Longtemps CEO de Denner, Mario Irminger est arrivé au mois de mai à la tête de Migros, le plus grand employeur privé de Suisse. Depuis, l'homme de 58 ans y a entrepris la restructuration la plus complète de l'histoire de l'entreprise. Au centre de cette grande mue: la société Supermarkt AG.
L'entreprise Migros, gérée au niveau régional, veut centraliser son activité principale avec les supermarchés et la rendre plus rentable. C'est d'ailleurs le contrôle de la nouvelle entité que le président de la direction générale de la Fédération des coopératives Migros (FCM) devra abandonner.
Cela ne vous parait pas clair? Pour Blick, Mario Irminger a éclairci l'organisation chez Migros et a insisté pour avoir des photos dans le supermarché qui se trouve au sous-sol du siège principal de la centrale, à Zurich.
Mario Irminger, la séance photo doit avoir lieu devant l'étalage de pain typique de Migros. Il s'agit pourtant du «terrain» de Migros Supermarché SA dirigé par Peter Diethelm. C'est une façon de démontrer votre pouvoir?
Quand les consommateurs parlent de Migros, ils pensent au supermarché. Ce magasin est le cœur de Migros. Il est important pour moi qu'il soit mis en avant. Il ne s'agit pas pour moi de faire une démonstration de force.
Vos prédécesseurs ont été aux commandes pendant des décennies. Aujourd'hui, les rapports de force se modifient au sein du groupe. Comment gérez-vous cette situation?
Il est faux de dire que le président de la FCM est de facto le patron de Migros: il a son mot à dire sur tout. Il en était de même pour mes prédécesseurs. Le chef de la FCM et ceux des dix coopératives régionales Migros sont ensemble onze décideurs qui assument la responsabilité opérationnelle. La communication de l'ensemble du groupe Migros vers l'extérieur fait partie de mes tâches. D'ailleurs, je ne suis pas entré en fonction pour diriger un empire aussi grand que possible. A l'intérieur aussi, je suis resté un commerçant.
Depuis six mois, vous êtes responsable de près de 100'000 collaborateurs. Que vous inspire cette grande responsabilité?
Je me sens stimulé dans mon travail, mais les défis sont immenses. Le thème du changement climatique, par exemple, me préoccupe beaucoup, car Migros dépend massivement de l'agriculture. Au sein du groupe Migros, c'est dans les supermarchés et les marchés spécialisés que nous devons nous réorganiser pour relever les défis actuels.
Vous bouleversez l'activité principale, vous regroupez les supermarchés dans une nouvelle structure... cette restructuration est-elle financière?
Non, nous n'allons pas voir débarquer un restructurateur. Migros est financièrement très stable. Mais les bénéfices se sont déplacés de l'activité principale vers le commerce (ndlr: Migrolino, Denner) et la Banque Migros, qui se portent très bien sur le plan opérationnel. En ce qui concerne les supermarchés, nous perdons des parts de marché substantielles depuis plus d'une décennie, alors que Denner, par exemple, a pu profiter bien mieux de la croissance démographique durant cette période. Dans certains secteurs, nous sommes parfois inefficaces et ne pouvons pas toujours offrir à notre clientèle le meilleur rapport qualité-prix. Avec le nouveau Supermarché SA, nous voulons retrouver le chemin du succès.
Quels seront les avantages du Supermarché SA pour les clients?
Nous avons manqué l'occasion de renouveler notre réseau de magasins dans certaines régions et de poursuivre notre expansion avec des formats de magasins plus petits, qui répondent aujourd'hui aux souhaits de la clientèle. Aujourd'hui, nous voulons y remédier. De plus, nous uniformisons les prestations et les assortiments pour nos clients dans toute la Suisse. Une plus grande efficacité signifie également que nous pourrons offrir de bons prix à nos clients afin d'atténuer quelque peu la charge croissante des ménages. Je pense à l'explosion des coûts des primes d'assurance maladie, des prix de l'électricité et plus encore.
Votre clientèle ne risque-t-elle pas de s'ennuyer si tout s'achète partout de manière uniforme?
Pas du tout, car les dix coopératives continueront à proposer leurs produits régionaux et locaux, surtout en ce qui concerne la fraîcheur.
La restructuration entraînera-t-elle une réduction du personnel?
Comme nous éliminons les doublons, ce qui devrait entraîner des gains d'efficacité, je ne peux pas exclure une réduction du personnel. Nous saurons combien d'emplois seront supprimés dès l'année prochaine. D'un autre côté, nous avons 1700 postes dans l'ensemble du groupe Migros qui sont actuellement vacants. Nous n'avons pas seulement une pénurie de main-d'œuvre qualifiée en Suisse, mais nous nous dirigeons aussi vers une pénurie de main-d'œuvre tout court.
L'organisation de Migros reste super complexe, presque personne ne s'y retrouve. Est-ce pour cela que les délégués ont tant de mal à se réorganiser?
Migros a un système fédéral et démocratique de base unique en son genre. Le fait que les coopérateurs puissent voter sur certains sujets, qu'ils veuillent quelque chose ou non, n'existe nulle part ailleurs dans le monde à cette échelle. Je trouve cela formidable, même si c'est parfois pénible.
Le 11 novembre, l'assemblée des délégués votera sur la réduction de l'administration de la FCM. Il y a deux mois, vous n'avez pas obtenu gain de cause. Que proposez-vous maintenant aux délégués?
Nous proposons une réduction substantielle de l'administration de 23 à 13 personnes. Il n'y aurait plus que 5 représentants des régions, 5 représentants externes, le président et deux représentants des salariés.
