Un défilé de néonazis hongrois ravagés par la bière? Non! Les ultras genevois qui montent à pied et sur la route depuis la gare de Lausanne jusqu’au stade la Tuilière, dans le nord de la ville, bloquant transports publics et commerces sur leur passage. Visage cagoulé, torche incandescente à la main, bombe de peinture grenat dans l’autre… Les fans de football les plus atteints par le virus du chaos effraient et exaspèrent celles et ceux qui assistent à ce triste spectacle sous leurs fenêtres, semaine après semaine.
Les choses ont particulièrement dérapé en marge du match qui opposait le Lausanne-Sport et Servette, le samedi 1er mars. Selon son communiqué, la police cantonale a été la cible de projectiles et a dû faire usage de spray au poivre, d’un camion lanceur d’eau et tirer des balles en caoutchouc pour ramener l’ordre. Faudra-t-il un mort pour que les pouvoirs publics, les clubs et la Swiss Football League prennent enfin des mesures dignes de ce nom pour tordre le bras aux hooligans?
Vassilis Venizelos, conseiller d’Etat vaudois chargé de la Sécurité, a reçu «L’illustré» ce samedi 8 mars dans son bureau du château Saint-Maire à Lausanne. Avant de nous ouvrir les portes de son appartement, à Yverdon-les-Bains, puis de nous emmener au stade municipal pour regarder le match opposant la cité thermale à Winterthour (2-1). L’élu vert revient sur les sanctions annoncées et nous confie qu’il est prêt à aller encore plus loin si la situation le nécessite. Il tape du poing sur la table et appelle le milieu du ballon rond à enfin se responsabiliser. Interview.
Vassilis Venizelos, les débordements d’ultras se suivent et se ressemblent. Pourquoi l’Etat est-il impuissant face à ce phénomène des plus désagréables pour la population?
Ces événements sont effectivement intolérables. Nous sommes face à une minorité de pseudo-supporters toxiques qui prennent en otage le spectacle et le football. Mais l’Etat n’est pas impuissant. Il prend des décisions et délivre des sanctions qui s’inscrivent dans l’accord intercantonal Progresso.
Concrètement, à quoi ce modèle ressemble?
Après les débordements en marge du match opposant le Lausanne-Sport et Servette le 1er mars dernier, nous avons décidé de fermer leurs kops respectifs pour un match. Une mesure à laquelle s’ajoutent cinq matchs de sursis. En cas de nouveaux débordements pendant cette phase de probation, le canton n’hésitera pas à monter en puissance et à décréter par exemple un match à huis clos. Le modèle Progresso, adopté par l’ensemble des cantons l’année passée, est un modèle en cascade. Cela signifie que la gravité des incidents détermine la sévérité des sanctions.
Après des affrontements avec la police qui a dû tirer des balles en caoutchouc et utiliser un canon à eau, cette tape sur les doigts est d’une mollesse coupable, non?
Je suis prêt à aller loin. Je ne ferme aucune porte: du huis clos au refus d’autorisation de manifestation. Ne grillons toutefois pas les étapes. Nous avons l’accord Progresso, qui n’est certes pas parfait mais qui a le mérite d’exister, malgré les oppositions de la Swiss Football League et des clubs. Si nous nous en écartions d’entrée, cela serait un échec, parce qu’un tel modèle vise à introduire les mêmes règles du jeu lors de débordements partout dans le pays.
Vous comprenez les réticences de la ligue et des clubs?
Non, c’est incompréhensible. Face aux débordements qui sont insupportables pour la population, les fans et les joueurs, ces acteurs ont, eux aussi, une grande responsabilité. C’est la première fois que nous arrivons à un accord qui s’applique sur l’ensemble du territoire.
La ligue et les clubs ont, dès le départ, été associés aux discussions dans un esprit de dialogue. Ils ont obtenu de nombreuses modifications et ont quitté la salle au moment de signer et d’assumer leurs responsabilités. Ce sont des mois et des mois de travail qui suscitent, de leur côté, une réaction de «cour de récréation». C’est pourquoi j’ai décidé, tout comme plusieurs chefs de la Sécurité de différents cantons, qu’il fallait maintenant serrer la vis.
A vous entendre, les autorités mettent la pression et le milieu du football joue la montre. Va-t-il falloir un drame, par exemple un mort, pour que les choses bougent enfin?
Avant de parler de mort, je veux déjà absolument éviter qu’une personne soit blessée par une fusée. Les engins pyrotechniques sont interdits, pourtant les ultras en ont plein les poches. J’attends des clubs qu’ils prennent leurs responsabilités et qu’ils renforcent la sécurité à l’intérieur des stades. J’aimerais aussi qu’ils continuent à travailler avec nous car nous avons besoin de tout le monde pour trouver des solutions efficaces sur le long terme.
Il y a aussi l’extérieur des stades qui pose problème. Chaque week-end, ou presque, Lausanne est paralysée par des cortèges de supporters durant lesquels les déprédations sont légion. Pourquoi les autorités laissent faire?
Le modèle Progresso ne prend pas en compte certaines spécificités et n’apporte pas de réponse à la problématique des défilés. A Lausanne, nous nous trouvons dans le cas d’un stade en périphérie. Avec Pierre-Antoine Hildbrand (le municipal lausannois responsable de la Sécurité, ndlr), nous avons convoqué le Lausanne-Sport pour trouver des solutions sur ce sujet. Nous estimons désormais que c’est au club de se responsabiliser.
Y a-t-il des pistes intéressantes?
Nous avions, auparavant, le transport par bus qui fonctionnait bien... jusqu’à ce que des hooligans détruisent le véhicule qui les amenait au stade. Cela a rendu très compliquées les discussions avec les transporteurs. Quoi qu’il en soit, il faut aller de l’avant et rendre la rue à la population.
