Le pape François a-t-il marché sur la tête? C’est la question que se posent certains fidèles catholiques à travers le monde après avoir appris ses propos dans une interview de la «Corriere della Sera». François y évoque la guerre en Ukraine et indique que l’Occident a «certainement» contribué à «provoquer Vladimir Poutine», notamment en mettant l’OTAN «aux portes de la Russie».
Si le pape n’est pas le seul à tenir ce genre de propos, il s’éloigne cependant des prises de position des organes dirigeants de l’UE et de l’ONU, ainsi que de nombreux autres leaders occidentaux.
Quatre millions de catholiques ukrainiens
Le pape serait-il pro-russe? Dans l’interview, il demande également à ce que les livraisons d’armes cessent en Ukraine et indique avoir décliné une invitation du président Zelensky de venir à Kiev. Il souhaiterait toutefois se rendre en Russie pour rendre visite à Vladimir Poutine. «Mais je crains qu’il ne veuille pas de rencontre pour le moment», a révélé le pape François.
Pour de nombreux Ukrainiens résidant en Suisse, les déclarations du pape suscitent de l’incompréhension voire de la colère. Un peu moins de 10% de la population ukrainienne, soit quatre millions de personnes, est issue de l’Église catholique byzantine grecque, qui dépend de Rome et du pape. Il s’agit souvent de fidèles résidant dans l’ouest du pays, qui partage une influence culturelle avec la Pologne, très catholique.
Un prêtre en colère
Nazar Zatorsky est prêtre et vicaire épiscopal au sein de cette Église, ainsi que doctorant en théologie à l’Université de Fribourg. En colère, il déclare à Blick: «Les fidèles ukrainiens en Suisse n’ont pas seulement été abandonnés par le pape, ils ont été trompés.»
Selon lui, le pape n’a pas fait preuve de discernement dans son analyse de la situation en reprenant les déclarations de Poutine qui pointe du doigt l’OTAN comme responsable de la guerre. «C’est comme si on présentait les soldats qui ont crucifié Jésus comme des martyrs. La Russie n’est pas victime de la situation, c’est bien elle qui est coupable.»
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Les évêques suisses plus diplomates
Du côté des instances officielles de l’Église catholique en Suisse, on se veut plus prudent. L’évêque de Bâle Felix Gmür, président de la Conférence des évêques suisses, se réjouit «que le pape soit prêt à se rendre à Moscou, car il pourra ainsi agir en faveur de la paix».
Une réserve toute diplomatique, mais qui masque un point sensible pour de nombreux catholiques: le sort des réfugiés. De nombreuses paroisses et communautés religieuses de Suisse se sont en effet engagées en faveur des déplacés de la guerre en Ukraine, qu’il s’agisse de mise à disposition de locaux, de récoltes de dons ou de relais en devenant familles d’accueil.
«Le pape fait le jeu de Poutine»
Wolfgang Bürgstein, secrétaire général de la commission d’éthique Justitia et Pax (Justice et paix) de la conférence des évêques suisses, détaille la position de l’Église, qu’il n’estime pas contradictoire: «Nous condamnons fermement l’invasion russe, contraire au droit international, et sommes solidaires des victimes ukrainiennes. Cependant, nous sommes en droit de pouvoir débattre les évènements ayant conduit à cette guerre, ce que le pape tente de faire par ses déclarations. Ce qui est sûr, c’est que la paix est sa priorité.»
Pour Nazar Zatorsky, ces déclarations sont difficiles à avaler. Selon lui, le pape fait le jeu de Vladimir Poutine et propage, malgré lui, ce qu’il estime être des théories du complot. «Que va faire ensuite le pape, citer 'Da Vinci Code' de Dan Brown comme une source historique fiable sur la vie de Jésus?», ironise amèrement le vicaire.
(Adaptation par Alexandre Cudré)