«Close the Gap». Cette inscription saute aux yeux, présente à plusieurs reprises, sur le mur du bureau de Patrizia Laeri à Seefeld, dans le canton Zurich. «Par Gap, l'écart, on entend le dernier obstacle avant l'égalité: l'argent, explique l'ancienne journaliste de la SRF. L'argent gouverne le monde, mais les femmes ne gèrent toujours pas l'argent.»
Dans un élégant appartement ancien, la journaliste et économiste a installé la start-up ElleXX. Cette plateforme soutient justement les femmes sur les questions d'argent, mais aussi sur des sujets tels que le harcèlement, le sexisme au travail ou les agressions sexuelles. Patrizia Laeri elle-même a porté récemment de graves accusations contre un rédacteur de la SRF dans le cadre du mouvement #MediaToo. Il l'aurait harcelée sexuellement alors qu'elle était en stage, il y a 20 ans. Blick l'a rencontrée.
Patrizia Laeri, cinq ans après #MeToo, le mouvement #MediaToo fait les gros titres en Suisse. Des discussions sont en cours à la SRF, notamment concernant la place des femmes dans les fictions. Mais pourquoi a-t-il fallu attendre autant de temps pour que les choses bougent?
Cela tient sans doute au fait que le secteur suisse des médias reste fortement dominé par des hommes et qu'une culture du silence a longtemps prévalu sur ces sujets. J'ai moi-même mis 20 ans avant de réaliser ce que l'on m'avait fait. Ce n'est qu'avec la création d'ElleXX que j'ai pris conscience que j'avais été victime de harcèlement sexuel. Avant cela, j'avais réussi à le refouler. L'ironie de l'histoire, c'est que je dois maintenant faire appel à notre propre programme de protection juridique pour me défendre contre des articles sexistes.
Il a fallu un média allemand pour lancer le mouvement #MediaToo avec l'affaire Canonica (ndlr: une ancienne employée accuse Finn Canonica, ancien rédacteur en chef de «Das Magazine», de mobbing). Notre mentalité suisse est-elle en partie responsable du fait que rien ne se soit passé pendant si longtemps?
Absolument. La Suisse est un pays en développement en ce qui concerne les droits des femmes. Si un média allemand comme «Der Spiegel» offre une si grande plateforme à un cas suisse, il ne peut plus être ignoré chez nous non plus. Pour moi, il était important de réaliser que toute personne qui détourne le regard ou ne dit rien contribue à créer un climat de travail toxique. Je suis aussi en partie coupable. J'ai été ce genre de personnes, je portais des œillères.
Vous avez finalement rompu le silence et admis que vous aviez été aussi harcelée sexuellement. Vous ne nommez toutefois pas l'auteur de l'agression. Le succès de #Metoo repose pourtant précisément sur le fait que l'on nomme les auteurs – pourquoi avez-vous quand même décidé de ne pas le faire?
Cela ne devait pas devenir une vendetta personnelle. Il y a encore beaucoup d'autres cas. Mais je dois dire que la SRF s'est vraiment comportée de manière exemplaire dans cette affaire. La chaîne a ouvert une enquête interne et j'ai été invitée à me rendre dans un service d'enquête externe.
Qu'attendez-vous ou qu'exigez-vous en ce qui concerne votre agresseur?
Je peux vous dire ce que je ne veux pas: je ne veux pas d'excuses, mais une révolution. Il faut lancer un processus dans lequel cette culture sexiste sera remise en question, dans lequel les personnes victimes seront protégées et dans lequel des auteurs ne pourront plus jamais travailler avec des jeunes femmes à l'avenir.
Malgré cela, on a l'impression que les entreprises concernées sont encore très réticentes à enquêter sur ces cas.
Oui. Il serait vraiment temps qu'une grande entreprise de médias se range en premier lieu derrière la victime. Tout le reste relève d'une culture d'entreprise dépassée. Le pouvoir continue à couvrir le pouvoir. Apparemment, les structures n'ont pas encore fait les changements nécessaires.
