Pieds de porc, tripes et autres viscères bizarres: les abats, ces morceaux que personne ou presque ne veut ni n'ose manger, le Comac en a fait sa carte du soir à l'occasion de la Semaine du goût, jusqu'au 25 septembre. Le Comac, ce n'est pas le nom d'une charcuterie ni celui d'un abattoir, mais celui d'un petit resto lausannois fort sympathique où sévit un duo de chefs, Pablo Reyes Del Canto et Sourasack Phongphet.
J'avais déniché cet improbable menu la semaine dernière, ne me restait plus qu'à le goûter. J'ai donc convié mon collègue Antoine, qui s'était montré un excellent compagnon de dégustation lors d'un goûter très kawai sous les ors du Royal Savoy. Allait-il être aussi à l'aise pour la bonne grosse cochonaille qu'il ne le fut pour les gâteaux de luxe? Quelle question idiote, pour celui que l'on surnomme Schtroumpf rognon.
Antoine: Fabien pensait me mettre au défi, mais il ne savait pas être tombé sur un baba d’abats. Je préfère largement le foie de volaille aux scones, la langue de bœuf aux madeleines ou encore les tripes à la neuchâteloise aux choux à la crème. J'entretiens avec les pieds de porc une relation quasi sensuelle, que ne dénigreraient pas Maïté et ses ortolans.
Fabien: Oui euh bon, attention à ce que tu postes sur un média grand public, Antoine. Revenons à notre menu. «On a voulu casser cette idée que les abats ce sont des plats riches et lourds servis en sauces», détaille Pablo. Sa promesse: surprendre les clients en proposant des abats préparés de manière inédite, que «même les enfants peuvent aimer!»
Chacun des deux cuisiniers les cuisine (les abats, pas les enfants) à sa manière, sur six services. Auparavant chef dans des restaurants parisiens à la mode, Sourasack, dit Sou, apporte sa touche de fusion sud-asiatique tandis que Pablo y va de sa patte tantôt suisse, tantôt chilienne (son pays d'origine), tantôt italienne (il a fait ses armes de l'autre côté des Alpes). Pieds de porc, tripes et cous de poulet: c'est un menu aux airs de voyage que proposent les deux hommes.
Un sacré tripes
Un voyage d'accord, mais en dégustant l'amuse-bouche, on s'est quand même demandés si on ne s'était pas trompés d'aéroport. Dans une coupe en verre nous attendait un épais liquide dont la couleur et la consistance ressemblaient à celles de la sauce barbecue. C'était en fait du sang de poulet frais qui, apprêté avec du sel et du citron, nous a envahi la bouche d'une puissante saveur métallique. Mais au sentiment de panique initial à l'idée de nous transformer en vampires a vite succédé un rassurant soulagement lorsqu'en fondant, le granité a libéré de rassurantes et familières saveurs de bouillon de volaille. De la folie, mais une folie tout en maîtrise technique.
Antoine: Puisqu’il faut choisir, mon coup de cœur va incontestablement à la revisite par Sou de la salade de museau, ici agrémentée de pieds de porc et de cèpes flambés au saké. Dans les bouillons, les marinades ou comme ici en flambée, le chef fait de l'utilisation de cet alcool sa marque de fabrique.
L'assiette est servie avec en son centre un petit médaillon d'abats épuré, soigneusement dressé à l’emporte-pièce. Tout est millimétré, et d'une élégance fine. Et en bouche aussi! Les saveurs sont franches mais subtiles, avec fraîcheur et légèreté. Je retrouve facilement les marqueurs que j’attendais: la mâche du museau et la gelée du pied de porc. Cerise sur le gâteau, Sou me fait voyager avec sa terrine 2.0: un léger coulis de tomate, mêlé au pain grillé à l’ail, me transporte immédiatement en Catalogne, où le pa amb tomaquet (pan con tomate en espagnol, ou pain à la tomate) est au moins aussi important que la religion. Sans escale, on part droit derrière en Asie, avec la fraîcheur de quelques feuilles de menthe et de coriandre, puis en Amérique du Sud, avec un jus de cochon bien concentré. Un tour du monde en une bouchée, le rêve!
Fabien: Attends, c'est juste une escale, on repart avec ce plat de Pablo. Il faut oser servir les tripes d'agneau comme il le fait: en carbonara. Pas de pâtes ici, ce sont les entrailles qui sont soigneusement taillées en tagliatelles, avec de petits dés de lard croustillant et une jolie tuile de parmesan. Puisque poser tout ça dans une assiette est certainement trop ennuyeux pour le chef, ce dernier sert ses tripes dans un gros tomatillo, une tomate verte populaire en Amérique qu'il a confite pour obtenir une chair douce, soyeuse et veloutée. Cela caresse le palais, le tout barbote joyeusement dans un gazpacho végétal subtilement acidulé. L'idée est insensée, l'exécution triomphante.
Et ce ne sont là que quelques exemples des surprises qui attendent les clients. Je ne sais pas vous, mais nous, on n'avait jamais mangé des abats comme ça, joyeusement déclinés au fil d'un menu créatif, surprenant et amusant. Le genre de bouffe qui donne le sourire parce qu'on sent que les cuistots ont pris autant de plaisir à le préparer que nous à le déguster. Le genre de menu qui me trotte encore dans la tête plusieurs jours plus tard. Le genre d'adresse que vous citerez lorsqu'on vous demandera «C'est quoi ta dernière expérience de ouf au restaurant?» Non franchement pour nous, c'est sûr: le Comac est un resto qui a tout compris à la Semaine du goût.
Comac
Rue des Côtes-de-Montbenon 26, à Lausanne
Menu ABBA à 69 francs jusqu'au 25 septembre