Monsieur Nordmann, la crise énergétique peut-elle encore être évitée?
Nous sommes déjà en pleine crise pour le gaz. Pour l'électricité aussi, la situation est critique. La guerre en Ukraine entraîne de graves pénuries. La moitié des centrales nucléaires françaises sont à l'arrêt. Et la sécheresse qui sévit un peu partout met à mal l'énergie hydraulique. Cette combinaison de facteurs décisifs fait qu'il manquera à la Suisse environ 15% de gaz et jusqu'à 10% d'électricité l'hiver prochain.
Quelles solutions s'offrent encore à la Suisse?
La Confédération a raison de mobiliser désormais des générateurs diesel, même si ce n'est ni une solution durable ni une solution propre. Le fait que nous investissions trop lentement dans l'électricité renouvelable se paie amèrement. Concrètement, pour cet hiver, nous devons aussi commencer à économiser sérieusement et à grande échelle.
Cela doit-il se faire volontairement ou sur ordre des autorités?
Nous devons vraiment réduire la demande en énergie. Mais dans de nombreux cas, les consommateurs ne savent pas du tout comment économiser. Cela commence par le simple réglage du chauffage. C'est pourquoi l'information et le soutien sont essentiels. Le Covid a montré que les Suisses savent se comporter de manière très responsable et solidaire. Mais pour cela, ils ont besoin de directives claires.
La ministre de l'Energie Simonetta Sommaruga ne prend-elle pas trop de temps pour lancer un appel aux économies d'énergie?
La conseillère fédérale vient de lancer un appel dans le Blick sur le sujet. Mais cela ne suffit pas. Le Conseil fédéral doit avant tout planifier et organiser. Et selon la loi sur l'approvisionnement du pays, c'est la tâche du ministre de l'Economie, Guy Parmelin.
Le département de Guy Parmelin doit prendre le relais en cas de pénurie grave imminente ou déjà existante. Mais le Conseil fédéral n'a pas encore déclaré une telle situation d'urgence...
Certes, mais la situation de pénurie est imminente. Contrairement à ce qui a été fait pour la pandémie, nous pouvons prévoir et réagir. Nous ne devons pas attendre qu'il soit trop tard. Mais le département de Guy Parmelin n'a encore rien proposé. Il risque ainsi de provoquer des dommages sociaux et économiques qui pourraient être évités. Guy Parmelin doit enfin faire son boulot.
Que doit-il donc faire concrètement?
D'ici fin août au plus tard, il doit définir des mesures concrètes dans une ordonnance. Il s'agit par exemple d'interdire les enseignes lumineuses ou de fixer des règles en matière de chauffage. Le Conseil fédéral doit définir clairement qui est responsable de quoi. Qui doit par exemple veiller à ce que le chauffage soit réduit d'un degré? Est-ce que ce sont les locataires, les concierges ou les agences immobilières? Dans quelle mesure les fournisseurs de gaz et d'électricité sont-ils tenus d'agir? Il faut dès maintenant des directives claires dans différents domaines.
C'est aussi ce que demandent les milieux économiques. L'Union suisse des arts et métiers critique le manque de planification du Conseil fédéral. Les entreprises craignent des dommages massifs...
Oui et il est donc d'autant plus important que Guy Parmelin agisse immédiatement et présente des plans concrets aux entreprises. On pourrait par exemple envisager un appel d'offres. Cela signifierait que les entreprises qui coupent temporairement le courant reçoivent en contrepartie un dédommagement de la part de la Confédération. Cela crée de la sécurité. Les entreprises doivent savoir à quoi s'attendre. Cela vaut également au cas où des coupures obligatoires s'avéreraient nécessaires.
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Eric Scheidegger, économiste en chef du Secrétariat d'Etat à l'économie, voit les choses différemment. Pour lui, les entreprises ont eu suffisamment de temps pour se préparer et doivent tenir compte de la crise. Il estime que la Confédération ne leur donnera pas un coup de main comme lors de la pandémie. Qu'en pensez-vous?
Un économiste de bureau avec un salaire assuré par l'Etat est en mesure de dire une chose pareille. Mais pour de nombreuses entreprises et leurs employés dans le pays, la crise énergétique est une menace massive. La Confédération doit donc régler la question des indemnisations et empêcher les arrêts d'urgence grâce à une planification intelligente. Elle ne doit pas simplement abandonner les entreprises à leur sort. Un tel darwinisme économique est aujourd'hui totalement déplacé.
Comment voyez-vous la situation évoluer pour cet hiver?
Le risque d'un effondrement de l'énergie est réel. Si des coupures d'urgence doivent avoir lieu cet hiver, cela entraînera des dommages massifs pour la société et l'économie. C'est pourquoi la Suisse doit agir maintenant, le ministre de l'Economie en tête. Et si, au final, aucun problème n'apparaît, tant mieux!
Mais ce n'est pas comme si le Conseil fédéral ne faisait rien. Il y a des discussions permanentes à différents niveaux...
Il ne suffit pas de mener des discussions et de créer des groupes de travail. Il est trop tard pour cela. Il faut maintenant livrer la marchandise. Il s'agit de définir des mesures concrètes et, si nécessaire, de les mettre en place. Cela n'était pas possible avant la pandémie, c'était tout simplement trop rapide. Mais maintenant, les choses se présentent différemment. Le Conseil fédéral ne doit pas rater ce train.
(Adaptation par Thibault Gilgen)