Des poils d’orang-outan, une statuette en ivoire ou un porte-monnaie en lézard sont cachés par un instructeur dans une zone de la halle de fret 4 de l’aéroport de Genève, où transitent des tonnes de marchandises en provenance de l’étranger. «L'illustré» est allé à la rencontre de ces chiens de douane, alors que l'activité quotidienne du lieu se déroule normalement, les transpalettes déplacent des colis, le bruit est incessant.
Du vert au orange
Mais Pax n’en a cure, il est au taquet, il sait ce que sa conductrice attend de lui. Elle a enlevé le collier vert qu’il porte quand il est au repos et l’a remplacé par un orange qui signifie qu’il est au travail. Dès qu’elle le lâche et lui donne l’ordre de chercher, ce labrador noir de 5 ans met sa truffe en action. Il flaire les palettes, des cartons, des valises, suit une odeur, tournicote pour repérer de quel endroit précisément elle provient.
Ça y est, il a une certitude, c’est de cette caisse qu’elle s’échappe. Il s’assied. Sa maîtresse ne sait pas où les objets sont planqués, donc c’est l’instructeur qui valide sa trouvaille à l’aide d’un clicker, un petit mécanisme produisant un bruit caractéristique. En entendant «clic», Pax sait qu’il a gagné le jackpot. Il se précipite vers sa «coéquipière» qui lui offre sa récompense, une séance de jeu endiablé.
Un maillon essentiel de la chaîne
L’adorable Pax fait partie du personnel à quatre pattes de l’Office fédéral de la douane et de la sécurité des frontières (OFDF). Il a d’abord été entraîné à détecter des stupéfiants, puis a suivi une formation spécifique afin de devenir un chien CITES. Il n’en est pas conscient, mais il œuvre pour la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction, aussi appelée Convention de Washington.
La Suisse est membre de la CITES depuis sa création, en 1973, et son secrétariat se trouve à Genève. Quelque 40'000 animaux et végétaux sont protégés, divisés en trois catégories appelées annexes. L’annexe I compte plus de 700 espèces ou sous-espèces d’animaux, dont certaines victimes de braconnage intensif, qui risquent de disparaître, de l’âne sauvage de Mongolie au wombat à nez poilu du Queensland, en passant par la tortue feuille d’Annam, la grenouille du lac Titicaca, le rhinocéros de Sumatra et l’orang-outan de Bornéo.
Plus de 400 plantes y figurent aussi, dont des cactées et des orchidées. Pax, tout comme Khao, Nose et Spyke, ses potes d’entraînement, ont pour mission de détecter leur importation illégale sous quelque forme que ce soit, qu’il s’agisse d’une peau de tigre, d’un collier en corail, d’un ara rouge vivant, d’un cactus, d’un bracelet en poil d’éléphant du Kenya ou de viande de brousse. Ils opèrent dans les postes de douane, les aéroports, les trains, mais aussi les centres de tri des colis de la poste, notamment à Zurich.
Le labrador, idéal pour le TGV
Khao, un labrador jaune qui va sur ses 7 ans et a beaucoup bossé sur les rails, prend la relève. «La plupart de nos labradors suivent la formation CITES car c’est une race qui se prête bien pour opérer à l’aéroport et au milieu du trafic touristique. On peut facilement faire monter un labrador dans un TGV et le laisser travailler sans laisse pour qu’il cherche des produits interdits sans que les passagers en aient peur. Ils auraient plutôt envie de le caresser.
Ce n’est pas le cas avec un malinois, au physique plus impressionnant», précise le sergent Cyril Chabbey, l’un des deux suppléants du responsable technique des chiens de service de l’OFDF pour la Douane Ouest (Genève, Vaud et Valais). Khao a mis son gilet jaune et manifeste son envie de se mettre au boulot. Enthousiaste, il inspecte consciencieusement les ballots, grimpe sur des piles de cartons, flaire partout jusqu’à ce qu’il soit certain d’avoir détecté une odeur suspecte. Clic. La récompense ne tarde pas, il joue comme un petit fou.
Capable de détecter 7 types d'odeurs
Au tour de Nose, labrador noir qui fêtera ses 5 ans en janvier, d’enfiler ses chaussons de protection et de démontrer les performances de son odorat. «C’est le premier de la classe», assure son conducteur. Lors de la formation de spécialisation CITES, ce mâle (la quasi-totalité des auxiliaires des douanes à quatre pattes sont de sexe masculin) a appris à détecter sept types d’odeurs: mammifères, oiseaux, reptiles, amphibiens, poissons, invertébrés et plantes.
Pour les entraînements, les instructeurs disposent d’une belle palette de choses à cacher, des objets confisqués aux postes-frontières, mais aussi des odeurs et des spécimens fournis par le zoo de Zurich (lire page 28). Nose ne faillit pas à sa réputation de bon élève lors de l’exercice, puis galope derrière son jouet et le rapporte inlassablement.
