Des jeunes à peine contrôlables, des ados rongés par des troubles psychiques, des mineurs particulièrement violents… Depuis plusieurs mois, la polémique fait rage autour du centre éducatif de détention pour mineurs de la Clairière, à Genève. Au cœur de cette problématique touffue, n’ayant engendré qu'une banale enquête interne de routine, dont les conclusions sont attendues à la fin de l’année: encore et toujours les jeunes détenus, âgés de 15 à 18 ans.
A en croire certains syndicats, ce sont eux, les jeunes – ainsi que la rupture de confiance avec une direction elle-même minée par les arrêts-maladie et les démissions – qui seraient responsables des conditions de travail épouvantables endurées par le personnel de la prison, frappé par l’absentéisme et l’épuisement, comme le révélait mercredi la «Tribune de Genève».
Des jeunes responsables de tous les maux? Il est toujours difficile de définir qui, de la poule ou de l'œuf, se trouve à l’origine du phénomène. Il n’empêche que le chaos qui règne à la prison de La Clairière a également de graves répercussions sur la trentaine de résidents, souvent issus de populations fragilisées – à l’instar des mineurs non accompagnés, ces enfants qui ont fui leur pays sans leurs parents. Or il s’avère que, dans ce contexte, le comportement du personnel ne serait de loin pas au-dessus de tout soupçon, comme le révèle notre enquête.
«J’ai entendu un professionnel dire 'ta gueule' à un jeune, pour vous donner un exemple courant», soupire l’une de nos sources. Cet autre interlocuteur n'y va pas par quatre chemins: «Certains éducateurs malmènent véritablement les jeunes et d’autres entretiennent avec eux des relations de promiscuité déplacées». La situation qui règne à la Clairière est décrite comme «un enfer systématiquement étouffé par la hiérarchie».
L’origine de cet inextricable chaos date de 2021. Nous sommes en pleine crise du Covid. Le personnel de La Clairière est frappé de plein fouet. Les congés maladie s'enchaînent, les taux d'absentéisme oscillent entre 13% et 15%, ce qui est bien au-delà des normes. Certains employés perdent leur poste ou claquent la porte, et ne sont pas remplacés. En mars, le centre est même décapité, puisque son directeur - qui n’a réintégré ses fonctions que la semaine dernière - tombait en arrêt-maladie, comme le révélait «20 Minutes».
La quasi anarchie règne alors entre le personnel et la hiérarchie. Elle sera la source de tous les autres déboires. «Les rôles que doivent occuper les différentes catégories de professionnels sur place – l'équipe médicale, les éducateurs, les agents de détention – sont si mal définis que, en l’absence totale de la hiérarchie cet hiver, chacun faisait un peu ce qu’il voulait avec ces jeunes», se souvient une de nos sources.
Au total, ils et elles sont une trentaine de pensionnaires au centre de La Clairière. Ces jeunes, qui ont entre 15 et 18 ans, sont divisés en deux catégories et logés dans deux bâtiments distincts.
Seize sont actuellement placés dans le secteur «observation»: qu’ils aient commis des délits ou non, ce sont des adolescents en rupture, dont le séjour au centre a été ordonné par le civil ou par le pénal. Les juges le demandent en général pour pouvoir observer les jeunes – au niveau médical, éducatif et scolaire – afin de statuer sur les mesures à prendre pour la suite.
Quatorze adolescents sont en ce moment placés dans le secteur «prévention», sous l'égide du pénal cette fois. Dans ce cadre, il s'agit d'une «mesure disciplinaire», prise lorsque le jeune n'a pas respecté les mesures prononcées précédemment par le juge, par exemple. Ou d'une «détention provisoire», pour les besoins d'une enquête de police en cours.
À noter qu'aucune peine de prison à proprement parler n'est purgée à La Clairière.
Au total, ils et elles sont une trentaine de pensionnaires au centre de La Clairière. Ces jeunes, qui ont entre 15 et 18 ans, sont divisés en deux catégories et logés dans deux bâtiments distincts.
