Benjamin Décosterd se confie
«L’an passé, j’ai vécu un trop-plein d’actu»

Chaque semaine, il ponctue l’actualité de ses chroniques radio et TV. L’humoriste Benjamin Décosterd monte enfin sur les planches et donne quelques recettes pour garder le moral. Une interview accordée à «L'illustré».
Publié: 28.12.2024 à 18:00 heures
Pour Benjamin Décosterd, l'humour est un moyen de trouver un équilibre avec sa santé mentale.
Katja Baud-Lavigne
L'Illustré

On l’a longtemps qualifié d’«humoriste sans spectacle». Pourtant, Benjamin Décosterd est omniprésent à la télévision et à la radio avec ses chroniques. Il collabore également avec La Revue de Lausanne et certains comiques, comme Thomas Wiesel, Yann Marguet ou Yacine Nemra.

A 32 ans, il saute enfin le pas et présente Le monde va mal (mais je vais bien), son premier spectacle. Une démarche qui lui permet de prendre un peu de recul par rapport à l’actualité morose qu’il traite au quotidien ou presque et de survivre avec bonne humeur à un monde de plus en plus hostile. «L'illustré» est allé à sa rencontre pour l'interviewer.

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Je n’ai aucun problème à faire des blagues de droite si elles sont marrantes, même si je vote plutôt à gauche
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Benjamin Décosterd, en tant qu’humoriste, vaut-il mieux avoir un avis ou des idées?
Dans mon métier, les idées sont plus utiles qu’un avis. En fait, quand on a exprimé l’agencement de ses idées, ça devient un avis. Les deux vont un peu de pair, mais pour choisir un sujet d’actualité que je dois traiter de manière humoristique, je préfère avoir plein d’idées plutôt qu’un avis, parce qu’il est parfois limitant. Je n’ai aucun problème à faire des blagues de droite si elles sont marrantes, même si je vote plutôt à gauche. J’essaie toujours de penser à l’encontre de mes convictions, y compris sur des sujets qui ne sont pas forcément évidents. Ça permet de voir ce qui est marrant ou ridicule dans mon avis.

Comment choisissez-vous les sujets qui alimentent vos chroniques?
Il y a plusieurs critères. Est-ce qu’il y a un sujet nécessaire et évident dans la semaine qu’on est en train de traverser, même si en Suisse l’actualité est quand même plutôt calme? On n’est pas dans un rythme à la française où il y a une polémique par jour. S’il n’y en a pas, je vais chercher ce qui peut potentiellement parler aux gens. Et puis il y a des questions de goûts personnels et de temporalité. J’ai envie de traiter certains sujets, mais ce n’est pas le moment, parce que c’est trop «brûlant». Je ne me sens pas toujours très à l’aise de traiter de sujets émotionnels à chaud.

Y a-t-il un sujet que vous n’aborderez jamais?
Non. Il n’y a aucun sujet sur lequel je ne me risquerais pas par principe. Même ceux qui me faisaient peur au départ, j’ai fini par les traiter. Typiquement, le conflit israélo-palestinien, j’en parle un peu dans mon spectacle. Parce que j’ai trouvé un angle qui était intéressant sur scène.

Yann Marguet a contribué à l’écriture de ce spectacle. Le titre de sa chronique chez Quotidien est «Vivement qu’on crève!». Vous partagez cet avis?
Quand on est un peu concerné par l’avenir du monde, c’est difficile d’être optimiste. Mais oui, il y a une proximité dans nos titres de chroniques («Foutu pour foutu» sur Couleur 3 pour Benjamin Décosterd, ndlr). Peut-être qu’on partage une forme de défaitisme souriant.

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Le monde ne va pas très bien, autant en rire!
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La meilleure manière de faire passer les messages?
Pendant longtemps, j’ai pensé qu’il fallait que je fasse passer des messages dans mes chroniques. Et puis je me suis rendu compte qu’en fait il faut faire marrer les gens. Il y a de toute façon un message qui passe entre les lignes. Le monde ne va pas très bien, autant en rire!

Seriez-vous un humoriste désengagé?
Pas désengagé. Mais j’ai tout à fait conscience de l’importance que je n’ai pas. C’est capital de rire, mais on n’a pas besoin des humoristes pour ça. Il faut remettre les choses dans leur contexte. Si demain je venais à ne plus pouvoir pratiquer mon métier, le monde ne s’arrêterait pas de tourner pour autant.

A quel rythme suivez-vous l’actualité et de quelle manière?
Je suis abonné à plusieurs médias payants que je consulte le matin, généralement. Les semaines où j’ai beaucoup à faire, je vais scanner l’actu en mode boulot: je ne vais pas lire ce qui m’intéresse mais ce qui peut m’aider pour le travail. Quand j’ai plus de temps, je vais m’intéresser à l’actu un peu plus en profondeur et par intérêt personnel. Je dois être une des 15 personnes en Romandie qui s’intéressent à la politique suisse sans en faire.

