C'était un voyage de ceux que Viola Amherd adore: son premier séjour à l'étranger en tant que présidente de la Confédération l'a menée sur le flanc Est de l'OTAN. Dans les capitales Tallinn, en Estonie et Oslo, en Norvège, la cheffe du Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports (DDPS) a pu se faire une idée de la situation.
Viola Amherd a eu l'occasion de faire la promotion du Sommet de paix pour l'Ukraine qu'elle souhaite organiser à Genève avec le ministre des Affaires étrangères Ignazio Cassis. Et elle n'a laissé planer aucun doute sur sa volonté de rapprocher la Suisse de l'OTAN. De quoi réinterpréter la notion de neutralité suisse.
Le roi de Norvège Harald V est, pour Viola Amherd, un témoin clé qui prouve que le dogmatisme géopolitique ne sert à rien en temps de guerre. La Norvège est membre de l'OTAN: elle est donc tout sauf neutre. Et pourtant, ce pays du cercle polaire parvient à proposer ses «bons offices» aux deux parties au conflit.
L'initiative sur la neutralité de l'UDC sous le feu des critiques
Viola Amherd n'envisage toutefois pas de faire participer activement la Suisse au sein de l'alliance occidentale. Selon les informations de Blick, les partisans d'une adhésion à l'OTAN sont également minoritaires au sein de la Commission d'étude de la politique de sécurité qu'elle a mise en place. Néanmoins, cette commission se montre critique à l'égard de l'initiative sur la neutralité, d'après un projet confidentiel que Blick s'est procuré.
Cette initiative, lancée par l'UDC, vise à ancrer la neutralité suisse dans la Constitution: «La Suisse est neutre. Sa neutralité est perpétuelle et armée.» Mais la commission d'étude estime que ce positionnement serait contre-productif. Selon le projet de prise de position, la crédibilité et la prévisibilité de la Suisse seraient «fortement remises en question» en cas d'acceptation de l'initiative. On parle même d'une défaite en termes de politique nationale».
À défaut, la Suisse devrait s'engager en faveur de la neutralité armée. Autrement dit, travailler pour une «armée de milice si possible entièrement équipée, suffisamment alimentée et professionnellement formée».
L'«automatisme obstiné de la neutralité»
La commission d'étude met par ailleurs en garde contre un «automatisme obstiné de la neutralité». Si un pays européen ou la Suisse devait être attaqué, la neutralité devrait pouvoir être suspendue. Une décision du Conseil de sécurité de l'ONU, contraignante en droit international, suffirait pour mettre une telle mesure en place.
La commission s'est également penchée sur la question de la politique de neutralité. Doit-elle primer sur le droit de la neutralité? Là encore, les décisions des Nations unies seraient décisives.
Compte tenu du fait que non seulement les États font la guerre depuis longtemps, mais que des organisations armées plus petites interviennent également dans des guerres civiles, le droit de la neutralité du 19e siècle semble aujourd'hui dépassé.
La neutralité nuit à la Suisse en tant que site d'armement
La commission d'étude pourrait envisager une révision de la loi sur le matériel de guerre. Toutefois, «les solutions isolées sont une tentative désespérée de sortir d'une impasse dont on est soi-même responsable», peut-on lire dans le projet de rapport.
Depuis l'attaque de la Russie contre l'Ukraine, les partenaires de l'OTAN se sont montrés irrités par les prescriptions suisses en matière d'exportation de matériel de guerre. Ainsi, 96 chars Leopard 1 de Ruag rouillent dans le nord de l'Italie parce qu'ils ne peuvent pas être acheminés vers l'Ukraine via les Pays-Bas.
En raison du droit de la neutralité, le site d'armement suisse a perdu de son attractivité. «Après l'expérience de la guerre en Ukraine, les États réfléchiront à deux fois avant d'acheter des biens d'armement à la Suisse», a déclaré l'ambassadrice danoise Susanne Hyldelund à Blick en novembre dernier.
La Suisse ne facilite pas l'exportation...
L'exemple de l'entreprise d'armement allemande Rheinmetall illustre à merveille les conséquences de ces mesures dans la pratique. À l'époque, le groupe produisait des munitions pour le char antiaérien Gepard à Altdorf (UR), mais il mise désormais entièrement sur le «Made in Germany» en raison des obstacles à l'exportation en Suisse.
L'année dernière, Rheinmetall a investi plusieurs millions d'euros dans une nouvelle usine dans la partie sud de la lande de Lunebourg. Par conséquent, la Suisse se voit privée de plusieurs millions: le site de la lande d'Unterlüss, en Allemagne, continue de s'agrandir. Mais en Suisse, la création de valeur diminue.
Comme le rapporte le magazine «Der Spiegel», le chancelier allemand Olaf Scholz est attendu lundi à Unterlüss pour la pose de la première pierre d'une usine de munitions. On parle ici d'un investissement à hauteur de 300 millions. «Notre objectif est d'assurer la sécurité de l'approvisionnement en munitions à partir de 2025», explique le patron de Rheinmetall, Armin Papperger. «L'Allemagne doit devenir plus indépendante pour la production de munitions de moyen calibre.» Autrement dit: il faut arrêter de compter sur les autres – et sur la Confédération suisse.
...mais elle est toujours aussi convoitée
Mais malgré l'encombrante loi sur le matériel de guerre, les biens d'armement suisses sont toujours aussi convoités. En décembre 2023, Rheinmetall a conclu deux contrats lucratifs avec sa filiale de Zurich-Oerlikon.
L'Autriche a commandé un système de défense antiaérienne Skyguard d'une valeur de plus de 532 millions d'euros, et la Roumanie, pays membre de l'OTAN, un système d'artillerie antiaérienne d'une valeur de 328 millions. L'industrie suisse de l'armement se porte donc mieux que ne le laissent entendre les lobbyistes de Swissmem au Palais fédéral.
La commission d'étude de Viola Amherd résume la situation de la sorte: «Le dragon qui poursuit cette industrie n'est pas seulement l'interdiction de la réexportation. Le fait que la loi sur le matériel de guerre ne soit pas soumise dans tous les cas au droit de la neutralité n'est pas clair. Cela crée des incertitudes et nuit finalement à la fiabilité de la Suisse en tant que fournisseur et prestataire de services.»
La neutralité doit être révisée
À l'avenir, la non-réexportation devrait être limitée à quelques années pour certains pays disposant de lois d'exportation strictes. Par la suite, les pays majoritairement occidentaux devraient pouvoir exporter du matériel de guerre.
La commission d'étude estime également qu'il est envisageable que la Suisse interprète la notion d'aide humanitaire de manière plus large. Actuellement, il est difficile de soigner des soldats ukrainiens ou russes en Suisse, alors que le droit international prévoit tout autre chose. «Que le soldat guéri veuille ou doive reprendre les armes n'est pas pertinent. La Croix-Rouge internationale, incarnation de la neutralité, soigne sans condition et sans se soucier de l'avenir les plus vulnérables, constate la commission. Cela doit également s'appliquer à la Suisse neutre, et cela doit être réglé au travers de la politique de neutralité.»
Dans l'esprit d'une «neutralité coopérative» révisée, la commission d'étude peut s'imaginer la marge de manœuvre nécessaire pour «assumer une plus grande coresponsabilité pour la sécurité en Europe». En d'autres termes, «les neutres ne sont pas toujours les plus indifférents».