Seize sont actuellement placés dans le secteur «observation»: qu’ils aient commis des délits ou non, ce sont des adolescents en rupture, dont le séjour au centre a été ordonné par le civil ou par le pénal. Les juges le demandent en général pour pouvoir observer les jeunes – au niveau médical, éducatif et scolaire – afin de statuer sur les mesures à prendre pour la suite.
Quatorze adolescents sont en ce moment placés dans le secteur «prévention», sous l'égide du pénal cette fois. Dans ce cadre, il s'agit d'une «mesure disciplinaire», prise lorsque le jeune n'a pas respecté les mesures prononcées précédemment par le juge, par exemple. Ou d'une «détention provisoire», pour les besoins d'une enquête de police en cours.
À noter qu'aucune peine de prison à proprement parler n'est purgée à La Clairière.
Des éducateurs en roue libre
Cette «liberté», on s’en doute, n’a pas engendré que des bons comportements et des bonnes réponses aux problèmes posés par la gestion délicate des détenus mineurs. Si les sorties à l’extérieur, en groupes restreints, ainsi que la prise de repas en commun sont à nouveau autorisés, nos sources relèvent que ça n’était toujours pas le cas pendant les premiers mois de l’année, alors que la pandémie était déjà plus ou moins derrière. Une prudence difficile à comprendre pour les jeunes.
Il semblerait par ailleurs que les conditions de vie endurées par les pensionnaires, depuis le début de la pandémie et jusqu’à cet été, étaient particulièrement délétères: «Les cellules sont de façon générale insalubres et mal isolées, précise une de nos sources. Cet hiver, il y faisait 12 degrés. Et j’ai vu un jeune se voir refuser une couverture supplémentaire… Avec la canicule, cet été, curieusement, les détenus devaient à un moment donné choisir entre la ventilation et l'accès au courant électrique».
La fin de la pandémie et de la canicule n’aurait pas eu raison de tous les problèmes. C’est ce que relève l'un de nos interlocuteurs, qui dénonce des cas de mauvais traitements: «Dans l’état actuel de la crise au sein de l’institution, lorsqu’un jeune est en souffrance et appelle à l’aide à l’interphone, les éducateurs ne se déplacent que rarement. Ces mineurs sont donc livrés à eux-mêmes…»
Une grande distance… ou une proximité discutable. «Certains éducateurs sortent de leurs gonds et insultent les détenus. D’autres — et c’est tout aussi violent — entretiennent une grande proximité, comme des 'potes', alors que ce sont justement des adolescents qui ont des problèmes de limites», regrette notre source. Et d’enchaîner: «Je n'ai pas entendu d'histoires de coucheries, mais j'ai été témoin de scènes de séduction et de promiscuité entre éducateurs et jeunes, et cela crée des confusions…»
Des prescriptions sans diagnostic
Pour tous nos interlocuteurs, les raisons de ces dérapages du personnel envers les détenus sont issues d’une cascade. Comprenez qu’elles «viennent d’en-haut». En-haut? Notamment à l’étage de l'équipe médicale qui œuvre dans la prison pour mineurs, une équipe placée sous la responsabilité directe des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) qui sont, à l’instar de La Clairière, sous l'autorité du département de la sécurité, de la population et de la santé (DSPS) présidé par Mauro Poggia.
Le médecin responsable de l'équipe médicale pénitentiaire est le docteur XY* (*pour respecter le principe de la protection de la personnalité, nous ne publions pas son nom). Un médecin qui resterait bien trop loin de ses patients. Selon les témoignages recueillis à La Clairière, le Dr XY «prescrit des médicaments aux jeunes sans même les avoir vus, surtout des neuroleptiques et des anxiolytiques», dénonce un interlocuteur. Car le responsable du personnel médical du centre serait rarement sur place: «XY, censé être présent à la Clairière trois jours par semaine, n’est en réalité là qu’une demi-journée.»
