron parfaitement équilibré. Les souvenirs d'enfance remontent, on les évoque, ça fait du bien. Laurent me confirmera plus tard qu'il tient à cette simplicité, à proposer aussi des gâteaux connus de tous qu'il réalise à la perfection. Ce qui ne l'empêche pas de nous étonner avec une grosse cerise en trompe-l'œil qui renferme une chantilly et un puissant confit à la griotte.

Chou à la crème et praliné pistache, cerise griotte en trompe-l'oeil, tartelettes à la framboise et petits biscuits au chocolat.
Photo: Antoine Hürlimann

Antoine: On s’est déjà toutes et tous enfilé un sandwich triangle sur une aire d’autoroute, mais je suis prêt à miser un billet sur le fait que vous avez toujours sciemment ignoré — et à raison — un classique du genre, qu’on retrouve pourtant dans tous les frigos des triangles dealeurs: le pain de mie… à l’omelette.

Quel rapport entre la station-service de Bavois et le luxueux hôtel de la capitale vaudoise? Figurez-vous que deux de ces fichus sandwichs à l’œuf trônent au rez-de-chaussée de ce que Fabien appelle la tour infernale. Ils sont là. Ils sont dans les campagnes, dans les villes, sur les réseaux sociaux et même dans les palaces maintenant. Incroyable.

Tant pis, je me mouille à reculons, REBOOM! Je suis immédiatement ramené en enfance. Il y a une vingtaine d’années précisément. Je me vois à Conches, dans le jardin de mon arrière-grand-mère (Mamy, pour les intimes). Je suis entouré par sa meute de matous — souvent pas très propres — et je savoure un œuf mimosa. Sa spécialité!

Au rez-de-chaussée, des sandwiches salés. Celui sur le côté est au foie gras, avec une compotée de mûres à la cannelle
Photo: Antoine Hürlimann

J’en retrouve tous les marqueurs dans mon sandwich: l’onctuosité, les herbes fraîches et peut-être même un peu de mayonnaise — à moins que mon esprit me joue des tours. J’en ai la chair de poule. Je suis émotif, un vrai chialou. Mais je me retiens, sinon mon estimé collègue va se poser de sérieuses questions sur ma santé mentale. Ne le dites à personne, mais j’ai depuis furieusement envie d’aller à Bavois. Allez savoir pourquoi.

Fabien: Bon, il nous a bien saoulé avec son sandwich sur quatre paragraphes, mais je ne vais pas le déranger en plein trip régressif. Petits choux à la crème surmontés d'un praliné à la pistache, cookie bien mou aux noisettes caramélisées et j'en passe: nous avons terminé ce goûter comme des professionnels. On n'en dira pas davantage, car les pâtisseries proposées changent au gré des envies de Laurent Schmitt. Aucun doute, Laurent y a mis de la générosité. «Si un client me redemande un gâteau je le ressers, m'assure-t-il. Mais ça n'est encore jamais arrivé.» Tu m'étonnes, concluons-nous en repartant sur de luxueux brancards, incapables de nous mouvoir.

Les goûters du Royal Savoy
Samedi et dimanche, de 14h à 17h
Sur réservation uniquement

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