Lorsque Daniel Bussmann, à la tête d'une entreprise familiale à Lucerne, a reçu une facture de l'Office des migrations, il a eu du mal à croire ce qu'il lisait. La raison de cette facture: il avait engagé un collaborateur ukrainien.
Son nouveau collaborateur, Andrian Pavel, lui a été présenté par une connaissance chez qui l'Ukrainien était hébergé, dans le village voisin. Afin de valider juridiquement l'embauche, Daniel Bussmann a dû envoyer le contrat de travail à l'office des migrations du canton, lequel a ensuite répondu avec la facture en question.
L'entrepreneur doit maintenant verser 95 francs à l'Office des migrations de Lucerne, auxquels s'ajoutent 3 francs de frais de port. Un accord a finalement été trouvé pour qu'Andrian Pavel puisse continuer à travailler dans l'entreprise familiale.
Certes, les personnes bénéficiant du statut de protection S peuvent travailler en Suisse. Mais il leur faut au préalable une autorisation de l'autorité cantonale du marché du travail. Car ces dernières doivent veiller à ce qu'il n'y ait pas de dumping salarial. Et dans le canton de Lucerne, ce contrôle est taxé!
Daniel Bussmann ne s'oppose pas à ces contrôles, mais il conteste les coûts qu'ils engendrent: «Je ne suis pas prêt à payer cette facture», explique-t-il. Il a engagé une personne qui s'est révélé être un collaborateur assidu et qui ne reçoit plus d'argent de l'office du chômage: «Que le canton exige en contrepartie une taxe, je ne le comprends vraiment pas.» Son entreprise pourrait facilement payer ce montant, mais Daniel Bussmann refuse.
La pratique est de moins en moins populaire
Dans le canton de Berne ou de Zurich, la même autorisation ne coûte rien. Mais l'office des migrations de Lucerne se défend en disant que, conformément à une directive cantonale, «l'ordonnance sur les émoluments de la Confédération s'applique».
Un échange de courriels montre pourtant que même au sein de l'administration lucernoise, la pratique est de moins en moins populaire: «Nos conseillers commencent à manquer d'arguments pour justifier l'embauche de personnes avec un statut de protection S», écrit une collaboratrice.
Le conseiller fédéral Beat Jans, lui, a récemment indiqué qu'il attendait des employeurs qu'ils engagent des personnes originaires d'Ukraine. D'ici fin 2024, le Conseil fédéral souhaite ainsi que 40% des personnes aptes à travailler et bénéficiant du statut de protection S trouvent un emploi. D'où l'intérêt pour les entreprises d'embaucher davantage de réfugiés.
Comment faciliter l'accès des réfugiés à une activité professionnelle?
Mais Daniel Bussmann ne croit pas un mot de la déclaration de Beat Jans. Il estime au contraire que les autorités lui ont mis des bâtons dans les roues lorsqu'il fallait embaucher un réfugié.
Le chef d'entreprise ajoute qu'il aurait volontiers engagé son nouveau collaborateur ukrainien à temps partiel, afin que celui-ci puisse suivre un cours d'allemand à l'Office régional de placement (ORP), un jour par semaine. Mais l'ORP n'a rien voulu entendre: soit on paie à Andrian Pavel 5 cours par semaine, soit on ne le paie pas du tout, lui a-t-on dit. Résultat: Andrian Pavel ne suit pas de cours d'allemand.
Pour échanger, Daniel Bussmann et son collaborateur ukrainien échangent donc via une application de traduction. Pas de quoi démoraliser Andrian Pavel: «Je veux travailler et je suis très heureux de pouvoir le faire ici», lâche-t-il timidement.
L'autorisation obligatoire d'obtenir des personnes bénéficiant du statut de protection S pourrait toutefois bientôt tomber. Le Parlement à Berne est favorable au renoncement de l'autorisation obligatoire en vigueur, en d'une obligation d'annonce, afin de faciliter l'accès à une activité professionnelle.