D’abord des cris stridents. Puis plusieurs sourdes détonations. L’horreur transperce l’obscurité avant la lumière du jour, ce mardi 21 janvier, vers 7 heures, à Lausanne. Nous sommes en pleine rue, dans une zone résidentielle à l’ouest de la ville, à un jet de pierre du métro M1, d’une école et du centre MalleyPrairie qui accueille des victimes de violences dans le couple ou la famille. Un homme, un Suisse de 53 ans, poignarde à de multiples reprises une femme, une Suissesse de 40 ans. La scène, insoutenable, est filmée par des riverains. On voit distinctement sur les images la lame fendre l’air et les chairs. Dans une seconde vidéo, deux hommes, un de 45 ans et un de 50 ans, tentent de s’interposer. Effroi! L’agresseur ne se démonte pas, fait quelques pas, sort un pistolet… et presse sur la détente.
Arrivées sur place, les patrouilles de police rencontrent d’abord la quadragénaire réfugiée au centre MalleyPrairie. Grièvement blessée à l’abdomen, elle est emmenée à l’hôpital dans un état grave. Ses deux protecteurs, également blessés et transportés en ambulance, sont désormais hors de danger. Le forcené est interpellé peu après, sur la commune voisine de Prilly, alors qu’il prend la fuite à vélo.
D’après les premiers éléments de l’enquête, l’attaque initiale serait une tentative de féminicide perpétrée au sein d’un couple. Les actualités s’entrechoquent parfois en laissant un goût amer dans la bouche. A peine quelques jours avant ces terribles coups de feu et de couteau, la majorité de gauche du Conseil communal (législatif) de la capitale olympique a accepté le postulat du Vert Ilias Panchard, demandant à la municipalité d’étudier la possibilité de désarmer une partie de la police de proximité pour certaines missions.
En plénum, le municipal libéral-radical (PLR) responsable de la Sécurité, Pierre-Antoine Hildbrand, a déjà marqué sa vive opposition. A la lumière des derniers événements, celui qui veut briguer un troisième mandat a accepté de retrouver «L’illustré» sur les lieux du drame, avant de nous ouvrir les portes de son bureau dans le quartier du Flon. L’édile ultra-minoritaire, par ailleurs capitaine à l’armée, se dit «consterné» par le vote de l’organe délibérant. A l’instar du président du PLR Thierry Burkart qui a donné une dimension nationale à cette polémique en s’en emparant dans la presse ce dimanche 26 janvier, il dégaine et tire à boulets rouges sur les élus qui manqueraient de respect aux forces de l’ordre en voulant arracher leur arme de leur ceinture. Interview.
Pierre-Antoine Hildbrand, une fusillade et des coups de couteau en pleine rue faisant trois blessés, devant le refuge pour les violences de victimes conjugales MalleyPrairie: nage-t-on en plein cauchemar?
C’est un choc. Nous n’avons pas l’habitude de telles scènes à Lausanne et nous ne voulons pas nous y habituer. Maintenant, il faut laisser le Ministère public et la police faire leur travail. Je dois dire aussi que je ne suis pas convaincu que la diffusion des images de l’attaque au couteau, sur les réseaux sociaux et dans certains médias, respectait la victime.
Cette affaire vous touche?
Oui, bien sûr. En tant que municipal chargé de la Sécurité, la question des violences contre les femmes a toujours été une préoccupation. Souvent, ce genre de violences n’est pas signalé à la police. En 2021, j’ai demandé la mise en place d’une unité spéciale pour les victimes de violences. Les féminicides n’arrivent pas par hasard et le suivi par la police peut permettre d’éviter ces terribles issues.
Qu’étiez-vous en train de faire quand vous avez appris la dramatique nouvelle?
Je participais à une séance à la Riponne pour discuter de baisses d’impôts. On m’a rapidement averti et j’ai reçu régulièrement des mises à jour de la situation. C’est la procédure quand il se passe quelque chose de grave.