Ce n’est par ailleurs plus tolérable que le coût sécuritaire de ces cortèges se reporte sur les contribuables et que des policiers se retrouvent parfois face à des allumés armés de barres de fer. Je tiens ici à remercier les forces de l’ordre, qui doivent affronter des individus violents et qui font face à un engagement important et difficile.
Vous comprenez néanmoins le sentiment d’abandon que certaines habitantes et habitants peuvent ressentir face à ces scènes hallucinantes qui se répètent sous leurs fenêtres sans que rien ne change?
Les forces de l’ordre ont pour mission principale d’encadrer ces cortèges. Intervenir au milieu de plusieurs centaines de supporters, pour des interpellations par exemple, est quelque chose de très difficile. On risque les mouvements de foule et les gros débordements.
Mais à côté des sanctions collectives, que nous ne prenons pas de gaieté de cœur, nous œuvrons aussi à des sanctions individuelles. Nous travaillons avec la vidéosurveillance et tentons d’identifier les fauteurs de troubles pour les dénoncer en justice. Même si ceux-ci sont cagoulés, ils ne sont pas à l’abri.
Il n’y a pas de solutions miracles. Mais allez-vous appuyer l’idée du billet nominatif?
Nous allons continuer de travailler sur une palette d’outils, qui vont de la prévention à la sanction. Le billet nominatif fait partie de ces outils et une base légale est en préparation. Les clubs y sont viscéralement opposés. Il y a là un tabou que je ne comprends pas. Quand je vais à un concert, je donne mon identité. Je ne vois vraiment pas où est le problème.
Les clubs avancent notamment des raisons financières.
Elles ne tiennent pas! Je rappelle que, pour les matchs de foot et de hockey, les coûts de sécurité s’élèvent à 2,5 millions. Et, pour être clair, 80% de ces 2,5 millions de francs sont aujourd’hui assumés par les collectivités publiques. Comment le justifier? Nous avons, derrière ces clubs, des entreprises comme Ineos (propriétaire du Lausanne-Sport, ndlr) qui brassent des milliards et qui pourraient tout à fait prendre en charge ces frais.
Vous avez par ailleurs raison de dire que le billet nominatif n’est pas une solution miracle. Mais il permettrait assurément de casser le sentiment d’impunité chez certains individus qui pensent qu’ils ne risquent rien grâce à leur anonymat et se croient dans une impunité totale, protégés par la foule et leur cagoule.
Vous êtes vous-même fan de foot. Reconnaissez-vous également du positif aux ultras?
Clairement. Je n’ai pas envie d’un stade qui soit complètement aseptisé. Le football doit rester un sport populaire. Les kops chantent et apportent de la couleur. Ils sont l’âme des clubs. On les qualifie de «douzième homme», ce qui montre bien aussi leur importance sur le terrain. Malheureusement, certains opportunistes profitent de la fête pour commettre des actes qui méritent des sanctions. Le football doit être une passion et une émotion collective. Mais rien ne justifie les violences.
Plongeons dans votre mémoire, si vous le voulez bien. C’est quoi, votre plus vieux souvenir de football?
La Coupe du monde en Espagne en 1982. Mon premier album Panini. Je me souviens d’un retour à la maison après l’un de mes entraînements de gymnastique artistique. Mon père avait recouvert les escaliers qui menaient à ma chambre d’étiquettes Panini. Pour le petit garçon de 5 ans que j’étais, il y en avait des milliers. C’était un moment absolument magique.
Vous regardiez les matchs avec votre papa?
Oui. On avait le petit rituel du samedi, avec les matchs de Bundesliga. Je tenais alors pour l’Allemagne, jusqu’à ce que le gardien Harald Schumacher fasse une sortie digne d’une agression sur le joueur français Patrick Battiston (le 8 juillet 1982, ndlr). J’ai alors changé de camp, pour le plus grand bonheur de ma mère française (rires).
Avez-vous vous-même joué au football?
Dans la cour, avec des potes. Puis, dans l’équipe du Grand Conseil vaudois. Enfant, j’ai commencé très tôt à faire de la gymnastique artistique jusqu’à en faire cinq ou six fois par semaine. C’était très intensif, avec des week-ends à Macolin. Au bout d’un moment, j’en ai eu marre des sports individuels, alors j’ai commencé en secret à jouer au basket.
Pourquoi en secret?
Je ne voulais pas décevoir mon père, ce grand fan de foot. (Il sourit.) C’était difficile de concilier la gym et le basket, surtout sans le dire à mes parents. Alors je suis sorti du bois et je me suis mis exclusivement au basket. Là aussi, de façon intensive. J’ai joué en sélection vaudoise et en première ligue.
Partagez-vous votre goût pour le sport avec vos enfants?
Mon fils, Ilias, 18 ans, fait du tennis et est passionné de volley. Ma fille, Mileva, bientôt 17 ans, nage et fait de la salle. On aime aller aux matchs ensemble, que ce soit du foot, du hockey ou du tennis.
Pendant le covid, on avait aussi instauré un moment PlayStation avec Ilias. On s’affrontait à FIFA et les manettes pouvaient voler! Aujourd’hui, je n’ai plus vraiment le temps de me lancer dans ces duels. D’un côté, tant mieux: je vieillis et mes réflexes sont moins bons. Cela s’était ressenti lors de nos dernières parties, où je m’étais fait éclater!
Cet article a été publié initialement dans le n°11 de L'illustré, paru en kiosque le 13 mars 2025.
Cet article a été publié initialement dans le n°11 de L'illustré, paru en kiosque le 13 mars 2025.