En plus d'avoir la prison trop facile, comme le titrait la RTS en avril dernier, la Suisse romande aurait aussi la prison trop violente. Les conditions insalubres et la surpopulation des prisons vaudoises et genevoises étant régulièrement dénoncées.
Il y a un peu moins d'un an, nous révélions également, de concert avec d'autres médias, un grand mal-être au sein du personnel et des maltraitances sur les mineurs au centre de détention genevois de la Clairière. Aux dernières nouvelles, l'absentéisme du personnel et les violences minent toujours cette prison pour jeunes, écrit la «Tribune de Genève» ce vendredi 4 août. Bref, depuis les premières révélations, pas grand-chose ne semble avoir changé.
Députée Verte et membre du Bureau du Grand Conseil de Genève, Dilara Bayrak a fait des politiques pénitentiaires son grand cheval de bataille ces dernières années. Nous l'avons interpellée quant aux nouveaux dysfonctionnements à la Clairière: pour elle, c'est tout notre système carcéral qui est malade. Voici ce qu'elle propose pour y remédier. Interview.
Dilara Bayrak, la prison pour mineurs de Genève fait régulièrement la Une des journaux ces dernières années. Management délétère, locaux non adaptés, employés et jeunes en souffrance... Ça vous interpelle?
Oui, et c'est d'autant plus choquant qu’il s’agit de mineurs. Les problèmes que rencontre ce centre de détention mériteraient une attention toute particulière, puisqu’il est possible d’avoir un impact sur l’avenir de ces jeunes. Plus que sur celui d’autres profils de détenus.
Quel genre d'impact?
On peut raisonnablement se dire qu’ils peuvent faire de meilleurs choix à l'avenir, avec un peu d’aide. Au lieu de les laisser entrer, dès le début de leur vie adulte, dans le cercle vicieux de la marginalisation — qui va souvent de pair avec la criminalité.
Donc le système actuel exclut encore plus les jeunes marginaux, au lieu de les réintégrer?
De manière générale, notre système carcéral n’en fait pas assez pour prévenir les récidives. À titre d'exemple: le suivi scolaire des jeunes n'est pas toujours assuré à la Clairière. Et cela réduit les chances de réinsertion. Comment un jeune peut-il trouver sa place parmi ses camarades de classe à l’issue d'une détention, après plusieurs mois sans avoir correctement été scolarisé? Sans réinsertion et sans perspectives pour le jeune, le risque de récidive augmente.
À Genève, les dénonciations s’empilent concernant la Clairière comme pour Champ-Dollon. Mais rien ne semble bouger au niveau politique. Pourquoi cette inertie?
Il y a plusieurs facteurs qui peuvent l'expliquer. Tout d'abord, il est difficile, en politique, de prioriser les questions relatives à la détention et de débloquer des fonds pour les personnes incarcérées — qu'elles soient jeunes ou moins jeunes.
Parce que personne ne veut mettre la main à la poche pour des délinquants?
En effet, les criminels, ce n'est ni vendeur, ni sexy comme thématique. Et puis il y a un aspect culturel: dans d'autres pays, et même en Suisse alémanique, on ferme de plus en plus de prisons en privilégiant la prévention, la réinsertion ou encore en résolvant d’autres facteurs impactant la criminalité. Le pays et les cantons romands, en revanche, sont bloqués dans une logique répressive. Tant que nous ne changeons pas de logique, rien ne changera.
Certains articles de presse décrivent les pensionnaires de la Clairière comme étant très difficiles: une détenue aurait, par exemple, récemment cassé la dent d’une éducatrice. Ces jeunes ne sont-ils pas, en effet, juste irrécupérables?
Non, personne n'est irrécupérable! Le but même de la détention, c'est de réintégrer la personne dans la société un jour ou l'autre. Je ne dis pas qu’il s’agit d’une tâche facile. Les profils peuvent être violents. Mais c’est la responsabilité de l’État que de donner les moyens à ces personnes de s’en sortir. Pour eux, mais aussi la sécurité de toutes et tous.
Dans votre monde idéal, on en ferait quoi, de tous ces jeunes délinquants?
On les accompagnerait en les plaçant dans des institutions véritablement adaptées à leurs besoins. Contrairement à ce qui se fait à la Clairière, où les jeunes ayant des troubles psychiques, par exemple, côtoient ceux qui font l’objet d’un mandat civil. Nous devons mettre en place des mesures plus adaptées à chaque situation. Il faut aider ces jeunes à percevoir leur potentiel.
C'est bien joli, mais comment est-ce qu’on les financerait, ces mesures de réinsertion personnalisées?
Avec tout l'argent que nous économiserons sur les détentions et les procédures judiciaires, déclenchées par les récidives à répétition. Sachant que, en détention, un prisonnier coûte en moyenne 300 francs par nuit à l'État: un suivi personnel axé sur la prévention et la réinsertion coûterait plus cher au début, certes. Mais cela réduirait les risques de récidives au point de créer un système plus économique que celui en place aujourd’hui.