Depuis début juin, le nombre de nouvelles infections augmente à nouveau: la Suisse se trouve définitivement au cœur d’une vague estivale de Covid-19. Comment évaluez-vous la situation?
Huldrych Günthard: Nous devons accepter le fait que la pandémie n’est pas encore terminée. La vague estivale a pris beaucoup d’ampleur. Certes, nous ne voyons pas encore un raz-de-marée de patients qui viennent nous voir à l’hôpital universitaire à cause du Covid, mais de plus en plus de personnes sont testées positives au virus dans nos établissements de santé. Nous atteindrons probablement le pic d’ici deux à quatre semaines.
Omicron BA.5 est-il plus dangereux que les variants précédents?
Dans des pays comme le Portugal et l’Afrique du Sud, qui ont été touchés un peu plus tôt par la vague estivale, le nombre d’évolutions graves de la maladie n’a pas augmenté. Les personnes qui finissent à l’hôpital à cause du Covid ont souvent un long dossier médical ou sont âgées.
Comment la pathologie a-t-elle évolué?
Les pneumonies typiques, telles que nous devions traiter au début de la pandémie, se produisent plus rarement désormais. Il semblerait qu’une immunité de base s’est développée au sein de la population. Soit on a été contaminé, soit on est vacciné, soit les deux. Nous avons en outre des traitements précoces pour les patients à haut risque. Mais dans tous les cas, le nombre d’anticorps diminue avec le temps. C’est pourquoi la Commission fédérale pour les vaccinations a raison de recommander un rappel pour les personnes de plus de 80 ans, même si elle le fait tardivement.
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Une fois de plus, on peut s’étonner des hésitations de la Commission pour les vaccinations et de cette limite d’âge élevée.
On peut discuter longtemps la question de la limite d’âge. Une étude israélienne publiée en mai montre qu’à partir de 60 ans, une deuxième vaccination de rappel entraîne déjà une réduction des hospitalisations et de la mortalité. D’un point de vue médical, il n’y a aucune raison de fixer des limites d’âge aussi strictes comme le fait la Commission pour les vaccinations. Il faut en outre réfléchir au signal que cela renvoie.
C'est-à-dire?
Il est un peu déroutant que les autorités déclarent que la vaccination est la voie royale pour contenir la pandémie et qu’elles lésinent ensuite sur les moyens. Aujourd’hui, ceux qui partent en vacances doivent payer eux-mêmes leur vaccination. Mais pourquoi? Pensez aussi au personnel de santé qui veut se protéger, mais qui doit parfois même payer soi-même le vaccin. Cela ne semble tout simplement pas cohérent.
Mis à part la conférence de presse sur le booster la semaine dernière, l’Office fédéral de la santé publique est devenu étrangement silencieux…
Je comprends qu’après plus de deux ans de pandémie, tout le monde est fatigué: les autorités, la population, les hôpitaux… Les nombreuses interruptions de travail et les restrictions ont rendu la société morose. C’est précisément pour cette raison qu’une communication claire et continue sur l’état de la pandémie est nécessaire, pour parler des mesures qui sont prises ou pas, et pour quelles raisons. Une telle manière de procéder n’est pas à l'ordre du jour du côté de l’OFSP. Cela peut conduire à une certaine insécurité au sein de la population et à une banalisation de la maladie.
Du point de vue de l’infectiologue: quel rôle l’OFSP devrait-il assumer?
Il faudrait absolument une cellule de crise composée de spécialistes de l’OFSP et de spécialistes externes, qui communiquerait régulièrement et avec clarté. Auparavant, la Taskforce de la Confédération assumait une partie de ces fonctions. Lorsqu’une nouvelle vague arrive, il faut en informer la population en l’espace de deux ou trois jours et expliquer ce qu’il en est. Il faut des voies décisionnelles courtes et des services qui prennent leurs responsabilités. Le virus ne tient pas compte de la rigidité de nos processus politiques.
Or, il semble que la Suisse est très éloignée de cette flexibilité.
De toute évidence! L’OFSP devrait disposer d’un budget pour les situations d’urgence, qui pourrait être alloué à court terme par un comité d’experts. Cela nous permettrait d'étudier plus rapidement les nouveaux agents pathogènes. Des groupes d’experts universitaires pourraient alors se pencher sur des maladies virales comme la variole du singe ou justement le Covid, et collecter des données importantes sur la contagion et l’évolution de la maladie.