Vous renoncez à votre voix?
Jusqu'à présent, le président de la direction générale avait également un siège au sein de l'administration. A l'avenir, je n'aurai plus le droit de vote, mais je continuerai à siéger en tant que membre consultatif.
Ces 110 délégués voteront également sur la création de la société Supermarché SA. C'est une simple formalité?
J'ai bon espoir de réunir une majorité autour de la réduction de la taille de l'administration ainsi que pour tous les points de l'ordre du jour concernant Supermarché SA. Nous créerons ainsi le cadre officiel qui nous permettra de démarrer avec la nouvelle entité le 1er janvier 2024, comme prévu.
Vous êtes considéré comme un manager particulièrement porté sur l'idée d'efficacité. Pourquoi ne placez-vous pas tout de suite les entreprises de la M-Industrie dans le domaine de compétence de Supermarché SA?
Le changement de la base technologique dans l'activité principale est un projet gigantesque qui nous occupera jusqu'à fin 2027. Il est impossible de faire migrer l'industrie sous le toit de Supermarché SA.
Les usines Migros sont en ébullition. Leur chef doit quitter son poste, d'autres cadres comme le CEO de Micarna quittent l'entreprise. Qu'est-ce qui ne va pas?
Rien ne va mal. Les changements de personnel font partie du quotidien des entreprises. Il se trouve que certains départs coïncident justement.
Près de 6 milliards de chiffre d'affaires, mais dernièrement presque une perte. Où la M-Industrie, principal fournisseur des supermarchés Migros, s'est-elle dispersée?
Le fondateur de Migros, Gottlieb Duttweiler, s'est aidé lui-même en créant sa propre industrie, car ses magasins n'étaient plus approvisionnés en de nombreux produits. Avec le temps, de plus en plus de branches industrielles sont venues s'ajouter. Nous avons fini par perdre de vue notre objectif principal, qui était de fabriquer pour Migros les meilleurs produits aux prix les plus bas. Si nous réorganisons l'industrie, nous devons nous séparer des activités qui se sont développées de manière sauvage.
Sur quoi la M-Industrie doit-elle se concentrer?
Notre industrie doit assurer sa contribution à l'approvisionnement du pays, elle doit redevenir rentable et retrouver sa compétitivité.
M-Industrie n'est pas la seule à être malade, apparemment les marchés spécialisés Melectronics, SportX, Micasa ou Do it + Garden sont aussi mal en point. Quel est votre diagnostic?
Il ne s'agit pas ici de produits alimentaires, mais de produits qui ne sont aujourd'hui souvent achetés qu'en ligne, et ce à des prix toujours plus bas. Les marges baissent, le commerce stationnaire de produits tels que les appareils électroniques domestiques, la mode ou les meubles est extrêmement sous pression. Nous avons mis ces formats spécialisés au banc d'essai. Nous devons trouver des solutions judicieuses pour eux, car ils représentent effectivement un problème pour nous aujourd'hui.
Quand les premières décisions concernant les marchés spécialisés seront-elles prises?
Nous allons maintenant examiner soigneusement avec quels marchés spécialisés nous allons encore aborder l'avenir et dans quelle mesure. Pour Melectronics, nous parlons par exemple d'une intégration plus forte des assortiments dans les supermarchés Migros.
Les marchés spécialisés pourraient-ils aussi être vendus ou complètement abandonnés?
Par principe, nous examinons toutes les options. La décision sera prise dans le courant de l'année prochaine. Mais je tiens à souligner que Migros est largement implantée et que d'autres domaines connaissent une croissance réjouissante.
Vous attendez-vous à ce que le groupe Migros connaisse à nouveau une baisse de ses bénéfices comme lors de l'exercice précédent?
Je ne peux pas encore donner de chiffres absolus. Pour l'ensemble du groupe, nous allons enregistrer une croissance à un chiffre en ce qui concerne le chiffre d'affaires. Pour le bénéfice, je m'attends à un résultat nettement meilleur que l'année précédente. Il est toutefois possible que nous devions procéder à des corrections de valeur cette année, par exemple dans l'immobilier.
L'inflation a également une influence sur le résultat annuel. Ne freine-t-elle pas la consommation?
Le renchérissement des denrées alimentaires a atteint un pic de 5% en Suisse, alors que chez nos voisins du Nord, il était d'environ 20%. Si l'on considère les dernières décennies, les denrées alimentaires sont devenues moins chères pour les ménages suisses. Il y a deux raisons à cela: la concurrence due à l'arrivée des deux discounters allemands sur le marché s'est intensifiée et, parallèlement, la Suisse a profité du fait que l'euro est devenu de plus en plus avantageux par rapport au franc.
Mais les comportements d'achat ont changé...
Tout à fait. Le renchérissement massif dans le domaine de la santé, de l'électricité et des loyers se répercute fortement sur les budgets d'achat. Le revenu disponible ne cesse de diminuer, car les coûts structurels augmentent. Une grande partie des ménages est touchée par ce phénomène. Et où peut-on économiser le plus facilement? En renonçant à la valeur ajoutée d'un produit et en optant pour des marchandises standards ou des articles des lignes à bas prix. C'est une évolution que nous constatons actuellement dans nos magasins.
Que fait Migros pour soulager les ménages?
Nous tenons compte de la diminution du pouvoir d'achat et développons nos assortiments de manière à ce que les clients de chaque couche de la population puissent s'approvisionner à Migros dans leur catégorie de prix.