À l’heure du goûter, on doit avouer que les fauteuils moelleux et les superbes fresques des monumentaux plafonds du bar l’hôtel Royal d’Evian sont plutôt du genre accueillants. Pour ce petit saut de puce en France, c’est facile! La ville thermale située pile-poil en face de Lausanne est à vingt-cinq minutes de bateau seulement.
Une mini-croisière que je vous conseille vivement d’entreprendre un vendredi matin, histoire de profiter du très joli marché qui rassemble les producteurs du coin à deux pas du débarcadère. À la belle saison, un petit funiculaire vintage permet même de grimper vers les hauteurs et vers le splendide hôtel cinq étoiles, avec arrêt à la source Cachat, à l’origine du succès de l'eau d’Evian.
Un mélange étrange qui séduit
Météo hivernale oblige, c’est en voiture, sous la neige et dans une ambiance magique que s'est faite l’ascension vers le Royal pour y découvrir l’accord Tea and Cheese désormais proposé au bar de l’hôtel l’après-midi. Et imaginé pour changer des scones et des sandwiches au concombre pour le five o’clock tea.
Si certains crieront «shocking!» et avanceront qu'un bon fromage au lait cru sans verre de rouge, c’est un peu comme un jardin sans fleurs ou un château sans tours, je partais sans à priori. Curieuse de nature et déjà séduite par les efforts déployés par certains chefs, sommeliers et autres «sobreliers» (le nouveau nom des sommeliers qui ont fait de boissons sans alcool leur spécialité) pour nous proposer des accords alcohol free qui changent du déprimant choix eau plate/eau gazeuse. Infusions, fermentations, spiritueux sans alcool et autres créations permettent désormais de connaître l’ivresse sans le flacon.
En terre haut savoyarde, avec vue panoramique sur le Léman, on a imaginé ce nouvel accord pour surprendre, certes, mais surtout pour se régaler. Davide Trupia, responsable des bars de l’hôtel, chargé de me faire découvrir ce nouveau cérémonial, ne prend pas ombrage dans le fait de délaisser un moment ses cocktails signatures pour servir du thé et des fromages: «Je dois avouer que les gens sont assez curieux et séduits. Les seules personnes qui n’ont vraiment pas voulu tenter sont deux Italiens. Pourtant, étant italien moi-même, j’avais vraiment tout fait pour leur expliquer le mieux possible avec les bons mots» m’avoue-t-il avec une pointe d’humour lorsque je l’interroge sur les réactions de la clientèle.
Trio de choc
Réfléchi, ce tea and cheese a été élaboré par de vrais professionnels. En France, le pays qui se targue de posséder autant de fromages que de jours de l’année, on ne plaisante pas avec le sujet.
Côté cheese, c’est Pierre Gay, incontournable Maître fromager affineur d’Annecy et fournisseur officiel des pâtes dure et molles de l’hôtel, qui a proposé sa sélection. Et le Meilleur Ouvrier de France de la spécialité a opté pour trois champions du genre: un Comté affiné pendant 36 mois, un Saint-Nectaire fermier et un Picodon de la fromagère Sandrine Pozin, installée dans la Drôme.
Côté thé, Carine Baudry a mis son nez, son palais et tout son talent d’experte de la maison de thés française Nunshen pour trouver la bonne référence, celle qui s'harmonise le mieux avec ces délices crémeux, forts en goût, pointant parfois sur le sel, le fruit ou l’herbe. Et c’est un thé vert d’origine «Long Jing Premium» qui a été sélectionné: «Il s’agit d’un thé vert chinois grand cru récolté au printemps dans la province de Zhejiang, dans une zone d’altitude à proximité du lac de l'Ouest habité par les brumes, ce qui est toujours intéressant pour la culture du thé. Il développe des notes minérales et ne présente aucune amertume» explique la spécialiste.
Théière et verre à pied
La dégustation commence avec l’arrivée d’une planchette de bois garnie des trois petites tranches de fromages en portions dégustation, accompagnées d’un joli couteau en format mini, idéal pour couper et piquer de petits morceaux. Le thé, lui, suit en théière transparente, et infuse lentement à 80°c pendant les trois minutes d’explication de Davide Trupia.
Servi dans un verre à vin pour mieux développer ses arômes et dévoiler sa couleur proche d’un vin blanc, le thé est presque à température ambiante lorsqu’on en boit une première gorgée avant d’accueillir le premier petit morceaux de Comté. Comme par magie, le fromage commence à fondre entre la langue et le palais tiédi, dévoilant des aspects inédits.
Les arômes de fruits à coque se dégagent du Comté, dont les petits grains de sel se séparent de la crème lors de la dégustation. Avec le Saint-Nectaire, la gourmandise est au rendez-vous. Dès le fromage et le breuvage associé, on sent le lait et la vanille, et les notes d’agrumes du thé ressortent. À ma grande surprise, c’est le Picodon, ce petit fromage de chèvre dont je pensais que le goût prononcé n’allait faire qu’une bouchée de la délicatesse de ce thé vert, qui m’a le plus bluffée. Une association magique et le thé annihile toute l’acidité de cette pâte mi-sèche et la transforme en gourmandise au caractère toujours persistant.
Une évidence pour moi après cette dégustation: le thé s’accorde parfaitement avec le fromage, et pas seulement quand il s’agit de choisir une boisson qui facilite la digestion de nos plats de fromages chauds type raclette ou fondue.
Accords majeurs…
- Avec un vieux Gruyère, Carine Baudry recommande un thé sombre, fermenté qui développe des notes de sous-bois, de cave, d'écorce et de champignon et qui viendra sublimer la maturité du fromage, fondre le côté grain à sel et renforce les notes affinées.
- Avec la raclette et la fondue, un thé blanc du Népal, fleuri, végétal qui va renforcer le côté lacté, beurre frais du fromage fondu et neutraliser son côté gras.
- Avec un thé Earl Grey, on peut déguster un vieux Comté qui verra des notes boisées et de fruits à coque se dévoiler.
- Avec un thé au Jasmin délicat, on associe un fromage bleu, une pâte bien persillée dont la moisissure, aux notes déjà jasminées, sera relevée.