C’est dans la nature du chercheur de vouloir toujours plus d’argent, non?
Oui, et alors? Nous voulons découvrir de nouvelles choses, mieux comprendre les maladies, développer des thérapies. Cela ne peut pas se faire sans moyens financiers. Vous vous souvenez de la deuxième vague?
Oui, le nombre de décès a augmenté très rapidement.
C’était une situation dramatique. Quand vous voyez les hôpitaux se remplir, quand les gens luttent pour leur vie, quand vous n’avez pas de thérapies suffisamment efficaces, quand beaucoup d’individus souffrent et meurent, c’est vraiment très éprouvant pour tout le monde. Nous étions tellement à bout qu’il était difficile de faire de la recherche en parallèle. Mais nous avons quand même réussi à faire avancer les choses, en Suisse aussi. Malheureusement, le monde politique a souvent agi avec hésitation et ne nous a guère aidés d’un point de vue financier.
Quel a été votre ressenti?
De la frustration, ce que je ne peux pas me permettre. Je veux des solutions, pas des excuses. Je veux simplement faire mon travail.
Quels sont vos prévisions pour l’automne et l’hiver?
Au début de l’automne, les nouveaux vaccins contre le variant Omicron devraient être mis sur le marché. Celui de Moderna, du moins de ce que j’en lis dans les prépublications, augmenterait de manière significative le degré d’immunisation contre Omicron. Cela me rend confiant. Nous pourrons ainsi briser plus rapidement les nouvelles vagues et mieux protéger la partie vulnérable de la population. Nous ne devons cependant pas oublier que les vaccins ne nous immunisent jamais complètement contre les nouvelles infections. C’est pourquoi nous devons prendre des précautions.
Que conseillez-vous?
Nous devons d’ores et déjà réfléchir à la manière la plus rapide de diffuser le nouveau vaccin lorsqu’il sera disponible. La balle est à nouveau dans le camp de l’OFSP, puis sera dans celui des cantons. Il nous faut une stratégie claire.
Une mesure simple, peu coûteuse et efficace serait de réintroduire le port du masque obligatoire.
L’OFSP devrait recenser les cas de Covid long qui auraient pu être évités si le port du masque avait été à nouveau obligatoire. La plupart des établissements de santé ont rapidement réintroduit l’obligation du port du masque. Je porte moi-même à nouveau un masque dans les transports publics. Il ne faut pas devenir hystérique, mais il s’agit maintenant d’endiguer la nouvelle vague pour qu’il y ait moins d’arrêts de travail et moins de patients atteints du syndrome du Covid long. C’est dans l’intérêt de tout le pays.
Nous savons désormais que la vaccination protège majoritairement contre les formes graves de la maladie, mais pas contre le Covid long. Ne faudrait-il pas mieux communiquer sur ce point?
La vaccination réduit déjà de quelque peu le risque de Covid long. Il semblerait également qu’il y ait environ 50% des cas de Covid long en moins avec une infection à Omicron plutôt qu’à Delta. Mais ces données ne sont pas encore étayées. Ce qui nous préoccupe beaucoup, c’est le nombre d’infections. Si 100’000 personnes sont infectées chaque jour et que, selon un calcul prudent, 5% présentent des symptômes de Covid long, nous parlons alors de 5000 personnes par jour avec des symptômes sur le long terme. Celles-ci ne peuvent parfois pas travailler pendant des mois et deviennent des cas compliqués sur le plan médical. Il n’existe actuellement aucun traitement spécifique. Nous ne devons pas prendre cela à la légère.
La Confédération n’a pas créé de registre national des cas de Covid long, ni alloué d’argent à la recherche dans ce domaine, comme le demandent depuis longtemps les organisations de patients et les spécialistes. Pouvez-vous expliquer cet aveuglement persistant?
A ma connaissance, l’OFSP n’a pas encore reconnu le Covid long comme un problème prioritaire. C’est pourquoi, jusqu’à présent, aucune ressource financière importante n’a été mise à la disposition de ceux qui souhaitent se consacrer à la recherche sur le Covid long. A l’hôpital universitaire, nous suivons de nombreux patients qui ont le Covid long. Il est toutefois difficile de le faire de manière optimale avec les ressources existantes, car nous sommes déjà très occupés. Nous ne pouvons pas traiter à la légère une maladie qui a de graves conséquences pour la santé publique, et que nous comprenons encore très mal.