Si l’on est parent d’adolescents entre 10 et 16 ans, on connaît forcément Fortnite, Roblox, Brawl Stars. Ces plateformes immersives multijoueurs ont connu un essor fulgurant. Les jeunes utilisateurs et utilisatrices créent leurs avatars en 3D et vivent une partie de leur vie dans ces mondes virtuels. C’est souvent à travers leurs amis déjà adeptes qu’ils y sont entraînés: c’est la force des jeux en réseau. A peine les cours terminés, les kids/ados s’y retrouvent en ligne, après s’être rencardés par messagerie.
Pour les parents – au-delà de la vigilance requise quant aux rencontres qu’y font les jeunes et au degré de violence qu’on peut s’y trouver – la question est de savoir qui possède ces entreprises de jeux, dont les fondateurs sont tous déjà milliardaires, combien ces jeux rapportent, et combien ces groupes valent en bourse. Notre aperçu montre que l’actionnariat change beaucoup de mains et que les valorisations sont hautement volatiles.
Plus de Blick Money
Fortnite est à 40% chinois
Décrit comme un «phénomène culturel», Fortnite est un jeu de tir et de survie qui se joue à plusieurs. Créé par le groupe américain Epic Games en 2017, le jeu préféré des ados a revendiqué 500 millions de joueurs dans le monde en 2023. Suscitant un véritable effet de mode dès 2018, Fortnite a inspiré les célébrations d’athlètes et conquis des rappeurs. Le revers de la médaille est que les parents s’inquiètent désormais de l’effet considérable du jeu sur les études de leurs enfants. En attendant, Fortnite a enrichi le fondateur et CEO d’Epic Games, l’Américain Tim Sweeny, qui détient 51% du capital du groupe. La fortune de ce programmeur de jeux vidéo né dans le Maryland (pour qui programmer était un hobby, au départ) est estimée à plus de 6 milliards de dollars.
L’autre gros actionnaire est chinois: il s’agit du géant de l’internet Tencent, qui détient 40% de l’éditeur de Fortnite. A ces actionnaires s’ajoutent Sony et le propriétaire de LEGO, avec 5% et 3%. Disney a également pris une participation. Epic Games a vu sa valeur d’entreprise culminer à 32 milliards il y a 2 ans, avant de tomber à 22 milliards cette année, signe des fortes fluctuations des «valos» dans la tech.
Roblox vaut plus que Logitech
L’une des apps les plus populaires en Europe est Roblox. Créée en 2017, elle a été co-fondée en Californie en 2006 par David Baszucki, un développeur né au Canada et originaire d’Ukraine, qui possède 10% de Roblox. Sa fortune est estimée à 2,4 milliards de dollars. Le reste du capital est coté en bourse. En tout, l’entreprise vaut 23 milliards, après en avoir valu près de 80 à son pic de 2021. A nouveau, un yoyo vertigineux typique des valeurs tech. C’est que Roblox dégage certes 3 milliards de dollars de chiffre d’affaires annuel, mais n’est toujours pas bénéficiaire à ce jour.
Les gérants de fonds américains Vanguard (8%) et Blackrock (4%) figurent parmi ses autres gros actionnaires. La plateforme a décollé entre 2019 et 2023 et atteint près de 200 millions d’utilisateurs actifs par mois, qui sont à 27% basés sur le Vieux Continent, et aux deux-tiers âgés de moins de 16 ans. Elle séduit par ses nombreux jeux créés par les utilisateurs eux-mêmes et doit beaucoup à la popularité de «Brookhaven», son jeu d’immersion dans une sorte de Berverly Hills virtuel.
Brawl Stars est à 84,5% chinois
Un nom revient très souvent depuis quelques mois dans les cours de récré: Brawl Stars. Créé en 2017 et popularisé en 2019, c’est la dernière folie des jeunes sur mobile. Ce sont des Finlandais, le studio Supercell, qui développent et éditent ce jeu de tir utilisant différents personnages.
Ce groupe d’Helsinki existe depuis 14 ans et appartient depuis 2016 à 84,5% au géant chinois Tencent, le même qui possède 40% d’Epic Games. Le Finlandais Ilkka Paananen, co-fondateur et CEO, aurait une fortune estimée à 1,5 milliard de dollars. Ce n’est pas un hasard si Brawl Stars opère ce comeback remarqué chez les jeunes: ses équipes ont œuvré d’arrache-pied en 2023 à ajouter de nouvelles fonctionnalités pour améliorer sa performance. Résultat, entre juin 2023 et février 2024, le jeu a multiplié son chiffre d’affaires par 9 et ses utilisateurs actifs quotidiens par 4. L’une des clés du succès a été l’idée de récompenser les joueur et joueuses s’ils se reconnectent régulièrement.
Zepeto, l’autre TikTok asiatique discret
L'application Zepeto, lancée entre 2018 et 2020, opère une ascension rapide, car elle permet aux pré-ados de faire du TikTok sans se filmer, mais en utilisant des avatars 3D très bien faits. C’est au conglomérat sud-coréen Naver Corporation qu’on doit cette app qui a dépassé les 30 millions d’utilisateurs mensuels actifs au niveau mondial. Zepeto, détenu à 49,9% par Naver, et par des institutions financières coréennes, a aussi attiré le capital du géant japonais Softbank, qui viserait les 40% dans le capital. L’app mobile a dépassé le 1 milliard de valorisation depuis 2021.
Une monétisation rampante
De façon croissante, on observe une monétisation de ces plateformes, chacune ayant désormais sa ou ses monnaie(s) virtuelle(s). Elles peinent toutes à être bénéficiaires et leur défi est de toucher des revenus. Sur Roblox, tous les jeux permettent de se procurer des jetons payants, les Robux, pour pouvoir accéder à de meilleures expériences (maisons virtuelles, véhicules ou accessoires). Les jeunes utilisateurs(trices) réclament à leurs parents ces Robux, surtout lorsque des ami(e)s en détiennent déjà et que cela leur confère visiblement plus de «privilèges».
Cette monétisation qui appâte les jeunes rémunère les créateurs de l’app, qui ont engrangé près de 750 millions de dollars en 2023. Sur Fortnite, les V-Bucks sont la monnaie virtuelle qui permet d’acquérir de nouveaux objets ou contenus. On peut les gagner en jouant, ou se laisser tenter d’en acheter sur l’Epic Games Stores, et se créer une carte de débit rechargeable comme sur un vrai système de paiements. Sur Brawl Stars, Supercell a introduit tout récemment la possibilité de payer pour débloquer des récompenses et pour accéder avant tout le monde à de nouveaux personnages (brawlers). Double défi pour les parents: lutter pour limiter le temps d’écran, mais aussi pour préserver leur porte-monnaie et les économies de leurs jeunes.