Dépression et renaissance
Apaisé, le comique romand Yacine Nemra sublime ses failles à New York

L’humoriste vaudois Yacine Nemra, connu notamment pour ses chroniques sur RTS Couleur 3, se laisse aller à la confidence. Après s’être remis d’une très forte dépression, il s’est installé à Manhattan pour préparer sa rentrée sur les scènes romandes. Action!
Publié: 12:37 heures
|
Dernière mise à jour: 13:41 heures
1/4
Facétieux, l’humoriste vaudois et voix de RTS Couleur 3 Yacine Nemra prend la pose à New York.
Photo: Jennifer S. Altman
ANTOINE ZOOM (1).png
Antoine HürlimannResponsable de l'actualité de L'illustré

Florilège: «J’ai 34 ans, je fais 1m76, je sors d’un burn-out doublé d’une dépression et je me bats avec des inflammations chroniques du côlon. Je n’ai ni Oscar, ni Prix Nobel, et je me demande parfois si je ne suis pas en train de rater le film de ma vie. Ou si l’acteur principal n’a pas été mal choisi.»

La promotion autour de cette création intitulée Yacine Nemra est faible, à découvrir dès le 20 mars au bar-club ABC, à Lausanne, puis en fin d’année au Nouveau Monde, à Fribourg, et au Théâtre de la Grenette, à Vevey, interpelle. Elle pourrait même carrément dérouter les fidèles de RTS Couleur 3. Plus particulièrement les auditrices et auditeurs des Bras cassés, rendez-vous radiophonique mené par la frétillante Valérie Paccaud où le trentenaire à la voix douce et solaire distille ses blagues aussi drôles qu’absurdes et engagées. 

Quatre semaines à News York

Pas la peine de céder à la panique et de composer un numéro d’urgence. Cette future mise à nu soutenue par le Théâtre Boulimie – une plongée facétieuse dans l’enfance, les projections et constructions de soi – n’est ni un appel à l’aide, ni un passage forcé chez le psy. Elle a été pensée pour faire marrer, rassure en substance celui qui écume les salles romandes depuis déjà un petit paquet d’années aux côtés des étoiles locales du genre, à l’instar de Yann Marguet ou de Blaise Bersinger. 

Courant janvier, le clown (plus triste) aux lunettes rondes, excellentissime pour dédramatiser par la vanne les choses difficiles qui font néanmoins partie de la vie, s’est retiré quatre semaines à New York afin d’achever l’écriture de son spectacle et de sublimer ses failles. Il accepte de se replonger dans un passé heureusement révolu et de se confier sur la guerre qu’il a menée de front comme beaucoup d’autres, mais qui est trop souvent tue: celle de la santé mentale.

Hospitalisation et alcool

«Ma dépression a duré plus ou moins deux ans, lâche Yacine Nemra, assis face à la webcam de son ordinateur dans la chambre louée à Manhattan. Elle a commencé vers octobre 2022 et s’est révélée avec force en avril 2023.» Le Suisse aux racines algériennes, qui a grandi entre la commune cossue de Paudex (VD) et la capitale olympique, raconte que c’est l’accumulation de plusieurs facteurs qui l’a fait exploser en plein vol. «J’ai sincèrement cru toute mon enfance que j’aurais une vie épique, faite de gloire et d’immenses succès, glisse-t-il. Passé 30 ans, ma réalité était bien différente. J’étais empêtré dans un burn-out que je peinais à accepter, je foirais toutes mes relations de couple et ma carrière ne me faisait pas remplir des stades.»

«
L’anxiété me rongeait l’intérieur du ventre et débordait parfois au point de me paralyser
Yacine Nemra, humoriste vaudois
»

Il éclate de rire: «Ce n’est pas tout! J’étais en proie à une maladie de vieux: une diverticulose du côlon qui a évolué en méchante diverticulite. J’ai même été hospitalisé et j’ai failli mourir, seul, en me vidant de mon sang par le cul. Je suis un anti-Molière, un anti-Napoléon!» La figure régionale de l’improvisation théâtrale, qui se perçoit alors comme un raté «coupable d’avoir planté sa vie», noie ses tourments dans l’alcool.

«Dans la pire période, je devais boire jusqu’à m’anesthésier pour réussir à dormir, souffle-t-il aujourd’hui avec sincérité et courage. Les médicaments ne fonctionnaient pas vraiment. Malgré mes antidépresseurs qui me mettaient au mieux dans un état neutre, l’anxiété me rongeait l’intérieur du ventre et débordait parfois au point de me paralyser. J’ai pris à ce moment pas mal de poids, je ne voyais pas le bout du tunnel.»

Introspection psychédélique

En mars 2024, Yacine Nemra, de retour au sport, est prêt à tout pour sortir de son marasme. Il choisit d’emprunter un chemin encore méconnu en thérapie. «Je suis l’une de ces personnes qui ont ingéré de la psilocybine, un composé des champignons hallucinogènes, dévoile-t-il. On peut le faire légalement et les dernières études montrent que ça réduit efficacement l’anxiété et la dépression. Dans mon cas, même si j’ai un peu l’impression d’être un membre de Pink Floyd qui profère un lieu commun, ça m’a permis de me découvrir.»