En tant que jeune journaliste, on court le risque d'être victime d'un comportement abusif. En tant que femme, on n'est pas seulement harcelée sexuellement, mais souvent aussi discriminée sur le plan monétaire.
C'est exact. En tant que jeune journaliste, j'ai vécu des discriminations salariales à plusieurs niveaux. Je devais par exemple terminer une émission en un jour, alors que mon collègue beaucoup plus expérimenté disposait de quatre à cinq jours. Bien que j'en aie parlé à plusieurs reprises à mon chef, rien n'a été fait.
À propos d'argent, cette semaine, vous avez rendu publics vos revenus et avez reçu beaucoup de félicitations pour votre transparence. Dans la foulée, vous appelez à ce que davantage de personnes divulguent leur salaire. Cette demande n'est-elle pas irréaliste dans un pays où l'on ne parle pas de ça?
Non. Je pense que cette transparence crée de la confiance et contribue à ce que l'écart entre les genres en matière de salaire soit enfin comblé. Dans le système actuel, les femmes doivent encore apprendre très tôt à mieux négocier, car elles ne sont pas protégées par la loi. Actuellement, ceux qui gagnent le plus sont ceux qui savent se mettre en avant. Dans la pratique, les compétences sont souvent laissées de côté.
Votre déclaration de salaire correspond à 8000 francs par mois. Mais en tant qu'indépendante et propriétaire d'entreprise, ce chiffre n'est toutefois pas très significatif, puisque vous décidez vous-même du montant que vous vous versez et que vous gagnez peut-être encore beaucoup plus en bonus et en dividendes.
Malgré tout, c'est mon salaire et je l'assume. Les gros titres négatifs sur ce sujet relèvent du sexisme économique. Je comprends que l'on veuille avoir son mot à dire sur mon salaire à la SRF. En tant qu'employé d'une chaîne publique, on est payé par le public. Mais maintenant, je suis dans le secteur privé, et indépendante. Je pensais être débarrassée des détracteurs. Mais c'est le contraire qui s'est produit: cela n'a fait qu'empirer.
Quelle est, selon vous, la raison de ces violentes critiques à votre égard – un sentiment d'injustice, une mauvaise volonté ou une simple haine des femmes ?
Je pense que cela a beaucoup à voir avec une haine générale des femmes. Je n'ai jamais reçu autant de courriels haineux qu'actuellement. Lors de #MediaToo, les réactions étaient modérées en comparaison. Mais l'énorme dépendance économique des femmes reste apparemment un sujet tabou pour certains. Je suis sûrement la journaliste économique la plus détestée de Suisse. Pourtant, je n'ai jamais attaqué qui que ce soit personnellement. La seule explication plausible pour moi est que mon équipe et moi mettons le doigt sur des points sensibles avec nos articles, que nous mettons en lumière les erreurs du système. Cela ne serait pire que si je me lançais dans la politique – ce que je n'ai pas l'intention de faire (rires).
Restons-en à la politique: le 8 mars, c'est la Journée mondiale de lutte pour les droits des femmes, qui se déroulera sous le slogan «Célébrer l'équité». Un jour avant, le Conseil des États votera définitivement sur le nouveau droit pénal sur les infractions sexuelles – un vote que beaucoup considèrent comme injuste.
Je suis d'accord avec ce point de vue. Je trouve absolument injuste qu'un organe majoritairement masculin décide du traitement juridique des abus sexuels commis sur les femmes. Mais je ne suis malheureusement pas surprise qu'ils en aient le droit. Car il en a toujours été ainsi en Suisse. Les hommes ont décidé pour les femmes. Il est maintenant temps de combler ce fossé entre les genres. Même si, à l'échelle mondiale, il faudra encore 267 ans pour que les hommes et les femmes aient les mêmes chances sur le plan économique, je considère comme ma mission de vie de m'engager pour cet objectif.