Ils sont enfin chez eux, au chaud dans leur salon, avec un toit (entier) au-dessus de leur tête. La famille Frey est de retour en Argovie après presque deux semaines en Ukraine, au milieu de la guerre.
Ce bonheur retrouvé, ils le doivent, disent-ils, à l’ambassadeur Claude Wild, à quelques soldats d’élite de l’armée suisse et à… deux vieilles femmes et un homme ukrainiens. Ce sont toutes les personnes qui les ont aidés, eux et leur bébé de quelques jours prénommé Cristiano, à être évacués de la zone de guerre.
Une mère porteuse à Kiev
Lorsque Mercedes Ferreira-Frey, 52 ans et son mari Roland, 46 ans, s’envolent pour Kiev à la mi-février, les tensions entre la Russie et l’Ukraine sont déjà fortes. Une première alerte de voyage a déjà été émise par le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE).
Mais les Frey doivent se rendre en Ukraine: une mère porteuse va donner naissance à leur enfant, deux semaines avant la date prévue. «Pour leur plus grand bonheur.» À leur arrivée sur place, le bébé est déjà là, né deux jours plus tôt. Et Mercedes tient pour la première fois le petit Cristiano dans ses bras.
La Portugaise d’origine prévoyait de passer sept semaines à Kiev. Peu après son arrivée, le 21 février, Swiss interrompt ses vols à destination de la capitale ukrainienne. «C’est à ce moment que nous avons commencé à nous inquiéter de la situation. Mais à Kiev, la vie continuait normalement, il n’y avait pas encore de guerre», se souvient Roland pour Blick.
«Les routes sont bloquées, c’est la guerre»
Quelques jours plus tard, le couple attend la visite d’une médecin. Elle ne se présente pas. «À la place, j’ai reçu un message sur mon portable: Je ne vais pas arriver à vous rejoindre, les routes sont bloquées. C’est la guerre.» C’était le 24 février, jour de l’invasion russe.
Immédiatement, le couple va acheter de quoi manger et boire et se constitue des réserves d’urgence. «Malgré la déclaration de guerre, la vie se poursuivait très calmement. Les métros et les bus fonctionnaient normalement», se souvient Roland. Mais les combats éclatent bien vite autour de la capitale.
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Au milieu d’une zone de combats
Les Frey prennent contact avec l’ambassade suisse. Ils veulent quitter le pays. «Soudain, le couvre-feu a été décrété. Nous ne pouvions plus sortir de chez nous», raconte Roland. De violents combats éclatent dans les environs. La nuit, des coups de feu résonnent dans les rues devant son appartement.
«Au petit matin, une fois le couvre-feu levé, nous avons cherché un itinéraire vers la gare via Google Maps. Mais celle-ci était bloquée par des chars qui tiraient. Nous n’avions aucune chance de passer.»
Un premier convoi part sans eux
Parallèlement, ils organisent leur départ avec le personnel de l’ambassade suisse. Cristiano, encore sans papiers en raison de la guerre, obtient un laissez-passer «en quelques heures». Un premier convoi de Suisses quitte la capitale, mais sans la famille Frey. Le quartier dans lequel ils se trouvent est inaccessible aux collaborateurs de l’ambassade et est considéré comme trop dangereux.
Pendant ce temps, Mercedes tente de garder les idées claires. «Je me concentrais sur des choses banales, explique-t-elle. Par exemple, je surveillais l’immeuble d’en face. Le soir, la même lumière s’allumait toujours. Cela me prouvait qu’il y avait encore de la vie ailleurs, c’était réconfortant.»
«Rendez-vous à l’ambassade dans deux heures»
Les Frey continuent d’attendre, durant de longs jours. Mercedes ne dort plus que très peu, elle est toujours sur le qui-vive. Roland perd six kilos en l’espace d’une semaine. «Je ne pouvais pas manger. C’était un réflexe humain.»
Jusqu’à ce qu’un couloir s’ouvre le 28 février. À 15 heures, ils reçoivent un coup de fil du personnel de l’ambassade: à 17 heures, l’ambassadeur Claude Wild et sa famille ont prévu de quitter le pays via un convoi, accompagné d’une unité militaire spéciale. S’ils veulent partir avec lui, ils doivent rejoindre l’ambassade d’ici là. Deux heures. Pour neuf kilomètres à travers la zone de guerre.
Un homme les conduit à l'ambassade
Le couple sort dans la rue avec son bébé, sans savoir à quoi s’attendre. Sur la route devant la maison, deux vieilles femmes attirent leur attention. D’une manière ou d’une autre, ils parviennent à communiquer avec elles.
C’est alors que l’incroyable se produit: «Elles se sont mises au milieu de la route et ont arrêté une voiture». Un homme sort de la voiture. Après un bref va-et-vient, il ouvre son coffre. «Dans un anglais approximatif, il nous a dit: Montez, je vous emmène à l’ambassade.»
Un convoi avec drapeaux suisses
La voiture arrive à l’ambassade peu avant 17 heures. Mercedes exulte. «J’étais tellement soulagée!» Dix minutes plus tard, le convoi se met en route avec la famille Frey, dirigé par une unité d’élite de l’armée, formée pour ce genre de mission.
Avec des drapeaux suisses sur le toit et aux fenêtres, pour la sécurité des passagers. L’ambiance est d’abord fantomatique, personne ne se parle dans les voitures. «Nous n’étions pas encore en sécurité. Mais nous nous sommes vite rendu compte que le personnel de l’ambassade et les soldats étaient des professionnels absolus», se souvient Roland.
Presque bloqué à la frontière moldave
Le convoi roule durant deux jours à travers l’Ukraine. Puis il franchit la frontière vers la Moldavie. Là, on demande à examiner Roland et on fait comprendre que l’on veut le garder à la frontière. Une discussion animée s’engage.
L’ambassadeur s’en mêle et veille personnellement à ce que Roland puisse poursuivre son voyage. Les voitures quittent la Moldavie pour la Roumanie. De là, un avion ramène les personnes évacuées en Suisse. Après un périple de deux semaines sur sol ukrainien, les Frey peuvent enfin rentrer chez eux.
Lorsqu’ils se remémorent les évènements, le couple est tourmenté par une question: comment se portent les deux vieilles femmes ou l’homme qui les a conduits à l’ambassade? «J’ai tenu un journal pendant cette période pour mettre de l’ordre dans mes idées, explique Mercedes. Quand notre Cristiano sera grand, nous aurons des choses à lui raconter, c’est sûr.»
(Adaptation par Alexandre Cudré)