Un travail coopératif
«Certains chiens sont très autonomes, une fois lancés, ils n’écoutent plus, ils continuent à chercher, entièrement focalisés sur leur mission, explique le sergent Chabbey. Mais d’autres, au bout de cinq minutes de quête infructueuse, vont demander l’aide de leur maître. C’est important que le conducteur et son partenaire soient en osmose, que l’humain guide l’animal et n’attende pas que ce dernier fasse tout seul, que l’un observe l’autre pour comprendre comment il réagit.»
Si un labrador tourne et retourne dans une petite zone, mais sans marquer (sans s’asseoir, ni se coucher), c’est sans doute qu’il a senti une odeur mais ne parvient pas à déterminer précisément d’où elle vient. C’est alors au douanier d’aider son binôme à se concentrer, à explorer d’une manière systématique.
L’objectif des exercices est d’améliorer les résultats du chien, mais aussi et surtout la cohésion dans le tandem pour que, en conditions réelles, il puisse donner le meilleur de lui-même. Dans la réalité, un douanier peut aussi décider de faire ouvrir les deux valises autour desquelles son collègue canin a montré des signes d’intérêt pour en avoir le cœur net.
Deux ans de formation, huit de travail
Le dernier à faire la preuve de son flair est le doyen du quatuor, Spyke, un labrador jaune affectueux. Lui aussi connaît la musique, il parcourt la zone, inspecte les caisses, les ballots, met sa truffe entre des cartons d’ananas, puis on sent toute sa joie lorsqu’il atteint son objectif et qu’il a droit à sa séance de jeu. On voit aussi la fierté de son binôme, René Spross, teintée d’une pointe de nostalgie. Spyke a 10 ans, il va bientôt devoir prendre sa retraite.
En effet, la vie d’un chien de l’OFDF se divise en trois parties: deux ans de formation, huit ans de travail (en fonction de son état de santé, on peut renouveler pour des périodes d’un an), puis un repos bien mérité chez son ancien coéquipier. Reste à espérer que Spyke s’habituera vite au régime canapé et qu’il n’aura pas trop de mal à voir sa «moitié» partir bosser sans lui chaque matin…
Entraînés avec du cervelas
Seule certitude, la relève est assurée! De jeunes chiens, qui vont tous suivre le cursus piste et recherche de stupéfiants, et dont certains deviendront également CITES, participent chaque semaine à un entraînement très différent, en plein air. Nash, labrador noir de 8 mois, calme malgré son jeune âge, et Loki, berger allemand de 6 mois qui dit toujours bonjour à tout le monde, s’exercent l’un après l’autre à pister en suivant… des morceaux de cervelas déposés par celui qu’ils doivent retrouver. Ils ont le droit de manger leurs trouvailles, mais sont tellement pris par leur mission qu’ils ne s’arrêtent même pas pour toutes les avaler.
Quarter, labrador jaune de 20 mois, aussi gentil qu’impatient, est prêt à démontrer qu’il est capable de suivre une piste bien plus complexe (et sans l’aide de cervelas). Quelqu’un part se cacher, puis le chien est sorti de sa cage et amené au point de départ par son conducteur. Il lui met un harnais qui détermine le travail qu’on attend de lui et lui présente un sac en plastique contenant un objet imprégné de l’odeur de la «cible» (gant ou bonnet par exemple). Il met le museau dedans pour s’imprégner de l’odeur, puis la «traque» commence. Son maître tient sa longe et galope derrière lui. Lorsqu’il trouve le «disparu», Quarter reçoit une friandise, puis peut s’amuser avec son jouet préféré. De nos jours, l’apprentissage se fait, fort heureusement, uniquement par renforcement positif.
Ensemble 24 heures sur 24
Ya’no est un labrador noir de 20 mois «adorable et un peu foufou» aux dires de sa maîtresse, une caporale dont c’est le premier compagnon canin. «Ya’no m’a été confié quand il avait 8 semaines. J’avais pris quinze jours de vacances pour qu’il s’habitue à vivre avec moi. Il venait d’être séparé de sa mère ainsi que de ses frères et sœurs, donc j’ai pensé que ce serait bien de nous laisser le temps de créer ce nouveau lien.
Quand il a eu 10 semaines, j’ai repris le travail et il est venu avec moi.» En effet, les douaniers à quatre pattes vivent chez leur partenaire, partagent sa vie de famille, ses vacances et l’accompagnent chaque jour au boulot. Bien sûr, à 2 mois et demi, Ya’no n’était pas encore bon pour le service; s’asseoir, rester tranquille et ne pas faire pipi n’importe où sont les premières choses qu’il a dû apprendre. L’entraînement officiel a lieu une fois par semaine, mais, à la maison, l’apprentissage se fait au quotidien. «Ya’no travaille pour me faire plaisir», assure sa coéquipière après qu’il a réussi son exercice de pistage. Impossible d’en douter en voyant leur extraordinaire complicité.
