Rétrospectivement, c'est un cri de Cassandre qu'a lancé Pascale Baeriswyl en 2019. «Les mèches sont devenues très courtes. Les responsables qui jouent avec le feu sont nombreux et d'autres acteurs ont flairé la mèche.» Cette phrase a été prononcée le 21 août 2019, lorsque le ministre des Affaires étrangères Ignazio Cassis et Pascale Baeriswyl se sont présentés devant les médias et ont annoncé que Pascale Baeriswyl quittait son poste de secrétaire d'État du DFAE pour devenir à la place ambassadrice de l'ONU à New York.
Un paysage géopolitique compliqué
Dans cette allocution en 2019, Pascale Baeriswyl faisait référence aux nombreux conflits, du Mali au Myanmar, du Yémen à l'Afghanistan, de la Colombie au Congo. Mais les années qui ont suivi ne se sont pas améliorées. En 2021, Kaboul est tombé aux mains des talibans, en 2022, Poutine a attaqué l'Ukraine, en 2023, le Hamas a attaqué Israël et a allumé un nouvel incendie au Proche-Orient. En tant que membre élu du Conseil de sécurité de l'ONU, la Suisse a été directement confrontée à toutes les crises du monde au cours des deux dernières années.
Depuis la bataille de Solférino et l'expérience du fondateur du CICR Henry Dunant (1828-1910), la Suisse s'est donnée pour mission de sauver des vies, de soulager la détresse, de servir de médiateur entre les parties en conflit et de lutter pour le droit international humanitaire. Les décisions prises au Conseil de sécurité de l'ONU, contraignantes en droit international, visent idéalement à prévenir les guerres et à sauver des vies.
Mais la réalité est souvent différente. Les cinq puissances de veto que sont les Etats-Unis, la France, la Grande-Bretagne, la Russie et la Chine se bloquent mutuellement car trop d'intérêts personnels sont en jeu: la Russie avec l'Ukraine et la Syrie; les Etats-Unis avec Israël ou la Chine lorsqu'il s'agit de la mer de Chine méridionale.
En tant que pays neutre, la Suisse est un bon médiateur
La culture suisse du compromis est étrangère à New York, mais en même temps, la diplomatie vit de l'ambiguïté stratégique: saisir une opportunité lorsqu'elle se présente, creuser des fossés et maintenir les canaux de discussion ouverts, même s'il n'y a pas de succès à court terme. Et de «ne jamais perdre espoir», même lorsque l'espoir semble vain.
Comme les puissances de veto se bloquent mutuellement, l'heure du «E10», c'est-à-dire des dix pays élus par l'Assemblée générale de l'ONU pour deux ans, sonne souvent au Conseil de sécurité. En tant que pays neutre, la Suisse est particulièrement bien placée pour jouer les médiatrices.
Pascale Baeriswyl était au cœur de l'action. Ignazio Cassis avait hérité de l'actuelle ambassadrice en tant que secrétaire d'État de son prédécesseur au Conseil fédéral, Didier Burkhalter. Ce n'est un secret pour personne qu'Ignazio Cassis et Pascale Baeriswyl ne s'entendaient pas à Berne. Les successeurs de cette dernière, Roberto Balzaretti et Livia Leu, ne sont pas restés beaucoup plus longtemps. Ce n'est qu'avec Alexandre Fasel que le Tessinois semble avoir trouvé le secrétaire d'État qu'il souhaitait.
L'éviction du pouvoir comme promotion
Mais pour Pascale Baeriswyl, son éviction du pouvoir à Berne a été ressentie comme une promotion. Elle a ainsi pu écrire l'histoire de la diplomatie suisse. Pour la première fois, la Suisse était représentée au Conseil de sécurité de l'ONU. La prochaine occasion ne devrait pas se présenter avant 20 ans. Et si l'on se renseigne un peu, on n'apprend que du bien du travail de la Suisse au Conseil de sécurité de l'ONU, hormis la jalousie habituelle entre diplomates.
Franz Perrez, juriste en chef du droit international public au DFAE, a déclaré début décembre à Blick: «Nous constatons au Conseil de sécurité que des formulations qui figurent dans la Convention de Genève ne sont parfois plus approuvées.» Les équipes de New York et de Berne auraient travaillé presque 24 heures sur 24 pour empêcher des régressions du droit international.
La présidente de la Confédération Viola Amherd a fait du multilatéralisme le point fort de son année présidentielle et a souligné dans un entretien avec Blick que la mission suisse de l'ONU à New York avait fait un excellent travail. Les photos de Viola Amherd et de la star américaine Meryl Streep critiquant ensemble à New York la situation des droits de l'homme en Afghanistan ont fait le tour du monde. Et le ministre des Affaires étrangères Ignazio Cassis a profité de ses rendez-vous à New York pour s'entretenir directement avec le ministre russe des Affaires étrangères Sergei Lawrow.
«La Suisse est passée maître dans la protection de la population civile»
Le soir du Nouvel An, à 23h59, ce sera la fin. La Suisse quittera alors son siège au Conseil de sécurité après deux ans de mandat. «La Suisse est une championne de la protection des populations civiles et du droit international humanitaire», déclare l'ambassadrice britannique à l'ONU à New York, Barbara Woodward. «La Suisse s'est battue pour la résolution 2730, c'est l'héritage de ce pays. La Suisse nous a toujours rappelé l'importance de la protection des civils et des travailleurs humanitaires.»
L'ambassadeur de France à New York, Nicolas de Rivière, a complété: «Ce qui est moins connu, mais fondamental, c'est que la Suisse a présidé le comité des sanctions sur la Corée du Nord, ce qui est un grand défi. La Suisse a fait un travail formidable. Elle va nous manquer.»
Le seul bémol de la première suisse au cœur des Nations unies tient au fait que le monde n'est pas devenu plus pacifique au cours des deux dernières années et que 2024 est devenue l'année la plus meurtrière pour les travailleurs humanitaires. A l'inverse, la Suisse a réussi à prolonger l'aide humanitaire pour la Syrie ou à permettre la vaccination contre la polio pour les enfants de Gaza.
Un bilan dès l'année prochaine
Comme souvent avec les Nations unies, ce sont de petits pas dont la Suisse peut être fière. «Pour le Guyana, la Suisse a été un partenaire qui a veillé à ce que le Conseil de sécurité ne perde pas de vue la menace de famine dans certains foyers de crise du monde, dont Gaza et le Soudan», explique l'ambassadrice du Guyana à New York, Carolyn Rodrigues.
Le Département des affaires étrangères (DFAE) fait savoir qu'il ne tirera un bilan qu'au cours de la nouvelle année «et établira une classification politique à l'attention du Conseil fédéral et du Parlement». Lorsqu'Ignazio Cassis et Pascale Baeriswyl se présenteront à nouveau devant les médias à Berne, on devrait entendre de nouvelles prédictions de la part de la superdiplomate suisse.