«Enfin», disent certains. «Merde», lâchent ses détracteurs. «Qui ça?», se questionnent la plupart des Romands. Ça y est, Benjamin Décosterd se lance sur scène avec son premier spectacle de stand-up intitulé «Le monde va mal (mais je vais bien)».
Plutôt habitué des chroniques et de l’écriture de vannes pour d’autres comiques romands, l’humoriste vaudois fait sa première ce dimanche 17 novembre au pavillon Naftule, à Lausanne-Bellerive.
Avant cette soirée en mode café-théâtre, dans le foyer de la nouvelle salle de spectacle dédiée à l’humour, Benjamin Décosterd est passé par Blick pour une interview. Il connait bien les locaux, ce n'est pas pour autant que l'échange est amical, alors causons sans filtre de son statut de bobo lausannois qui s’embourgeoise.
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Benjamin Décosterd, est-ce que ce n’est pas un énième spectacle de bobo lausannois trentenaire dépressif?
À part pour le côté dépressif, peut-être. C’est sans doute le cœur de cible. Evidemment, il y a des références très précises comme les cocottes Le Creuset. Mais ça parle à plein d’autres gens. Typiquement, je parle de ne pas faire d’enfants. Même celles et ceux qui ont des enfants, ils ont un avis là-dessus.
Donc c’est pour tout le monde?
Peut-être que tu ris différemment, suivant de quel côté tu te trouves, mais tu restes concerné. «Même si les gens n’ont pas la référence exacte de ta blague, il faut qu’ils comprennent pourquoi c’est drôle. Il faut leur donner les clefs»: C’est Pierre Naftule qui disait ça, grand monsieur de l’humour romand (ndlr: le producteur est décédé en 2022).
Tous les comiques romands sont obligés contractuellement de le dire, non?
(Rire) Non, même pas. J’ai très peu travaillé avec lui, mais je suis persuadé que sans Pierre Naftule, on n’aurait pas autant d’opportunités de faire des blagues en Suisse romande.
Jusque-là, tu étais plutôt l’auteur de l’ombre des Thomas Wiesel, Yann Marguet ou Blaise Bersinger. Avec ce premier spectacle, tu n’as pas peur d’être ébloui par la lumière des projecteurs?
C’est sûr qu’il faut apprendre à se mettre en avant. Heureusement, égocentrique comme je suis, j’y ai vite pris goût. Ça fait un moment que je fais des trucs à moi. Entre mes chroniques chez Blick, sur Couleur 3 ou dans «Les beaux parleurs» sur La Première, et avec mes passages dans «A bon entendeur», j’ai déjà eu ma soupape d’ego.
Justement, ton spectacle a l’air plutôt attendu…
Peut-être plus chez les professionnels que dans le public. Soyons honnêtes, les gens ont d’autres préoccupations que de savoir quand j’allais finir par faire de la scène. Mais pour mon tout premier plateau de stand-up, j’avais en face de moi Frédéric Recrosio et Nathanaël Rochat, les deux premiers mecs qui m’ont fait marrer en Suisse romande. A côté d’eux, Thomas Wiesel, le premier à m’avoir engagé pour écrire des blagues. Bref, Recrosio m’écrit un message cryptique après mon passage: «C’est super que tu fasses un spectacle. On se réjouit!» Je lui demande qui c’est «on» et il me répond: «Tout le monde». C’est un super signe de validation, mais ça fout un peu la pression.
Ça vient de ton rôle spécifique dans le milieu?
Oui, je pense. Tant mieux s’il y a des attentes, même si on préférerait parfois débarquer comme une fleur. Après, ça ne m’a pas paralysé pour écrire. Si on pense à la réaction d’untel à chaque blague, on n’écrit plus rien. J’ai essayé de faire un spectacle qui me ressemble. C’est un peu malicieux, et parfois très bête. La thématique du spectacle, c’est ma popote à moi. Un truc de trentenaire privilégié qui s’inquiète que le monde aille mal et de culpabilité à base de morale protestante.
Et sinon, ça va d’utiliser le public de ton premier spectacle pour tes propres séances de psy?
