La crise énergétique mondiale s’aggrave. La menace d'un black-out cet hiver en Suisse est réel. «Le pays doit se préparer à une situation de pénurie», a averti la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga lors d'une conférence de presse avec son collègue Guy Parmelin. Ce dernier a toutefois adopté un ton différent, soulignant que «nous devons tout faire pour éviter une situation de pénurie».
En d’autres termes, la ministre de l’Energie s’attend à une situation d’urgence, le ministre de l’Economie espère toujours qu’elle ne se produira pas. C’est révélateur. Depuis des mois, Guy Parmelin repousse la préparation à la crise. Mais lorsque la situation de pénurie se présentera, il sera responsable.
Le ministre de l’Economie vient d’annoncer un catalogue de mesures en cas de pénurie de gaz. L’Office fédéral pour l’approvisionnement économique du pays (OFAE), sous la responsabilité de Guy Parmelin, se retrouve au centre de la tempête. Ses fonctionnaires travaillent d’arrache-pied à l’élaboration des ordonnances correspondantes. L’OFAE doit sauver la Suisse de l’hiver.
Un office en sous-effectif...
Or, l’office est très mal équipé pour cette mission. A commencer par le nombre d'employés. A titre de comparaison, l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) a pu compter sur ses 660 fonctionnaires pour gérer la pandémie de coronavirus, tandis que l’OFAE doit faire face à une crise énergétique d'ampleur avec seulement 35 collaborateurs. A cela s’ajoutent 250 «miliciens» issus de l’économie. Mais leurs taux d’occupation sont très faibles. Pour le chef du service central de l’énergie, 20 jours d’engagement au service de l’approvisionnement du pays sont prévus – par an. Et à sa tête se trouve le délégué Werner Meier, qui dirige l’organisation avec un taux d’occupation de 40%.
«L’économie joue un rôle central dans l’approvisionnement énergétique du pays, explique Werner Meier à Blick. La Confédération les soutient dans cette tâche. Ce lien étroit subsiste même en cas de crise, car l’économie met en œuvre les mesures de gestion.» En effet,
...et vulnérable aux blocages
Une telle imbrication de l’économie et de l’administration dans un office fédéral est unique en son genre. Et vulnérable aux blocages, car c’est toujours un tiers qui décide à la fin: le Conseil fédéral. Dernier exemple en date: l’OFAE s’est laissé convaincre par les entreprises du secteur privé de contraindre également les ménages à faire des économies, mais Guy Parmelin n’a pas réussi à convaincre les autres conseillers fédéraux. Ces derniers invoquent des obstacles juridiques.
Mais peut-être pensent-ils aussi aux élections de l’année prochaine? Les salons froids pourraient en effet créer une ambiance glaciale dans les urnes. Et si l'influence de l'OFAE en la matière est massive, les sept sages auront le dernier mot. «La loi fédérale sur l’approvisionnement économique du pays permet à cet office d’intervenir dans tous les secteurs de l’économie et de la population, explique Simon Banholzer, responsable politique à la Fondation suisse de l’énergie. Mais la décision finale revient au Conseil fédéral, puisque c'et lui qui signe les ordonnances.»
Des ordres et des interdictions, mais pas d'incitations
Le gouvernement devra notamment intervenir la semaine prochaine, lorsqu’il s’agira de discuter des dispositions relatives à la pénurie de gaz. Les ordonnances vont mettre le feu aux poudres. Car elles se composent exclusivement d’ordres et d’interdictions. Autrement dit: si les appels à faire des économies de Simonetta Sommaruga ne portent pas leurs fruits, Guy Parmelin devra sanctionner. Aucun entre-deux ne sera possible.
La situation est différente dans les pays voisins, qui travaillent depuis longtemps avec différents systèmes d’incitation. Ainsi, les entreprises allemandes qui arrêtent leurs machines de temps en temps reçoivent un dédommagement de l’Etat. «L’OFAE, en revanche, ne semble pas du tout envisager les incitations comme une option», déclare Simon Banholzer.
Ce qui agace fortement le conseiller national socialiste Roger Nordmann. «Les interdictions ne peuvent pas être mises en œuvre du jour au lendemain, tonne le Vaudois. Il faut un plan pour la phase précédente! Comme des incitations, par exemple sous forme d’appels d’offres, ce qui est déjà proposé depuis longtemps de l’autre côté de la frontière.»
Le conseiller aux Etats libéral-radical Damian Müller a approché l’Office fédéral de l’énergie de Simonetta Sommaruga à ce sujet. «Nous discutons d’incitations pour rendre les économies volontaires intéressantes, affirme le député PLR. Elles pourraient être lancées dès maintenant pour la consommation de gaz. Ces mesures viendraient compléter les appels à l’économie et les contingentements tels que la Confédération les a déjà esquissés», ajoute-t-il.
Manque de transparence
Au département de Guy Parmelin, personne ne semble s'intéresser à ce système d'incitation. En outre, la position de l'OFAE sur un autre point n'est pas claire: les ordonnances sur lesquelles l'office travaille actuellement concernent exclusivement le cas d'une pénurie de gaz. Quid de l'électricité, dont les prix sont en train de crever le plafond? Silence.
Ce que le député socialiste Roger Nordmann critique aussi vivement: «Guy Parmelin doit maintenant prendre les choses en main de toute urgence et les rendre publique. Il faut de la transparence pour instaurer la confiance.»
Plus la situation de pénurie se rapproche, plus l'inaction du ministre de l'Économie pèse lourd. Le système de milice dans l’approvisionnement du pays est en principe une bonne chose, affirme Alexander Keberle, responsable de l’énergie chez Economiesuisse. «L’inconvénient, c’est qu’en Suisse, en cas de situation de crise aiguë, nous ne pouvons pas réagir aussi rapidement que les organisations de crise professionnelles présentes dans d’autres pays.»
Le directeur de Swissmem, l'association de l'industrie suisse des machines, des équipements électriques et des métaux, Stefan Brupbacher prend la défense de l'OFAE. «Nous devons maintenant soutenir l’office au lieu de lui taper dessus, nuance-t-il. Mais l’OFAE et le secteur de l’électricité doivent aussi être conscients de la responsabilité qu’ils portent.»
Aucun changement structurel au sein de l'OFAE depuis mars
Un point ne fait aucun doute: personne n'envie Werner Meier en ce moment. «Bien sûr, la pression est grande, déclare le chef de l’OFAE. Et la charge de travail augmente.» Son poste est sous-doté depuis des années, mais ce n’est qu’en mars dernier que le Conseil fédéral est parvenu à la conclusion qu’il devait être renforcé et qu’un délégué à plein temps devait être nommé à sa tête.
Que s’est-il passé depuis? «Le Conseil fédéral a reconnu que la situation en matière de personnel était insuffisante et a déjà donné son feu vert pour une augmentation ciblée du personnel», fait savoir le département de Guy Parmelin. En d’autres termes, il ne s’est rien passé.
La succession de Werner Meier est toujours ouverte. Le chef du «mini-office» quittera ses fonctions fin novembre, au beau milieu d’une crise énergétique d’une ampleur historique.
(Adaptation par Quentin Durig)