Quelle est votre plus grande satisfaction dans l’écriture de vos chroniques?
Il n’y a rien de plus satisfaisant que de prendre un sujet très technique et complexe pour arriver à en faire une chronique marrante où on apprend deux ou trois choses. Pour ce genre de sujet, je passe plus de temps à m’informer qu’à écrire. Et quand ça paie, c’est gratifiant.

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L’humour, c’est ma manière de dealer avec les événements compliqués de la vie. Ça fait partie de mon équilibre et de ma santé mentale
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Avez-vous une recette miracle pour aller bien dans ce monde en furie?
L’humour, c’est ma manière de dealer avec les événements compliqués de la vie. Ça fait partie de mon équilibre et de ma santé mentale. L’attitude «foutu pour foutu» aide beaucoup, parce que si on prend tout à cœur, on est évidemment malheureux. Par exemple ne pas faire d’enfant, c’est pour moi une manière d’aller bien dans ce monde.

C’est une décision définitive ou une posture d’humoriste?
Il ne faut jamais dire jamais, mais la paternité ne m’intéresse pas des masses en soi. Et quand je vois l’état du monde, je me dis que l’actu est un excellent contraceptif! Je suis quelqu’un d’assez préoccupé à la base. Rajouter une possible descendance qui devrait survivre dans cette équation serait compliqué.

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Quand j’ai traité la COP28 à Dubaï, ça m’a profondément déprimé
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Pendant longtemps, vous avez porté l’étiquette d’«humoriste sans spectacle». Aujourd’hui, vous montez enfin sur les planches avec Le monde va mal (mais je vais bien). D’où est venue l’inspiration?
Je suis à un moment cool dans mon job, mais je m’ennuie assez vite. J’ai besoin de nouveaux projets et le spectacle était une suite logique. A la fin de l’année passée, j’ai vécu un trop-plein d’actu. Quand j’ai traité la COP28 à Dubaï, ça m’a profondément déprimé. Tous les articles parlant du sujet commençaient par un bilan de l’état du monde et tout était hyper-démoralisant. Il fallait que j’exorcise. Le spectacle, c’était aussi une manière de ne pas repartir d’une feuille blanche chaque semaine.

Plusieurs humoristes suisses font une belle carrière à Paris. Envisagez-vous de suivre leurs traces?
Si un jour l’opportunité se présente et qu’elle est pertinente, pourquoi pas. Mais pour le moment, j’ai déjà bien assez à faire et ce n’est pas quelque chose qui m’attire. J’ai du plaisir avec ce que je fais ici, ça se passe bien et ça me suffit.

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Dans un monde qui irait bien, seriez-vous au chômage?
Non, parce qu’on trouve toujours des trucs qui vont mal. C’est le propre de l’humain. On est les champions pour s’inventer des petits problèmes parce que ça nous donne quelque chose à dire. Il y aura toujours matière à rire de nous-mêmes, heureusement pour nous, les humoristes.

Il y a deux ans, vous travailliez sur un mystérieux fichier Word. Où en êtes-vous de ce projet?
Au même point qu’à l’époque. Je ne sais pas si ça a bien vieilli, je ne l’ai pas rouvert depuis très longtemps. Mais peut-être qu’un jour ça donnera quelque chose. Il y a des choses dedans dont je suis très content et que je trouverais encore super, je pense. Et d’autres qui sont peut-être nulles.

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L’écriture brute, c’est un des moyens d’expression dans lesquels je me sens le plus libre
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Et peut-on savoir de quoi il s’agit?
C’est plutôt un roman. Enfin, c’est un bien grand mot. Pour l’instant, c’est un document Word qui est pensé pour être lu, pas raconté ou joué par d’autres gens. L’écriture brute, c’est un des moyens d’expression dans lesquels je me sens le plus libre et, paradoxalement, j’en fais de moins en moins.

Votre conseil pour aller bien en 2025?
Il faut lire l’actu, sourcée et payante, en trouvant le bon dosage. Ne pas se tenir informé nous déconnecte des autres et nous avons déjà suffisamment d’appareils qui s’en chargent sans en rajouter. Si un référentiel d’actualité un peu vérifiée peut nous servir de base commune, c’est bien! 

«Le monde va mal (mais je vais bien)», les dimanches soir, Pavillon Naftule, Lausanne. Et en Suisse romande en 2025. Infos et billets: benjamin-decosterd.com

Un article de L'illustré

Cet article a été publié initialement dans le n°52 de L'illustré, paru en kiosque le 27 décembre 2024.

Cet article a été publié initialement dans le n°52 de L'illustré, paru en kiosque le 27 décembre 2024.

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