Une situation anarchique
Dans ce village bernois, chacun peut construire comme bon lui semble

La commune de Frutigen (BE) aurait négligé pendant des années ses responsabilités en matière de police des constructions. Les autorités bernoises en ont assez et menacent de procéder à des mises sous séquestre. Une position qui suscite l'incompréhension dans le village.
Publié: 26.04.2024 à 13:27 heures
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Difficile de trouver un cadre plus idyllique que celui de la commune bernoise de Frutigen. Mais derrière la carte postale, cette bourgade de 6700 habitants doit affronter un problème d'un tout autre acabit.
Photo: Gina Krückl
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Gina Krückl

Dans toute la Suisse, la construction est soumise à des règles strictes. Dans toute la Suisse? Non! Dans la paisible bourgade de Frutigen, dans le canton de Berne, on résiste vaillamment aux plans de zones et aux règlements du canton.

C'est en tout cas ainsi que l'on pourrait interpréter le communiqué de presse de la préfète du district de Frutigen-Niedersimmental, Ariane Nottaris. En effet, le ton de la représentante du canton à l'adresse de la commune est inhabituellement vif.

Des années d'inaction dénoncées

La commission des constructions de Frutigen aurait «négligé de manière répétée, systématique et depuis plusieurs années ses obligations en matière de police des constructions concernant des projets de construction illégaux dans la zone agricole», peut-on lire dans le communiqué. La police des constructions est certes intervenue dans cette commune de 6700 habitants, constatant un certain nombre d'irrégularités. Mais rien n'a été entrepris pour remédier à cette situation, qui stagne depuis des années dans certains cas. 

Et avec cet épisode, la commune bernoise n'en est pas à son coup d'essai. En effet, l'administration des constructions de Frutigen a déjà fait les gros titres par le passé. Ainsi, en septembre 2022, la commune a été accusée de favoriser les projets de construction d'un grand entrepreneur. Des accusations dont elle s'est défendue. Mais Frutigen est loin d'être le seul mauvais élève: il y a trois ans, une enquête de Blick révélait que des dizaines de chalets d'alpage de l'Oberland bernois avaient été transformés illégalement en chalets de luxe et loués à des touristes.

Après octobre, la mise sous séquestre menace

Mais à Frutigen, la préfète Nottaris en a désormais assez. Avec un total de 35 cas relevés par la police des constructions, elle estime qu'il est urgent d'agir. L'éventail des infractions est large: l'asphalte non autorisé sur une route, étable trop grande, fenêtre de trop, etc.

Interrogé par Blick, Ariane Nottaris précise qu'une grande partie des cas de Frutigen devraient être réglés d'ici fin octobre. «Sinon, le Conseil d'Etat devra envisager une mise sous séquestre.» Le canton interviendra-t-il bientôt dans l'Oberland bernois, région si paisible habituellement, pour remettre les politiciens communaux dans le droit chemin? Blick a mené l'enquête.

Les lois du pays

À Frutigen, certaines voix s'élèvent contre la commune. «C'est comme ça à la campagne: si tu es dans le bon club, tout est plus simple», déclare notamment un habitant. L'idée d'un casse-tête administratif revient également souvent: «S'il est trop difficile et trop long d'obtenir un permis de construire, il ne faut pas s'étonner que nous commencions simplement à construire ici», peut-on entendre. Ou plus simplement: «Nous n'avons pas besoin de cette énorme bureaucratie ici.»

«C'est assez inutile»

Mais de nombreuses personnes interrogées estiment aussi que la préfète crée un drame inutile à Frutigen. «Je comprends qu'elle ne fait que son travail. Mais maintenant, après 20 ou 30 ans, déterrer ces futilités qui n'intéressent de toute façon personne ici – c'est plutôt inutile», déclare la riveraine. 

Une grande partie des personnes concernées par les procédures de la police des constructions devrait être du même avis. Il y a par exemple les membres de la famille Huber*, qui ont construit il y a environ 20 ans une route en gravier – autorisée – menant à leur maison située dans l'une des zones agricoles de la commune. En raison de la forte pente et des frais d'entretien élevés, elle a goudronné la route deux ans plus tard, en accord avec un fonctionnaire. Mais, il y a quelques années, il s'est finalement avéré qu'il ne s'agissait pas d'une autorisation officielle. Le revêtement en goudron doit désormais disparaître, et les Huber devront en supporter les frais.

La commune se défend

Blick est allé rencontrer le maire de la commune Hans Schmid. A Frutigen, on prend acte du rapport de la préfète – même si on n'est pas d'accord avec son contenu, assure le maire. «Ces dernières années, nous avons toujours cherché des solutions, tout en essayant d'agir de manière proportionnée et de ne pas provoquer de faillites et de drames familiaux.» 

Ainsi, une grande partie des constructions illégales n'étaient «certainement pas malveillantes», affirme Hans Schmid. «Contrairement à la zone à bâtir, presque toute modification, même minime, doit faire l'objet d'une autorisation de construire dans la zone agricole.» De plus, il n'y aurait pas de délai de prescription clair. «Celui qui achète une construction dans la zone agricole achète rapidement par mégarde encore divers sites contaminés qu'il doit ensuite démanteler à grands frais.»

Hans Schmid admet néanmoins que des choses auraient pu être faites différemment: «Dans certains cas, nous aurions peut-être dû être un peu moins indulgents et insister davantage sur les délais.» Mais cet aspect ne joue désormais plus aucun rôle: «Nous allons nous en tenir aux directives de la préfète», promet le maire. Le délai fixé pour tout régler d'ici octobre ne pourra toutefois pas être respecté. «Il y aura certainement quelques oppositions, ce qui devrait retarder les choses.» A Frutigen, on semble au moins s'y connaître en matière d'atermoiements.

*Nom d'emprunt

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