Qu’avez-vous imaginé au moment d’apprendre qu’un homme avait poignardé une femme avant de tirer sur deux hommes?
J’ai annoncé un objectif de zéro féminicide alors, évidemment, j’ai d’abord pensé à la victime la plus grièvement blessée (la femme, ndlr). Allait-elle s’en sortir? Quand j’ai appris que c’était heureusement le cas, j’ai été remué en imaginant aussi la suite: le traumatisme, les atteintes psychologiques… Puis, nous avons été très vite soulagés en découvrant l’arrestation de l’auteur grâce à une collaboration efficace entre les différentes polices impliquées. J’ai aussi beaucoup pensé aux agents engagés.
Avez-vous un mot pour les hommes qui se sont interposés au péril de leur vie entre l’agresseur et sa victime?
Je salue leur intervention tout en rappelant que, dans les situations extrêmes, nous n’attendons pas des gens qu’ils fassent des actes héroïques. Se mettre en sécurité et appeler les secours est aussi très important. Toutefois, je tiens, ici, à leur rendre hommage.
Ces tirs interviennent deux jours après un impressionnant déploiement des forces de l’ordre, armes de guerre à la main, dans le quartier populaire de la Bourdonnette après une suspicion de tirs. Lausanne n’a-t-elle pas un sérieux problème avec sa sécurité?
Ces deux événements n’ont strictement rien à voir. Dans le cas de la Bourdonnette, la notion de coups de feu n’a finalement pas été confirmée. Les processus d’intervention ont été respectés et se sont appuyés sur les informations à disposition. En se déployant de la sorte, la police avait pour objectif de protéger la population jusqu’à ce qu’on puisse démontrer qu’il n’y avait pas de danger. Mission accomplie.
Tout de même, cet enchaînement interpelle?
Lausanne est la quatrième ville de Suisse. Elle a des quartiers aux réalités diverses, mais la police intervient partout et à chaque fois qu’elle est sollicitée pour venir en aide à des citoyens.
Hasard de l’actualité, ces faits très rapprochés se produisent alors qu’un postulat déposé par un élu vert et voté par la majorité de gauche du Conseil communal demande d’étudier la possibilité de désarmer la police de proximité. Qu’en pensez-vous?
La police est là pour servir. Sous-entendre l’inverse et vouloir la désarmer est choquant. Cette décision m’a consterné. Elle est irrespectueuse des femmes et des hommes sur le terrain.
Pourquoi?
Il faut rappeler que la police est par définition confrontée à des missions imprévisibles et qu’elle doit être parée à toutes les éventualités. Qu’on le veuille ou non, l’arme est un outil nécessaire dans certaines situations. Que dirait-on si, faute d’arme, la police se trouvait dans l’incapacité d’intervenir? Que dirait-on face à un nombre plus élevé de victimes?
On entend votre position. La municipalité va néanmoins devoir étudier cette possibilité.
Oui. Elle a deux ans pour répondre au Conseil communal, comme les institutions le prévoient. Nous travaillerons sérieusement et nous exprimerons notre position. Je souligne au passage qu’il y a des lois cantonales, notamment sur l’organisation policière, et que nous devons les respecter. J’ajoute que les polices doivent aussi pouvoir se suppléer et c’est les affaiblir toutes si l’on en désarme une partie. La police de proximité peut, elle aussi, se trouver face à une situation dangereuse et il faut lui laisser la possibilité d’intervenir.
Entre nous, l’affaire est déjà pliée, non? Il se murmure que vous et votre commandant avez déjà pris la plume pour rassurer les forces de l’ordre en leur disant qu’elles n’auront pas à rendre leur pistolet.
Je leur ai simplement exprimé ce que je viens de vous exposer.
Pour qu’on comprenne bien de quoi on parle, à quand remonte le dernier coup de feu tiré par la police municipale à Lausanne?
