Alors que 500'000 colis en provenance d'Asie atterrissent chaque jour à Zurich, les plateformes telles que Temu, Shein ou AliExpress continuent de surfer sur leur inarrêtable vague de popularité. Proposant une farandole impressionnante d'articles en tout genre (cosmétiques, décoration, jouets, vêtements, matériel de fitness...), ces sites misent sur des produits quasiment identiques à certains objets de convoitise très populaires, qu'ils vendent à des prix dérisoires.
Ainsi ces articles traversent-ils nos frontières, sans forcément avoir été soumis aux mêmes réglementations et sans être toujours légaux: entre le 4 et le 8 novembre, l'Office fédéral des douanes et de la sécurité frontalière a notamment réalisé le plus grand contrôle de colis jamais mené en Suisse, dans l'entrepôt douanier d'Embraport, à Embrach (ZH). D'innombrables articles interdits ont ainsi été débusqués et saisis, tous en provenance de sites étrangers. Les associations économiques se démènent d'ailleurs pour réglementer ces plateformes.
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Mais l'aspect légal ne constitue pas l'unique problème, puisque des produits d'apparence tout à fait banale peuvent présenter des risques pour la santé: «Le problème de plateformes de commande en ligne est lié aux prix dérisoires qui sont souvent associés à une mauvaise qualité des produits, note Federica Gilardi, responsable adjointe de l'Unité Facultaire de Toxicologie du Centre Universitaire Romand de Médecine Légale. De plus, ces sites de vente travaillent avec des centaines de fournisseurs différents, souvent basés dans des pays qui ne sont pas soumis à la même règlementation en vigueur en Europe ou en Suisse, ce qui rend les contrôles difficiles.»
Voici cinq catégories de produits qui requièrent une vigilance particulière:
Les ustensiles de cuisine
«Il est difficile d’identifier des catégories spécifiques de polluants problématiques, observe la Dre Nathalie Chèvre, écotoxicologue à la Faculté des Géosciences et de l’Environnement de l’Université de Lausanne. Ces plateformes proposent énormément d’objets dont on ignore s'ils suivent les réglementations européennes. Mais je dirais qu’il faut faire particulièrement attention pour tout article qu’on va mettre dans la bouche, par exemple les ustensiles de cuisine.»
Notre experte soulève que ceux-ci risquent en effet de contenir des substances comme les PFAS, les phtalates ou encore les bisphénols, dont certains sont des perturbateurs endocriniens: «On peut aussi trouver des substances ignifuges potentiellement cancérigènes et interdites depuis dix ans au niveau mondial, mais qu’on retrouve dans certains produits issus du recyclage de vieux plastiques.»
Et Federica Gilardi d'acquiescer, ajoutant que cela vaut également pour tout objet entrant directement en contact avec la nourriture, dont les assiettes, bols, tasses ou couverts jetables: «Si la qualité n’est pas bonne, l’utilisation de ces produits peut nous exposer à des concentrations trop élevées des certaines de ces substances nocives, et parfois même à des substances qui sont interdites chez nous, mais pas dans le pays de fabrication, si le produit arrive de loin.»
Les crèmes solaires
Réfléchissez bien avant d'appliquer une épaisse couche de crème solaire made in Temu sur votre nez frigorifié, depuis un télésiège arrosé de soleil... Ainsi que le révélaient des tests menés par la RTS et «À Bon Entendeur» le 13 novembre, certaines protections solaires vendues sur le site Temu ne correspondent absolument pas à la promesse affichée sur les flacons: bien que ces derniers annoncent une protection importante, il s'avère que les sept produits testés «présentent des indices ridiculement bas», allant jusqu'à 1,6 pour une bouteille affichant un indice 50+.
«Dans certains cas, le prix des cosmétiques est évidemment exagéré, constate Nathalie Chèvre. Cependant, souvent, le fait d’investir une certaine somme garantit tout de même une bonne qualité. C’est le cas des crèmes solaires, par exemple, qui peuvent facilement être vendues moins cher dès qu’on y met des ingrédients de piètre qualité.»
Les parfums et les bougies
Mauvaise nouvelle pour les fans de chandelles parfumées au pain d'épices, en ce début d'hiver un peu lugubre: selon Nathalie Chèvre, les substances qu'on respire à l'intérieur du logement, qu'elles soient issues de bougies ou de parfums, par exemple, peuvent aussi contenir des allergènes.