(Rire) Alors, déjà… , je vais voir une psy pour mes séances de psy. J’en parle un peu, d’ailleurs. Et puis si c’était une séance de psy, je ferais payer plus cher l’entrée et il y aurait moins de blagues. Il n’y a rien – je crois – dans ce spectacle que je n’ai pas «digéré» et que je jette aux gens impudiquement. Même pas sûr qu’il y ait grand-chose de très intime. Un peu de ma vision du monde et de mes inquiétudes. Si ça aide des gens et que ça pousse à une catharsis collective, alors tant mieux. Mais on va surtout se marrer.
Toi, tu dis que tu vas bien. Mais un humoriste, c’est pas déprimé d’habitude?
Peut-être que c’est l’image que ça renvoie, mais je ne crois pas. Au contraire, je pense qu’on est plus performants dans notre job quand on est bien, qu’on dort bien et qu’on fait du sport. Merde, ça se transforme en interview lifestyle-influenceuse…
Allez, pourquoi pas. Se sentir bien, ça suffit pour avoir quelque chose à raconter?
Il faut un inconfort, comme moteur pour créer des trucs, c’est sûr. Mais j’écris beaucoup mieux quand je suis en forme et que j’ai le moral. Ça a mis du temps… Il y a dix ans, je me prenais pour un poète maudit. J’avais l’impression qu’il fallait souffrir. Ce n’est pas le cas. Après, il y a des soirs sans, où tu n’as pas envie de faire rire les gens. Mais est-ce qu’on se force pas tous, à un moment ou un autre, dans notre job?
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Chaque année, Blick t’accrédite à Paléo et te demande tout juste une chronique par jour. Dur, dur, dur d’être humoriste?
Un poil de dédain dans ta question! Si tu me croises à Paléo, tu vois ma gueule et tu comprends pourquoi c’est dur. C’est clairement pas mon mandat le plus fastoche. Et cinq minutes à la radio, c’est une journée d’écriture. Mais je suis tout à fait d’accord de dire que mon boulot reste facile. Surtout par rapport à ma femme médecin, aux comptables derrière leur bureau toute la journée ou aux ouvriers sur les chantiers… Et puis, faire marrer les gens, c’est ce que j’aime faire. Donc pour moi, c’est un plaisir et c’est plus «facile». Mais certains me disent qu’ils en seraient incapables.
En vidéo pour Blick en juin 2023, tu as dit que le pire de la RTS c’est «les tweets de Massimo Lorenzi». Depuis, Twitter est devenu X et Massimo Lorenzi a annoncé son départ de la RTS. Est-ce que tu portes la poisse?
Non, je ne pense pas. J’aurais porté la poisse si j’avais dit le pire de la RTS, c’était la santé cardiaque d’Alexis Favre.
On m’a soufflé que tu es le cousin de Jean Tschopp, député socialiste au Conseil national. Plus connu, plus grand, beau gosse et en possession de sa propre page Wikipédia… C’est pas trop chiant aux repas de famille?
Ah non, clairement pas. Il est cool Jean (mais plus beau, je ne suis pas sûr). Bon, il est politicien quoi. Ce n’est pas un métier très fun. Dans le privé, Jean Tschopp est plus détendu qu’en public, où il est plutôt dans le contrôle. Mais oui, les repas, c’est marrant. On boit des verres. C’est le côté valaisan de la famille.
Bon, et alors ce spectacle, c’est le premier d’une longue série?
Là tout de suite, j’ai un peu trop la tête dans le guidon pour penser à la suite. J’ai essayé d’écrire un spectacle avec lequel je peux vivre un moment. Même si j’évoque l’actualité, j’aimerais pouvoir le jouer au-delà de février 2025. Il y a un peu d’actualité dedans, mais en toile de fond. En gros: je parle des guerres du moment, qui malheureusement, sont parties pour durer. Mais c’est toute l’ambiguïté du titre: j’espère profondément que le monde ira mieux. Mais pas avant que j’aie pu tourner un peu avec ce spectacle. Et là, je me dis que c’est peut-être à cause de ce genre de raisonnement que le monde va mal. Oups…