C’était en 2007, un tir dans la jambe. Un cas de légitime défense. L’individu a été blessé, mais sa vie n’a pas été en danger. Ce dernier était armé d’un pistolet et avait pointé son arme sur l’agent.
C’était il y a dix-huit ans. On serait tenté de penser que la police n’a effectivement pas besoin d’arme pour bien faire son travail, non?
Je suis persuadé du contraire! Il n’existe pas de chiffres consolidés concernant toutes les fois où une arme a été utilisée comme outil dissuasif sans pour autant aller jusqu’au tir. C’est un élément indispensable.
Plus généralement, un policier sans arme à feu est-il crédible?
Non!
C’est donc l’arme qui fait le policier?
Plein de personnes peuvent être crédibles dans leur fonction sans nécessairement porter une arme. Mais il y a une grande confusion: c’est à la police, et à elle seulement, qu’on demande d’intervenir, y compris en faisant usage de la force.
Penser, comme le fait une partie de la gauche, que l’on peut se passer de l’usage de la force et donc de la violence d’Etat est illusoire, d’après vous?
La violence d’Etat, cela n’existe pas. Dans un Etat de droit démocratique, l’Etat n’est pas structurellement violent. Cela ne signifie pas qu’aucune faute n’est jamais commise. Mais il existe des procédures pour les corriger. Nul n’est au-dessus de la loi. L’Etat, en l’occurrence les forces de l’ordre de la ville de Lausanne, est autorisé à utiliser la force en dernier recours.
Vous êtes capitaine à l’armée. Quel est votre rapport aux armes?
Comme évoqué, l’arme est un outil permettant d’accomplir des missions au service des autres. Dans mon cas, c’était en tant que citoyen-soldat.
Vous aimez tirer?
En dehors de l’armée, je ne tire qu’une fois par an: dans le cadre d’une abbaye bicentenaire, l’Abbaye du Cordon vert et blanc du Cercle de Saint-Saphorin.
Vous êtes bon tireur?
Je l’ai été. (Rires.)
Vous avez annoncé dans «24 heures» votre intention de briguer un troisième mandat. En cas de réélection, voulez-vous garder la tête de la Sécurité?
Je souhaite poursuivre mon engagement pour cette ville, si la population l’accepte. La répartition des dicastères, cela se discute après les élections. C’est en tout cas un honneur de diriger la Sécurité. Ma volonté est de renforcer la présence du PLR et du centre droit à la municipalité de Lausanne. Il reste beaucoup de travail pour remonter la pente et certains efforts concernant la sécurité doivent être poursuivis avec ténacité.
Lausanne est-elle assez répressive?
Une fois que la police a fait son travail, ce qui compte, c’est la rapidité et l’effectivité de la peine, bien plus que sa longueur ou sa dureté. Celle-ci doit éviter les récidives et respecter les victimes. A Lausanne ou ailleurs, je crois en la théorie de la vitre brisée: il faut agir sans retard quand des situations se dégradent.
En tant qu’unique municipal de droite dans un collège de gauche, n’êtes-vous pas de toute manière pieds et poings liés face aux desiderata de la majorité?
La collégialité est la condition de l’efficacité d’un exécutif. Par ailleurs, les questions sécuritaires touchent et découlent de plusieurs causes qui impliquent des réponses à la fois sécuritaires, sociales et éducatives, par exemple. Il faut donc se garder de tout jugement hâtif et renforcer tous les différents maillons de la chaîne.
Pour être élu quand on est de droite à Lausanne, ne faut-il pas être un peu de gauche quand même?
Non, mais il faut savoir composer.
Et vous savez composer?
Ce n’est pas à moi de le dire. (Sourire.)
Cet article a été publié initialement dans le n°05 de L'illustré, paru en kiosque le 30 janvier 2025.
Cet article a été publié initialement dans le n°05 de L'illustré, paru en kiosque le 30 janvier 2025.