Migros est en pleine mutation. Après avoir annoncé les premiers licenciements en début d'année, le géant orange a confirmé lundi la suppression de plus de 400 emplois et une restructuration massive. Les magasins melectronics passeront aux mains de Media Markt. La chaîne de magasins spécialisés Sport X cherche à se faire adopter. Les magasins Micasa, Do it + Garden et Bike World sont désormais aussi sur la sellette.
Le détaillant ancré dans la culture et le paysage commercial suisse doit s'avouer vaincu: il n'a pas réussi à tout faire et doit désormais se concentrer sur ce qui marche et se débarrasser de ce qui n'a pas d'avenir. Le nouveau patron de Migros, Mario Irminger, a un rôle fondamental à jouer dans cette période charnière: «Notre industrie doit redevenir rentable et retrouver sa compétitivité», affirmait-il dans Blick. L'avenir de la M-Industrie et des marchés spécialisés est au cœur du changement.
A ses débuts, Migros avait dû faire face à des réticences des grands fabricants d'articles de marque comme Henkel, Kaffee HAG ou Sunlight, qui refusaient de fournir le détaillant suisse en plein essor. Gottlieb Duttweiler, le fondateur de Migros, avait donc pris le taureau par les cornes et fait de cette nécessité une vertu en créant sa propre production. L'exemple le plus connu de ces années de lutte est la transformation du produit Persil de Henkel en dérivé de la marque propre M «Ohä», qui pouvait se lire comme «sans Henkel».
Les marques Migros devenues cultes
Au fil des années, les marques Migros comme Frey (chocolat), Anna's Best (produits de convenience) ou Total (lessive) ont développé leur propre réputation: elles sont devenues pour ainsi dire la fierté de l'industrie des marques propres Migros – et dans le cas du thé froid et du liquide vaisselle Handy, de véritables produits cultes made in Switzerland.
Ces dernières années, Migros a toutefois intégré davantage d'articles de marques externes dans ses rayons. La part élevée de ses propres marques reste une caractéristique essentielle du détaillant orange. Mais Mario Irminger et le nouveau chef de l'industrie Matthias Wunderlin veulent désormais s'attaquer de manière radicale à un mantra commercial qui n'a pratiquement jamais été remis en question.
Pendant des décennies, l'industrie Migros a appliqué le principe suivant: pour rester compétitive, elle visait un marché d'exportation fort pour les chocolats Frey, le café en grains et les autres produits Migros originaux. La M-industrie, la «colonne vertébrale de Migros», devait faire ses preuves à l'étranger et acquérir ainsi de l'expérience sur des marchés fonctionnant de manière moins cloisonnée que les pays d'origine.
M-Industrie-Export: le grand changement de stratégie
Cette «capacité d'exportation» permettrait à l'industrie Migros non seulement d'acquérir de précieuses connaissances sur les marchés étrangers, mais aussi de mieux exploiter ses installations suisses et d'obtenir ainsi de meilleurs prix pour Migros elle-même. C'était aussi l'une des idées derrière l'acquisition de la chaîne allemande de magasins bio Tegut en 2013. Un coup d'œil sur le rapport d'activité de 2023 montre à quel point l'étranger est important pour l'industrie Migros: sur les 6 milliards de francs de chiffre d'affaires total des entreprises industrielles, 1 milliard provient de l'exportation.
Mais cette part va drastiquement diminuer. En Allemagne, marché d'exportation important, la marque de chocolat Frey et les marques Migros de café en grains et moulu seront abandonnées. Il y a deux ans de cela, la marque de chocolat Migros Frey voulait encore mettre les bouchées doubles en Allemagne avec des biscuits et des snacks au chocolat. Un service extérieur de 70 personnes devait apporter le gospel Migros à de gros clients comme Edeka. Ce plan ne verra finalement jamais le jour.
Un M mauvais: euro faible, inflation élevée
Pourquoi un modèle qui a été mis en avant pendant des années est-il soudainement avorté? Migros avance deux raisons. D'une part, la concentration accrue sur l'activité principale en Suisse. D'autre part, les difficultés croissantes à l'étranger, ce qui a probablement eu un impact sur la rentabilité: «Avec un cours de l'euro faible et une inflation élevée, les affaires à l'étranger pour les produits alimentaires, en particulier en Allemagne, deviennent de plus en plus difficiles», explique-t-on au service de presse.
A l'externe, un retrait partiel des exportations semble logique. Si le géant orange veut se concentrer davantage sur son activité principale – l'exploitation rentable de ses supermarchés –, le secteur industriel doit lui aussi s'orienter vers ce but. Mais le changement massif de stratégie qui en résulte ne peut guère être géré sans frictions, souligne un connaisseur qui souhaite rester anonyme: «Si l'industrie Migros marginalise l'exportation et abandonne l'accès aux marques propres, cela ne va pas sans risques.»
La vente de l'entreprise industrielle Mibelle est prévue
Et les risques, les voici. Premièrement, le contrôle des produits propres. En février 2024, Migros annonçait qu'elle comptait vendre son entreprise industrielle Mibelle. Un produit tel que le liquide vaisselle Handy passerait ainsi dans d'autres mains. Bien sûr, Migros peut aussi faire produire sa marque propre emblématique par une entreprise externe – mais elle perdrait finalement le contrôle vertical dont elle a été si fière pendant des années. Le géant passerait ainsi de propriétaire à client sans réelle marge de manoeuvre. Surtout si Mibelle devait être vendue à un géant mondial pour lequel Migros, avec son marché national limité, est une cliente plutôt petite.
Autre risque: si l'industrie Migros produit de plus en plus pour un usage interne uniquement, il se peut que les infrastructures et le personnel deviennent trop importants. «La boîte à sueur de la Suisse»: c'est ainsi que le spécialiste anonyme résume la situation. Le nouveau chef de l'industrie Matthias Wunderlin devra garder cela à l'esprit.
Du côté de Migros, on se justifie de la sorte: «Nous devons réduire les coûts et devenir plus efficaces. Pour cela, nous avons mis en place cette réorganisation qui conduit à des structures plus simples et à la suppression des doublons.» En renonçant à certaines activités d'exportation, Migros importe donc peut-être un nouveau problème: les surcapacités.