Loki, Nash, Ya’no et Quarter s’exercent également à retrouver un porte-monnaie ou des clés cachés. Toutes ces activités qui mettent à contribution leur flair sont le prélude à la formation de quatre semaines qui aura lieu dans le canton de Berne. Là-bas, ils se familiariseront avec toutes les situations qu’ils rencontreront dans la vie réelle, apprendront à reconnaître l’odeur des stupéfiants, s’entraîneront à la repérer dans des véhicules équipés de cachettes. Puis, les trois labradors suivront très probablement la formation CITES; ces futurs héros de la biodiversité auront alors deux semaines pour mémoriser les odeurs des espèces en voie de disparition qu’ils devront détecter une fois qu’il seront entièrement opérationnels.
Il est tentant, lorsque l’on passe des vacances au loin, de mettre un souvenir emblématique du pays visité dans sa valise. Mais attention à ne pas vous rendre complice de braconnage! Un grand nombre d’animaux et de plantes sont soumis à la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES). Il est totalement interdit d’en importer certains en Suisse et il faut des autorisations spéciales pour d’autres. Ne prenez pas le risque de voir une ceinture, une statuette, un sac, un châle ou un bracelet saisis à la frontière. Sans oublier la possible amende! Liste de quelques-unes des choses à ne surtout pas rapporter:
- Alcool de serpent.
- Caviar d’esturgeon (dès 126 grammes).
- Objets en ivoire, en cuir ou en poils d’éléphant.
- Corne de rhinocéros et ses produits dérivés.
- Dents d’hippopotame, de crocodile, de morse et de baleine.
- Cuir et dents de certains requins (et leurs ailerons).
- Shahtoosh (il faut tuer quatre antilopes du Tibet pour tisser une écharpe).
- Peau d’ours, d’antilope, de loup, de zèbre.
- Peau, os et griffes de félins.
- Ecailles de tortues marines.
- Coraux.
- Viande de baleine, de crocodile, d’alligator, de tortue marine, d’ours.
- Plumes et œufs de perroquets, de perruches, de rapaces et de chouettes.
En cas de doute, vous pouvez consulter le site de la CITES et du WWF Suisse.
Il est tentant, lorsque l’on passe des vacances au loin, de mettre un souvenir emblématique du pays visité dans sa valise. Mais attention à ne pas vous rendre complice de braconnage! Un grand nombre d’animaux et de plantes sont soumis à la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES). Il est totalement interdit d’en importer certains en Suisse et il faut des autorisations spéciales pour d’autres. Ne prenez pas le risque de voir une ceinture, une statuette, un sac, un châle ou un bracelet saisis à la frontière. Sans oublier la possible amende! Liste de quelques-unes des choses à ne surtout pas rapporter:
- Alcool de serpent.
- Caviar d’esturgeon (dès 126 grammes).
- Objets en ivoire, en cuir ou en poils d’éléphant.
- Corne de rhinocéros et ses produits dérivés.
- Dents d’hippopotame, de crocodile, de morse et de baleine.
- Cuir et dents de certains requins (et leurs ailerons).
- Shahtoosh (il faut tuer quatre antilopes du Tibet pour tisser une écharpe).
- Peau d’ours, d’antilope, de loup, de zèbre.
- Peau, os et griffes de félins.
- Ecailles de tortues marines.
- Coraux.
- Viande de baleine, de crocodile, d’alligator, de tortue marine, d’ours.
- Plumes et œufs de perroquets, de perruches, de rapaces et de chouettes.
En cas de doute, vous pouvez consulter le site de la CITES et du WWF Suisse.
Couper les poils d’un lion et caresser une girafe
Au printemps 2021, le zoo de Zurich a recueilli les odeurs de 32 espèces sauvages afin que les chiens CITES puissent s’entraîner. Les soigneurs utilisent diverses méthodes pour obtenir des échantillons. Ils peuvent frotter/caresser l’animal avec un linge (rhinocéros blanc, girafe réticulée), le lui donner pour qu’il se frictionne lui-même (gorille) ou l’attacher sur une balle avec laquelle il va jouer (tigre de Sibérie). Ils peuvent aussi collecter des poils (lion d’Asie, alpaga, ours à lunettes), ramasser des mues (boa à tête de chien de Madagascar, iguane à bandes des Fidji), des plumes (perroquet gris du Congo), des écailles (caméléon panthère) ou des coquilles d’œuf (tortue géante des Galápagos).
Le plus compliqué? Collecter des poils ou frotter un linge sur les animaux qui ont tendance à fuir l’humain, notamment les antilopes. Il faut donc faire preuve de ruse et de patience. Mais comme le précise Dominik Ryser, Responsable de la communication du Zoo Zurich: «En comparaison avec les réalisations en matière de conservation des espèces rendues possibles grâce à ce type de collaboration, l’effort pour collecter les odeurs est négligeable.»
Cet article a été publié initialement dans le n°50 de L'illustré, paru en kiosque le 12 décembre 2024.
Cet article a été publié initialement dans le n°50 de L'illustré, paru en kiosque le 12 décembre 2024.