Après avoir été contraint d'atterrir par l'armée de l'air française alors qu'il pilotait un avion, le 5 juillet, Alain Berset maintient le silence. Hormis une mince prise de position de son département, aucune explication n'a été donnée sur ce qui a vraiment conduit à cette situation particulière dans l'espace aérien français. Le ministre de la Santé était-il insuffisamment préparé pour ce vol ou a-t-il rencontré des problèmes techniques?
Lui qui avait pourtant fait preuve pendant la pandémie de grandes qualités de communicateur - en reconnaissant également ses erreurs - semble cette fois bien silencieux.
Une «transparence totale» nécessaire
Selon Stephan Oehen, expert en communication de crise, le silence du conseiller fédéral est une erreur. «Le seul élément qui aurait été une bonne stratégie pour aller de l'avant est la transparence totale», assure-t-il. Alain Berset aurait donc simplement dû expliquer ce qui s'est passé.
C'est également l'avis de Markus Baumgartner, président de l'Association pour la communication de crise: «Le réflexe est toujours de faire l'autruche et d'attendre que la tempête passe. Mais la seule communication correcte en cas de crise est d'assumer et d'affronter. Sans ça, la crise ne fait qu'empirer!»
Des questions en suspens
Stephan Oehen poursuit: qualifier l'incident «d'affaire privée», comme l'a fait le porte-parole d'Alain Berset, n'est pas une bonne stratégie. Il est bien sûr compréhensible que des personnalités aussi exposées ne veuillent pas passer toute leur vie sous les projecteurs. «Mais le public a le droit d'être informé lorsqu'un conseiller fédéral se fait intercepter par les forces aériennes d'un autre État», affirme l'expert en communication.
Et ce d'autant plus que des questions restent sans réponses, complète Markus Baumgartner. «S'il lui était arrivé quelque chose ou s'il avait causé des dommages, cela aurait relevé de l'intérêt national», assure-t-il.
Cela cache-t-il quelque chose?
Mais pourquoi le socialiste ne fait-il pas taire les rumeurs une bonne fois pour toutes? Selon Stephan Oehen, il y a deux raisons possibles. Soit le ministre a été mal conseillé, soit «il y a autre chose qui pourrait être révélé s'il se risquait à parler».
Cette dernière hypothèse ouvre bien sûr la porte à des spéculations dont Alain Berset n'a pas besoin. S'il a longtemps été le capitaine qui a tenu le navire pendant la pandémie, son nom évoque aussi depuis quelque temps des affaires douteuses.
Après avoir étouffé une affaire en lien avec une ancienne maîtresse, le conseiller fédéral a aussi fait la une des journaux parce que son ancien porte-parole, Peter Lauener, a quitté son poste sur un coup de tête. La «Weltwoche» a dévoilé que Peter Lauener était soupçonné de violation du secret de fonction dans le cadre de l'affaire Crypto. Selon les révélations du SonntagsBlick, l'ex-porte-parole a même été placé quelque temps en détention provisoire.
«Il y a quelque chose qui ne va pas»
Désormais, Alain Berset laisse planer le doute: a-t-il bénéficié d'un traitement spécial en France après sa mésaventure aérienne? Stephan Oehen en est donc convaincu: la seule possibilité d'éviter cette question aurait été de communiquer tout de suite. Mais il est désormais trop tard. «L'impression qui domine, c'est que quelque chose ne va pas», résume-t-il.
Pour Markus Baumgartner, les anecdotes croustillantes liées au trois affaires sont secondaires: «Mais le bien le plus précieux d'un conseiller fédéral, c'est sa crédibilité. Et ces affaires l'égratignent sérieusement.» Cela est problématique si l'on considère notamment qu'Alain Berset sera sur le devant de la scène en raison de votations en septembre.
Les célébrités doivent être exemplaires
Dans le cas de l'affaire du vol, Markus Baumgartner considère que c'est le comportement du conseiller fédéral, plus que l'incident lui-même, qui est problématique: «Il n'est évidemment pas du tout approprié qu'il effectue des vols. Son parti défend la lutte contre le changement climatique. J'attends d'une figure de proue du PS qu'elle prenne les transports publics pour partir en vacances.» Pour lui, les célébrités doivent être exemplaires, d'autant plus lorsqu'il s'agit de politiciens.
Assumez, vous serez pardonné
Pour les deux professionnels de la communication, le silence du Fribourgeois est d'autant plus incompréhensible qu'il aurait pu tirer profit d'une clarification. «Un politicien avec une aura comme Berset aurait tout à fait pu être pardonné rapidement s'il s'était bien exprimé», affirment les deux experts.
Le cas de Christophe Darbellay est un bon exemple. En 2016, celui qui était alors conseiller national avait eu une liaison qui avait donné naissance à un enfant hors mariage. L'émoi était d'autant plus grand qu'il était président du PDC, le parti par excellence des valeurs familiales et chrétiennes. Christophe Darbellay avait alors assumé cette «grave erreur». Il est aujourd'hui conseiller d'Etat dans son Valais natal.
(Adaptation par Thibault Gilgen)