Son affiche dévoilée

Celui qui officie dans «Les bras cassés», rendez-vous emblématique de RTS Couleur 3, a glissé à «L’illustré» un prototype de l’affiche de son spectacle mis en scène par Tiphanie Bovay-Klameth. Visuels et dates des représentations seront bientôt publiés sur son profil Instagram @yacinenemra.

Celui qui officie dans «Les bras cassés», rendez-vous emblématique de RTS Couleur 3, a glissé à «L’illustré» un prototype de l’affiche de son spectacle mis en scène par Tiphanie Bovay-Klameth. Visuels et dates des représentations seront bientôt publiés sur son profil Instagram @yacinenemra.

L’artiste, véritable puits de sapience qui chronique par ailleurs régulièrement pour les plateformes de RTS Culture, s’y est essayé trois fois sur une période de six mois. «Ça se déroulait dans le cabinet de ma psy, détaille-t-il. J’y arrivais le matin, elle me filait une dose de cheval et je laissais tranquillement mon esprit voguer vers mon Woodstock personnel, en écoutant de la musique douce, si possible sans paroles. Je ressortais de mon trip et de mon fauteuil sept heures plus tard.»

Que voit-on et que ressent-on dans ces moments d’intense introspection psychédélique? «Ce procédé te met face à tes douleurs et tes traumatismes. J’apercevais mes parents, des ex avec qui les choses avaient été compliquées, des amis ou des connaissances avec qui je traînais différentes problématiques... J’ai pu entrer dans ma bulle d’angoisse, qui était matérialisée en sorte de grotte noire. La tristesse et la colère avaient également une forme et ce voyage intérieur, après m’avoir tiré au fond du trou, m’a reconnecté avec mon ego. J’étais une espèce de divinité qui volait dans le cosmos!»

Il précise, non sans ironie: «Attention, je ne suis pas sorti de ma défonce en me prenant pour le Dieu de l’Ancien Testament – ce qui ne m’aurait pas forcément déplu. Mais en me disant que j’existais, que je n’étais pas juste une grosse merde puante et que j’avais de la valeur. Cette révélation, ressentie au plus profond de mon être, a été le premier pas vers la guérison.»

«
Je suis décomplexé et libéré de la peur de me vautrer
Yacine Nemra, humoriste vaudois
»

Droit derrière la séance initiatique, il note ses ressentis et déclics. «J’ai immédiatement pris des mesures. Je suis notamment allé voir des gens pour leur dire ce que j’avais sur le cœur. Cela m’a permis de démêler des nœuds dont je n’avais parfois même pas conscience, mais dont le poids pesait lourd sur ma vie.»

Renaissance puis reconnaissance

Pas mal de choses ont progressivement évolué dans la foulée des deux prises de psilocybine suivantes, qui lui ont permis de comprendre ce qu’il avait besoin de comprendre. Son rapport à l’échec, notamment. «Je profite de mon séjour à New York pour enchaîner les comedy clubs en tant que spectateur, relate-t-il. J’ai vu des propositions incroyables, d’autres vachement moins. Dans tous les cas, je suis décomplexé et libéré de la peur de me vautrer. Et franchement, même si le niveau est impressionnant ici, les humoristes romands n’ont pas à rougir de leur talent.»

Yacine Nemra va bientôt abaisser l’écran de son ordinateur portable pour retourner croquer à pleines dents dans les joies et la frénésie offertes par la Grosse Pomme. Avant, il tient à souligner à quel point certains proches lui ont servi d’inspiration, mais aussi de bouée de sauvetage. «Sans eux, je ne serais pas où j’en suis et je ne connaîtrais sûrement pas la joie de créer mon spectacle. Je pense bien sûr à Frédéric Recrosio, à Marion Houriet et à toute l’équipe du Théâtre Boulimie. A ma metteuse en scène Tiphanie Bovay-Klameth, à Blaise Bersinger, à Sébastien Corthésy (son producteur à la tête de Jokers Comedy, ndlr), à Yann Marguet et à Charles Nouveau.»

Il complète avec émotion: «Quand j’ai été engagé à RTS Couleur 3 en 2017, j’ai commencé à la matinale avec Benjamin Luis et c’était très difficile. Ça ne marchait pas, je n’étais pas bon. J’allais probablement me faire virer. Valérie Paccaud m’a sauvé parce qu’elle croyait en moi, tout comme Fantin Moreno. Je leur dois beaucoup.» 

Un article de L'illustré

Cet article a été publié initialement dans le n°08 de L'illustré, paru en kiosque le 20 février 2025.

Cet article a été publié initialement dans le n°08 de L'illustré, paru en kiosque le 20 février 2025.

Découvrez nos contenus sponsorisés
Vous avez trouvé une erreur? Signalez-la