Harcèlement, attouchements, voire violence... Pratiquement toutes les femmes qui ont travaillé un jour sur un chantier peuvent en témoigner. Plus de la moitié d'entre elles ont été victimes de harcèlement sexuel, 25% ont subi des formes de violence sexualisée. C'est ce que montre une nouvelle enquête du syndicat Unia auprès de près de 300 ouvrières.
Yelines Hofer est l'un d'entre elles. Peintre à Olten, dans le canton de Soleure, elle raconte: «Les clients sont généralement les pires. Une fois, nous avons repeint une maison. J'étais en train de réparer une plinthe dans la chambre à coucher quand le propriétaire s'est mis à côté de moi. Pendant qu'il me parlait, il s'est déshabillé. Sa femme était en bas, dans la cuisine. Je l'ai dit à mon supérieur, mais je n'aurais jamais dû: Le client paie et gagne toujours.»
Elle se rappelle cet autre incident: «J'étais en train de repeindre un centre de fitness. Le propriétaire n'arrêtait pas de me toucher. J'ai dit non, pourtant il a continué. Mon patron a même demandé à des collègues de m'accompagner pour me protéger, mais ça ne s'est pas amélioré pour autant.»
D'abord des propos, ensuite des attouchements
Domenica Priore est installatrice sanitaire à Zurich. Elle se rappelle: «Un ancien collègue s'est montré insistant. Au début, ce n'était que des remarques sur le fait qu'il me trouvait sexy et ainsi de suite. Je lui répétais qu'il devait arrêter, mais cela ne faisait que l'inciter davantage. Après une discussion avec le chef, les choses se sont calmées pendant un moment. Mais est revenu à la charge, cette fois pour me peloter. J'ai dû le repousser et ce n'est qu'à ce moment-là qu'il a été licencié.»
Et de conclure: «'Qu'est-ce que tu fais sur le chantier en tant que femme? Hey ma douce, beau cul'... J'entends régulièrement ce genre de propos.»
Le client voulait expressément être conseillé par un homme
De nombreuses ouvrières du bâtiment pensent qu'elles doivent en faire plus pour être prises au sérieux. En effet, d'après l'enquête, les vieux préjugés sont encore largement répandus aujourd'hui. Comme celui voulant que les femmes travaillent moins bien parce qu'elles sont moins fortes ou moins compétentes.
Yelines Hofer en a fait l'amer expérience: «Un jour, un client a dit qu'il souhaitait un conseil en peinture, mais seulement par un homme. Et ce, malgré mes multiples formations dans ce domaine. Pourquoi ce chef de chantier d'une grande institution pensait-il ainsi? Je ne sais pas.»
Les femmes sont encore rares dans le secteur de la construction
Stefanie Wegmann est peintre en bâtiment: «Quand on choisit ce métier, on sait qu'il faut pouvoir porter un pot de peinture de 20 kilos. Je travaille dans un réseau de femmes, nous sommes toutes indépendantes. Nous n'avons heureusement jamais eu à subir de harcèlement. Quand nous arrivons sur le chantier, nous sommes le chef.»
«Avant, mon travail était physiquement très éprouvant, ajoute l'installatrice sanitaire Domenica Priore. Puis, le matériel est devenu plus léger, avec l'utilisation de plastique pour le matériel, plutôt que de l'acier. Et il y a maintenant des outils pour porter des charges lourdes. L'époque où l'on portait à bout de bras est révolue.»
Les femmes sont encore rares dans le secteur de la construction. Les plâtrières ou les femmes maçonnes sont quasiment inexistantes. Mais leur proportion tend à augmenter ces dernières années. Dans le secteur de la peinture par exemple, un professionnel sur cinq est désormais une femme.
«La situation des toilettes est mauvaise»
Un problème subsiste cependant: les infrastructures restent conçues pour des équipes masculines. Par exemple, il n'existe pratiquement pas de vestiaires séparés. Chez les peintres, ils sont même quasiment inexistants pour les femmes.
Un problème récurrent que soulève Yelines Hofer : «Certaines femmes ne boivent pas de la journée, à cause de l'absence de toilettes. Certaines collègues se débrouillent avec des pots de peinture vides. Si tu travailles à proximité, tu peux éventuellement retourner au bureau, sinon au restaurant le plus proche. Mais dans mon ancienne entreprise, le chef me retirait des heures si je quittais le chantier pour cela. Et quand j'avais mes règles, il m'arrivait parfois de changer de tampon dans une cave ou dans la voiture.»
La question du temps partiel
Dans l'enquête d'Unia, 90% des femmes ont indiqué que le travail et la famille étaient difficilement conciliables dans la branche. Beaucoup d'entre elles souhaitent ainsi davantage de postes à temps partiel. Mais le sujet est très mal vu dans le secteur de la construction. Même les grandes entreprises ne le proposent pas. Du coup, de nombreuses femmes quittent le travail lorsqu'elles ont des enfants.
«J'avais 26 ans lors de mon premier enfant» se souvient Brigitte Angele Hanselmann, peintre à Zurich. «J'ai travaillé à temps plein jusqu'au septième mois. Mon mari était encore à l'université et financièrement, c'était très serré. J'ai donc dû continuer à travailler après mon accouchement, en prenant sur appel des contrats ici et là. Tout mon salaire allait à la garde des enfants. J'ai aussi pu compter sur ma famille. Mon père était peintre, mon frère travaillait dans le bâtiment. J'ai donc longtemps travaillé pour l'entreprise familiale. Travailler à temps partiel n'aurait pas été possible sinon».
Pour Yelines Hofer, toutes ces contraintes poussent la plupart des femmes à jeter l'éponge: «Presque toutes les femmes que je connais arrêtent. Elles se reconvertissent, font du nettoyage ou du service. Moi-même, je réfléchis à l'éventualité d'avoir des enfants. Ou pas... Car je sais que cela deviendrait très difficile.
Pour autant, l'attractivité du temps partiel pourrait résoudre de nombreux problèmes. La branche souffre massivement d'un manque de personnel qualifié. Pour le seul secteur de la construction, 13'300 postes sont actuellement vacants. Une nouvelle étude montre même que d'ici 2040, un poste sur six dans le bâtiment restera vacant. Or pour l'instant, les soignants sont plus recherchés
S'occuper des enfants après une journée de travail, c'est surhumain
«La plupart des femmes me disent encore aujourd'hui que si elles ont une famille, elles ne pourraient plus travailler. Je le comprends tout à fait. S'occuper des enfants après avoir travaillé dur, ça ne va pas. A choisir, mieux vaut rester à la maison» confie Brigitte Angele Hanselmann.
Toutes ces circonstances défavorables n'ébranlent toutefois pas l'amour que portent Yelines Hofer, Stefanie Wegmann, Domenica Priore et Brigitte Angele Hanselmann à leur travail. Toutes les quatre concèdent également que quelque chose a évolué, vers un semblant de mieux.
«Déjà, c'est devenu plus propre !» ironise Stefanie Wegmann. «Avant, les gens buvaient de la bière à l'heure du goûter et à midi. Aujourd'hui, cela n'arrive plus».
Et Yelines Hofer de conclure: «J'ai déjà voulu abandonner plusieurs fois, mais j'ai réalisé que le métier et les circonstances sont deux choses différentes. Quand ça ne va plus, je change d'endroit. J'aime faire ce métier et je sais que je suis à ma place sur un chantier en raison de mes compétences. Cela aide.»