Beaucoup d’émotions se mêlent à la voix de Muriel Dousset, ce jeudi matin. Au téléphone, la patronne de la boutique lausannoise de seconde main Chabada Vintage peine à dénouer sa gorge. La tristesse, le sentiment d’injustice et la colère, parfois, la rattrapent bien malgré elle. La raison? Cette commerçante a écopé d’une amende salée pour des motifs a priori difficilement compréhensibles.
Retournons quelques heures en arrière. Ce mercredi 19 janvier, le froid balaie la capitale vaudoise. Muriel Dousset profite d’une courte pause pour déguster dans la chaleur de sa boutique une salade qu’elle a préalablement achetée à l’emporter. «Pour éviter que des odeurs de nourriture ne s’imprègnent, j’ai jeté l’emballage dans la poubelle publique située juste devant ma vitrine, à la rue de la Cheneau-de-Bourg, explique-t-elle à Blick. Je suis ensuite retournée à l’intérieur et deux hommes de gris vêtus m’ont emboîté le pas.»
Ces deux individus, des employés communaux rattachés au Service de la propreté urbaine, lui ont demandé de ressortir. «Ils m’ont amené devant la poubelle, l’ont ouverte avec une clé spéciale, et ont pointé du doigt l’emballage de ma salade, glisse la commerçante. Ils m’ont demandé sur un ton très sec: 'C’est votre déchet?'. Ils m’ont parlé comme s’ils désignaient le cadavre de ma mère. Mais, comme je suis honnête et que je ne voyais pas le problème, j’ai répondu par l’affirmative.»
À sa plus grande surprise, un des deux hommes dégaine alors son calepin et lui flanque une douloureuse de 150 francs. «Ils m’ont expliqué que je n’avais pas le droit de jeter l’emballage d’un produit dans une poubelle publique si j’avais consommé à l’intérieur, souffle-t-elle. Très honnêtement, je l’ignorais. J’ai demandé davantage d’explications et les larmes me sont rapidement montées car 150 francs, c’est beaucoup pour moi en cette période de Covid. Les affaires sont difficiles et on ne peut pas dire qu’on croule sous les aides. On m’a dit que c’était comme ça, qu’ils regrettaient que cela tombe sur moi. Et bien moi aussi.»
Deux poids, deux mesures?
Muriel Dousset ne peut pas s’empêcher d’y penser. «Ces deux employés auraient-ils agi de la même manière si un groupe d’une dizaine de jeunes avaient jeté leur sac McDonald dans une poubelle publique? Ne serait-il pas plus utile de s’occuper en priorité des déchets qui jonchent le bord du lac le week-end plutôt que de m’embêter pour mon petit contenant déposé dans une poubelle vide?»
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Malgré son écœurement, la Lausannoise s’est résignée. Elle ne contestera pas la prune: «Je n’ai aucune chance de la faire sauter», assure-t-elle. Une rapide recherche dans les archives de la presse locale semble lui donner raison. En octobre, une retraitée de 73 ans avait écopé du même montant après avoir jeté une barquette vide dans une poubelle située à l’avenue de Cour, racontait «Lausanne Cités». Quatre mois plus tôt, c’était le tour d’un aîné de 77 ans. Cet homme avait jeté un petit sac de déchets après un goûter frugal au large d’Ouchy sur son bateau, rapportait «24 heures». Absurde?
La patronne de Chabada Vintage ne va pas jusque-là. «Je peux comprendre la logique des autorités mais je trouve qu’il serait plus intéressant de sensibiliser les gens et de surtout faire la part des choses entre quelqu’un qui viendrait de nuit se débarrasser de ses ordures ménagères et une personne de bonne foi qui fait une erreur.»
Lausanne se justifie
Nous avons contacté la Ville de Lausanne. Voici un florilège de nos interrogations: Ne serait-il pas possible de faire preuve d’un peu de souplesse et de sensibiliser davantage la population plutôt que de directement amender? Existe-t-il une volonté politique de serrer la vis face à ce genre de comportements? Pourquoi aucune distinction n’est faite entre une personne qui viendrait délibérément jeter ses déchets ménagers et un simple emballage de salade consommée sur le pouce à l’intérieur à cause du froid? Le chef du Service de la propriété urbaine n’a répondu que partiellement à nos questions.
«Les poubelles de rue sont destinées exclusivement à la récolte de déchets 'spontanés', tels que l’emballage d’un encas pris sur le domaine public ou d’un magazine gratuit lu sur un banc, écrit dans un courriel Stéphane Beaudinot. Elles ne sont pas dévolues à l’élimination des déchets ménagers conformément à la loi cantonale en matière de gestion des déchets.»
Plus sur les déchets
Il rebondit: «Si des ménages jettent leurs déchets dans les poubelles de rue, alors le système de taxe au sac n’est plus respecté. De plus, cela crée une inéquité de traitement entre celles et ceux qui jettent leurs déchets dans un sac taxé — qui a été payé — et celles et ceux qui les jettent dans une poubelle de rue.» Et concernant Muriel Dousset? «Dans le cas que vous décrivez, la personne se trouvait dans sa boutique, elle aurait donc dû déposer ses déchets dans la poubelle de son magasin», appuie-t-il.
Du côté des statistiques, «près de 1770 amendes ont été distribuées en 2021 dont 75% environ pour du littering, principalement de mégots de cigarette», détaille le chef de service. Une vingtaine de personnes a été amendée pour avoir jeté des déchets ménagers dans une poubelle publique, soit environ 1% du total des amendes distribuées.
Au total, «dix agents sont actifs sur le domaine public pour sensibiliser à la propreté urbaine et nous menons chaque année des campagnes de sensibilisation», rappelle Stéphane Beaudinot. La quantité de poubelles disponibles sur le domaine public, plus de 1000, à Lausanne est stable. Quant aux amendes d’ordre, elles sont entrées en vigueur en 2017 «dans le but de renforcer la propreté en Ville de Lausanne». Espérons au moins que cela fonctionne.