Des critiques relativisées par l’Etat
Confronté aux accusations qui décrivent une situation chaotique à La Clairière, le DSPS relativise. Son porte-parole, Laurent Paoliello, affirme d’emblée qu’«aucun dysfonctionnement alarmant n’a été mis en lumière et que les tribunaux continuent à reconnaître le travail de qualité fourni par cet établissement.» Il s’appuie notamment sur le fait que «le groupe de confiance, qui avait été saisi par certains collaborateurs en été 2021, a choisi de ne pas ouvrir d’enquête». Le collaborateur du DSPS ajoute que des groupes de travail ont été créés «pour que les collaborateurs puissent contribuer à l’amélioration du fonctionnement de l’établissement», relevant au passage que les «difficultés de collaboration, entre agents de détention et éducateurs notamment», seraient normales «dans un établissement réunissant plusieurs corps de métier».
Quid des accusations précises portant sur le présumé absentéisme de XY, médecin responsable des services pénitentiaires? Le département soutient qu'il «se rend au moins deux fois par semaine à la Clairière (...). Il y anime les réunions interdisciplinaires, (...) participe à des entretiens de famille et rencontre la majorité des adolescent-e-s qui y sont admis.»
Le DSPS admet néanmoins que des médicaments peuvent être prescrits sans examen médical en personne au préalable, sur la base d’un téléphone, mais il relègue ce cas de figure au rang d'exception, contrairement à ce qu'affirment nos sources: «En l’absence du médecin psychiatre et du pédiatre», XY «peut être occasionnellement sollicité pour une adaptation des traitements médicamenteux après une évaluation exhaustive et fiable du personnel médico-psycho-soignant.» Et d’ajouter que «les traitements prescrits correspondent aux standards de qualité en pédo-psychiatrie».
«Il peut faire frais en hiver»
Et les conditions de vie des jeunes détenus? «En tout état de cause, aucune plainte concernant l’eau ou l’électricité n’a été remontée à la direction de la Clairière, à la direction générale ou au département», affirme Laurent Paoliello. Lorsqu'on interroge le département sur les 12 degrés dans les cellules des jeunes en hiver, celui-ci répond qu'il «peut effectivement faire frais en hiver dans les locaux à sommeil, mais pas froid.»
La question concernant une promiscuité ou des violences de la part des éducateurs envers les jeunes est éludée: «Tout comportement inadéquat de la part d’un membre du personnel, éducateur ou autre, est dénoncé lorsqu’il est de caractère pénal, ou traité sous l’angle administratif s’il est contraire aux directives internes ou valeurs de l’établissement.»
«Ils vivent dans des conditions traumatisantes»
Le sort de La Clairière ne semble pas grandement intéresser la classe politique. A l’exception peut-être de Dilara Bayrak, élue Verte au Grand conseil de Genève. Contactée par Blick, celle qui a fait de la question des prisons et du sort des prisonniers et des prisonnières l’un de ses grands combats, prend de la hauteur: «Au fur et à mesure des scandales, nous constatons à quel point la gestion des centres de détention les empêche d’être véritablement bénéfiques à la société… Si ces faits (ndlr: dénoncés ci-dessus) sont avérés, la politique carcérale genevoise a urgemment besoin d’être prise en main afin de rappeler les missions des institutions pénitentiaires. Il faut offrir de meilleures conditions de détention, accompagner les détenus pour éviter les récidives.»
Pour la politicienne, cela implique aussi d’identifier les raisons qui ont poussé les prévenus, en l’occurrence mineurs, à la délinquance ou à des comportements préjudiciables. «La plupart des jeunes se trouvant à la Clairière y sont sous mandats civils (ndlr: lorsqu’il y a mise en danger d’un mineur pour x raison, ou que ce dernier met les autres en danger, l’Etat est tenu d’intervenir pour le protéger et veiller à assurer son bon développement). Ce sont donc des personnes en situation de détresse, placées là à des fins d’assistance, mesure discutable en elle-même. Alors qu’il faudrait les soutenir et les protéger, ces jeunes – extrêmement vulnérables – vivent dans des conditions traumatisantes, qui n’encouragent vraiment pas à reprendre des forces pour entamer une vie meilleure à la sortie…»
En attendant, la sortie de la crise qui touche la prison de la Clairière, elle, ne pointe pas encore à l’horizon.
*Pour garantir la protection de nos sources, aucune information concernant le poste occupé par ces dernières ou leur rôle n’est révélée. Tous les propos publiés ont été corroborés par plusieurs individus. Leur identité est connue de la rédaction.