Voilà un thème fréquemment discuté, notamment suite à la parution d'une étude réalisée par une agence sanitaire française en 2017, qui soulignait la diffusion de polluants via la mèche de certaines bougies. Depuis, les versions naturelles et artisanales réalisées en Europe ont le vent en poupe.
Or, lorsqu'il s'agit de produits venus de l'étranger, il convient d'être encore plus précautionneux: «Quand on achète des produits européens ou suisses, on sait qu’on bénéficie d’une certaine protection, en raison du cadre légal qui nous protège des substances chimiques, poursuit notre intervenante. Celui-ci n’est évidemment pas parfait, mais il faut savoir que tout produit acquis en dehors de ce cadre peut présenter un risque.»
Les jouets et objets pour les enfants
Les plateformes telles que Temu peuvent s'apparenter à de véritables cavernes d'Ali Baba pour les plus jeunes, qui y découvrent tous les trésors que leur petit cœur puisse désirer. Nathalie Chèvre déplore toutefois que certains jouets peuvent contenir trop de métaux lourds ou encore des phtalates lorsqu’ils sont constitués de plastique: «À noter que, de manière générale, certains articles de maquillage pour enfants destinés aux petites filles ne sont pas classés dans la catégorie des cosmétiques, mais dans celle des jouets, avec une réglementation différente et moins stricte.»
Ainsi que le rappelle Federica Gilardi, les enfants sont particulièrement vulnérables à l’exposition aux substances toxiques, sachant que leur capacité de métaboliser et à éliminer les toxines est encore limitée: «D'autre part, certaines substances peuvent interférer avec le développement du cerveau, précise-t-elle. Et il est important de souligner que le développement débute pendant la gestation et que l’exposition maternelle peut affecter également le fœtus, car certains contaminants peuvent traverser la barrière placentaire et se retrouver dans le liquide amniotique. Attention donc aux femmes enceintes!»
Les cosmétiques qu'on étale sur la peau
Durant la saison froide, l'idée de s'envelopper dans un cocon de crème hydratante peut sembler irrésistible... Or, nos expertes déconseillent de se procurer ladite crème sur un site étranger: «Il faut être très attentif lorsqu’on cherche à payer moins cher des produits qu’on va appliquer sur le corps, car des substances peuvent pénétrer dans l’organisme via l’épiderme, précise Nathalie Chèvre. Ces produits peuvent aussi contenir des substances colorantes ou des parfums fortement allergisants.»
La spécialiste se dit d'ailleurs étonnée du succès des crèmes vendues sur ces plateformes, puisqu'on trouve des produits de bonne qualité très bon marché dans nos commerces: «À noter que les produits simples, avec peu d’ingrédients, présentent moins de risques que des versions remplies de très nombreux d’ingrédients, même si elles sont peu chères.»
À quoi faut-il veiller, avant de valider son panier?
Si l'attrait des produits Temu ou AliExpress s'avère trop puissant et que vous ne pouvez vous empêcher de les lorgner du coin de l'œil, les spécialistes soulignent plusieurs mesures importantes, à appliquer avant de valider votre panier. Première chose à faire: s'informer, afin de prendre conscience des risques potentiels: «On peut décider d'acheter ces produits, en toute connaissance de cause, mais il faut au moins savoir que ce risque existe», estime Nathalie Chèvre.
Federica Gilardi conseille par ailleurs de bien vérifier la conformité aux normes et les standards de sécurité: «Par exemple pour les cosmétiques, l'étiquetage doit inclure la liste des ingrédients (par ordre décroissant de concentration), la date de péremption, le numéro du lot ou la référence d'identification, les instructions d'utilisation et les avertissements, en particulier pour les produits avec un facteur de protection solaire, précise-t-elle. L'absence de ces informations peut donc être un signal d’alerte. Pour les jouets, le marquage CE est obligatoire en Europe.»
Dernier conseil: ne jamais réchauffer les contenants en plastique, surtout en cuisine! «Bien qu'il n'existe pas de liste exhaustive des perturbateurs endocriniens, on sait que beaucoup de substances reconnues comme telles sont largement présentes dans les plastiques», conclut Nathalie Chèvre.